Politique
La crise libyenne, quels enjeux pour le Maghreb
La brutalité des propos du Ministre de l’Intérieur du gouvernement de Fayez Al Sarraj tenus il y a quelques jours à Tunis prédisant la chute de Tunis et d’Alger comme suite inéluctable d’une éventuelle défaite de Tripoli face aux troupes du Maréchal Haftar a eu le mérite de sensibiliser d’avantage les maghrébins à la proximité géographique du conflit qui secoue la Libye.
Depuis l’éviction de Kadhafi la Libye présente une image méconnaissable, celle d’un pays où le tribalisme dans son acception la plus rétrograde existe toujours, transcendant tout nationalisme, où les différents se règlent par les armes, où l’esclavagisme perdure, où l’est du pays est proche culturellement de l’Egypte et l’ouest du Maghreb, où l’islamisme politique a fait un retour en force et enfin où deux factions aux appuis étrangers intéressés se disputent le pouvoir.
Les efforts de la communauté internationale, diplomatie marocaine incluse, aboutissants à la signature d’un accord au Maroc en 2015 n’ont pas réussis à faire taire les armes.
S’affrontent le Gouvernement libyen d’entente nationale(GNA) présidé par Al Sarraj qui contrôle Tripoli et les environs, reconnu par la communauté internationale comme gouvernement légitime, soutenu par la mouvance islamiste, le Qatar et la Turquie d’un côté et l’Armée nationale Libyenne conduite par le Maréchal Haftar ex officier libyen célèbre pour ses déboires au Tchad et ses accointances avec les américains, soutenu par l’Egypte, les EAU, l’Arabie Saoudite, la France et la Russie de l’autre. Bref une belle brochette d’ « amis désintéressés » qui veulent aider ce pays à se reconstruire, rien que la Turquie a signé avec lui 25 milliards d’USD de contrats, dont la production dépasse le un million (1.25) de barils jour de pétrole, les côtes sont riches en énergies fossiles et qui compte seulement huit millions d’habitants.
L’avertissement lancé depuis Tunis par le Ministre libyen aux tunisiens et algériens n’est pas farfelu.
Il se base sur une analyse véhiculée par plusieurs think thank, faisant du Maghreb et du Sahel la prochaine proie de pays puissants et leurs acolytes qui se livrent à un jeu de destruction/ reconstruction de contrées disposants de richesses naturelles.
Le Maroc pour des raisons politiques, historiques et naturelles n’est pas concerné.
Le Sahel est riche en uranium, pétrole, or, diamants, fer, bauxite et la liste est longue. La France essaie de jouer le gendarme dans cette zone, elle peine. Elle a peur de Khalifa Haftar qui menace d’éventuels soutiens de Fayez Al Sarraj d’être exclus du partage futur du gâteau. Personne toutefois n’est dupe, Haftar jouit d’abord de la bénédiction des américains qui souhaitent se servir sur le butin sans s’impliquer militairement (nouvelle doctrine de Donald Trump). La Turquie soutient Al Sarraj pour monnayer avec le vainqueur ses 25 milliards d’USD de contrats non encore exécutés.
La nouveauté dans cette situation est que le butin comprend de façon déclarée deux pays qui ont tout fait pour ne pas apparaître comme concernés, à savoir l’Algérie et la Tunisie.
Deux ressources naturelles importantes font que ces deux pays sont l’objet de convoitises en plus de leur positionnement géographique : l’eau douce et les hydrocarbures.
La nappe de l’Albien est la plus grande nappe d’eau douce du monde, elle est à cheval entre l’Algérie, la Tunisie et la Libye. Sa réserve est estimée à 50.000 milliards de m3 d’eau. Située à l’Est de l’Algérie à 70%, elle se prolonge vers la Tunisie (10%) et la Lybie (20%). Au-delà de son utilité de rempart contre tout stress hydrique, l’Algérie souhaite l’utiliser pour exploiter le gaz de schiste dont son Est est richement doté, une fois que le gaz naturel commencera à diminuer et ce n’est pas dans très longtemps. L’Algérie a besoin de la manne pétrolière et gazière pour encore au moins 30 ans pour construire une économie autonome de la rente que lui assurent les énergies fossiles.
A l’Est toujours se situent l’essentiel des réserves pétrolières et gazières de l’Algérie. Réserves à protéger des appétits futurs de pays plus puissants et de l’incursion du terrorisme/banditisme qui infeste la zone.
L’Algérie a déjà fait violence à sa susceptibilité à fleur de peau en adoptant une loi en septembre dernier permettant aux entreprises étrangères d’accroitre leur présence dans le secteur des hydrocarbures, croyant acheter sa paix. Principal bénéficiaire la société Exxon Mobil, représentante de « l’impérialisme américain » pour reprendre un vocabulaire cher aux nostalgiques d’une certaine doxa, à qui on a confié la « prospection » des hydrocarbures dans tout le sud algérien. Certaines mauvaises langues disent qu’il n’y a plus rien à prospecter et que ce serait une couverture.
L’attaque du site gazier d’In Amenas par une quarantaine de terroristes venus du Mali via la Lybie est encore dans toutes les mémoires. Ressentie comme une véritable humiliation par les militaires algériens, elle a mis à jour la porosité de la frontière Est et Sud de l’Algérie. Pays le plus vaste d’Afrique, faut-il le rappeler. De surcroît quand elle exerce le droit de poursuite vers la Lybie, elle se fait rappeler « à l’ordre » par le Marechal Haftar qui la menace « de guerre ».
La Tunisie moins bien dotée en ressources naturelles se trouve prise en tenaille entre plus forts qu’elle. Contente d’empocher les dividendes (tourisme algérien et échanges de marchandises) de la fermeture des frontières entre le Maroc et l’Algérie auparavant, elle doit bien regretter le paisible Maghreb maintenant.
Les « stratèges » algériens qui ont cru pouvoir utiliser indéfiniment la « menace Maroc » sont appelés à réviser leurs calculs. Deux choses sérieuses pointent à l’horizon : l’opinion publique algérienne est de plus en plus dubitative quant aux visées bellicistes du Maroc, plusieurs ténors de l’opposition dont des poids lourds du mouvement islamiste l’ont reconnu ; la véritable menace pour l’Algérie vient de l’Est et du Sud, régions où se situe de surcroit ses richesses naturelles.
Aux « stratèges » algériens rétifs aux avantages de l’Union maghrébine nous sommes tentés, sans prétentions, de conseiller de focaliser sur l’Est et le Sud, pour le « front » Maroc on reprendra le titre de l’excellent écrivain pacifiste Erich Maria Remarque « A l’ouest rien de nouveau ».
Profitez de la main tendue.