La constitution, l’armée algérienne et le Maroc

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Le général Saïd Chengriha, chef d’état-major de l’armée algérienne passant en revue des troupes : on ne compte plus le nombre de manœuvres militaires aux frontières avec le Maroc.

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Dimanche prochain, 1er novembre, tout un symbole, les Algériens ont rendez-vous avec les urnes pour se prononcer sur la réforme de la constitution. La campagne référendaire où seuls les soutiens du pouvoir ont vraiment droit à l’expression, se déroule dans une ambiance terne, non seulement en raison de l’épidémie du coronavirus, mais du peu d’enthousiasme qu’elle rencontre auprès d’une population échaudée et pas très encline à accorder au pouvoir la présomption de bonne foi. 

Si le président algérien cherche bien se démène pour faire croire que cette réforme serait le fondement de la « nouvelle Algérie, peu de forces politiques et d’observateurs y souscrivent. Un état d’esprit défiant que résume clairement dans un article publié dans Al Watan l’ex-premier ministre de Chadli Benjedid (septembre 1989- juin 1991), Mouloud Hamrouche. Ancien colonel de l’armée qui a, depuis sa sortie des cercles rapprochés du pouvoir, épousé une posture distante et modérément critique, Mouloud Hamrouche regrette que « la conjoncture de questionnement » induite par le Hirak populaire n’ait « pas provoqué de réponse forte ni déclenché de processus sociopolitique mobilisateur ni[ n’ait] donné de l’ambition aux élites politiques ».

De l’artifice et du cosmétique

Dans cette constitution où la modification la plus notable est la possibilité pour l’armée algérienne de se déployer à l’extérieur du territoire national, on retrouve, certes, des arrangements qui touchent au fonctionnement du gouvernement, du parlement et de la magistrature. Mais ce n’est que du cosmétique qui ne dupe personne et surtout pas un Hirak qui se refuse à rendre l’âme.   

En panne d’imagination, le pouvoir, dont le siège, contrairement à ce que l’on veut faire croire, n’est pas Al-Mouradya, tente une fois encore de mobiliser autour de ce qu’il appelle les « valeurs de la révolution du premier novembre 1954», date du déclenchement de la lutte pour la libération algérienne. Il ne fait ainsi que signer sa persistance dans la captation d’un héritage révolutionnaire qu’il a usurpé et détourné, là où il devait revenir aux principes du congrès de la Soummam (1956) qui avait statué sur la question de la primauté du politique sur le militaire. Une primauté que le Hirak n’a cessé de le lui rappeler tout au long de l’année du mouvement populaire en revendiquant un pouvoir civil et le retour de l’armée aux casernes. 

Pour toute réponse, l’autocratie qui a pour nom d’emprunt Abdelmadjid Tebboune, tarabiscote une constitution qui ne manque pas de curiosités dont la plus drôle est appelée « le fait majoritaire » au Parlement : Si les élections dégagent une majorité présidentielle, le premier ministre se contentera de ce titre laissant l’essentiel des prérogatives entre les mains du chef présumé de l’Etat. Mais si les législatives donnent une majorité autre que présidentielle, le premier ministre prendra le titre de chef de gouvernement. Ce que cet amendement signifie, c’est que le pouvoir, par essence militaire, ouvre une brèche à une éventuelle cohabitation où il aura de toute façon, par le fait des armes, toujours le dernier mot. C’est le type même d’artifices qu’utilisent les pouvoirs autocratiques quand ils sont fragilisés : faire semblant de donner sans rien céder.

L’enjeu principal pour le pouvoir dans ce référendum n’est donc pas tant la teneur de la constitution, mais sa volonté de faire valider par un vote populaire son passage en force contre le Hirak qui a n’a obtenu qu’une victoire à la Pyrrhus avec la sortie par la petite porte de Abdelaziz Bouteflika qui a eu le malheur de prétendre à un cinquième mandat présidentiel. Le véritable test se réduit ainsi au taux de participation, mais on peut faire confiance à l’appareil de l’Etat pour s’assurer un taux au moins confortable.  A la présidentielle il était de 40%, contesté fortement par les principales forces politiques et surtout par le Hirak. 

L’armée algérienne et le déploiement à l’étranger

La modification majeure de cette constitution consiste à rendre possible l’intervention de l’armée algérienne à l’extérieur de son territoire pour des « missions de maintien de la paix ». Ce qui ne signifie pas que l’armée s’interdisait de mener des opérations d’ingérence, seulement Alger a toujours eu un faible pour les opérations de type brabouzard confiées à une sécurité militaire très puissante. La situation sécuritaire le long de ses frontières, notamment en Libye et au Sahel voire en Tunisie, n’étant pas des plus stables, le contraint à revoir ses cartes. La multiplication au grand jour des interventions étrangères en Libye et au Sahel a poussé le pouvoir algérien, qui s’est rendu compte du peu de cas qu’on faisait de son avis, à déclarer par le bais de la modification de la constitution sa détermination à ne pas rester un acteur insignifiant des enjeux géopolitiques dans la région.   

Longtemps absent des missions de paix, Alger compte aussi, le cas échéant, intégrer des forces internationales ou régionales pour avoir un œil direct sur le cours des choses et influer sur le déroulement des évènements par une présence militaire conséquente. Mais pas seulement. Le président peut décider de l’envoi des troupes à l’étranger « après approbation du Parlement à la majorité de deux tiers des chaque chambre». Dans la vision mégalomaniaque que le pouvoir algérien a de son rôle, la possibilité d’intervenir à l’étranger vient conforter la perception qu’il a de lui-même en tant qu’Etat « pivot ». 

D’autres objectifs non-dits ne sont pas étrangers à ce changement. Entre autres celui de donner à une armée pléthorique, forcément sensible à la contestation politique et social de ses concitoyens, des raisons d’être autres que la défense du pouvoir. Son déploiement en dehors de son territoire apparait dans cette perspective comme un bon moyen de la distraire de la politique intérieure.  

Une menace qui date

Des analystes voient aussi dans cette modification dans les missions de l’armée, qui était en théorie exclusivement concentrée jusque-là sur la défense du territoire national, un message au Maroc et craignent une escalade dangereuse dans les tensions algéro-marocaines. On suppose également que cela lui permettra de conclure des accords de défense mutuelle avec la république des séparatistes du Polisario.  Et appréhendent que cela soit le prélude à une confrontation ouverte avec le Royaume. 

C’est possible, mais il ne faut pas oublier que le risque d’un affrontement ouvert avec le Maroc est constamment actuel depuis l’indépendance de l’Algérie. Il s’est beaucoup accentué depuis la récupération du Sahara par le Maroc.  Il y a eu même en 1976 deux accrochages successifs à Amgala entre les FAR et l’ANP supposée ne pas intervenir en dehors de ses frontières. On sait aussi que pratiquement tous les entrainements de l’armée algérienne se font dans cette perspective et on n ne compte plus le nombre de manœuvres militaires algériennes à tirs réels aux frontières avec le Maroc. C’est une donne que ni le commandement suprême des forces royales ni son état-major n’ignorent et on peut légitimement considérer qu’ils ne dorment sur leurs lauriers. 

Où placer alors l’éventualité d’un accord de défense mutuelle entre l’Algérie et la RASD ? C’est une évidence, Il ne peut avoir aucune valeur juridique et aucune conformité avec le droit international. La RASD, si elle a pu à un moment de grande confusion idéologique en Afrique intégrer par effraction, à l’abri de la guerre froide, l’Organisation de l’Unité Africaine et par la suite l’Union Africaine, il n’est pas inutile de rappeler qu’elle n’a aucune existence territoriale, aucun élément constitutif d’un Etat et aucune reconnaissance internationale. Elle n’est pas à ce que l’on sache membre de l’ONU. Même le Polisario dans ses oripeaux de mouvement de libération, les Nations Unies viennent de le préciser, n’y a aucune représentation officielle.

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