‘’La Force de frappe’’ - Par Naïm Kamal

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Saïd Chengriha, chef d'État-Major de l'armée algérienne

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Par Naïm Kamal

Un article publié par Franceinfo consacré aux six sous-marins algériens vient de refaire surface sur les réseaux sociaux presque une année jour pour jour après sa publication le 18 février 2022.  

En gros, l’article rapporte que selon l'amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la Marine française, ‘’la Marine algérienne possède des moyens que la France n’a pas encore, ou depuis peu’’. Franceinfo, citant cette fois-ci le général Philippe Moralès, le commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes françaises, cité par le site spécialisé Opex 360, ‘’l'Algérie a désormais la possibilité d'interdire l’accès au détroit de Gibraltar’’.

Une ligne de conduite

L’Algérie n’ayant jamais fait mystère de son surarmement, cet article et ses sources n’apportent rien de nouveau si ce n’est, peut-être, l’alimentation de la peur que pourrait ainsi susciter Alger. L’exacerbation des tensions dans la sous-région fait partie de leur stratégie pour rester les maitres du jeu dans ce que Paris, mais pas seulement Paris, considère partie de sa chasse gardée. 

L’information de Franceinfo n’apporte d’autant plus rien qu’étaler sa ‘’force’’ est une ligne de conduite du régime militaire algérien pour en partie mieux rendre crédible sa fanfaronnade de ‘’force de frappe’’ et soutenir sa thèse d‘’’Etat pivot’’ autour duquel devraient graviter tous les autres pays de la région. C’est d’ailleurs dans ce même esprit qu’il a organisé l’année dernière un défilé militaire à la soviéto-nord-coréenne et crié sur tous les toits à l’occasion de l’établissement de son dernier budget consacrer 23 milliards de dollars à son armée dont 17 pour l’armement, faisant saliver tous ceux que la manne, et ils sont nombreux, intéresserait.

Du simple citoyen concerné à l’observateur le mieux informé, nul n’ignore contre qui l’Algérie a lancé depuis trois décennies une course effrénée à l’armement se plaçant continuellement au top ten des pays acheteurs d’armes de tous genres. 

Si elle estime qu’elle n’a pas mieux à faire c’est son droit.

Des talons d’Achille

Ce qui est plus ou moins surprenant en revanche, c’est l’exaltation de la force militaire de l’Algérie de manière à la conforter dans son sentiment de ‘’puissance’’. Cette méthode n’est pas sans rappeler cette vieille technique où l’on nous vendait l’armée irakienne comme la quatrième force militaire mondiale juste avant qu’elle ne soit décimée en moins de temps qu’il ne fallait pour y penser par les Américains et accessoirement leurs alliés suite à l’invasion très mal calculée du Koweït.

Que six sous-marins bourrés de missiles puissent bloquer le détroit de Gibraltar à la fois ‘’verrou, porte et interface stratégique’’ large de seulement 14 km dans sa partie la plus étroite entre le Maroc et l’Espagne, n’est pas techniquement quelque chose de difficile. Quelques porte-conteneurs géants y suffiraient. Mais qu’Alger dans un subit délire psychotique s’y essaye et l’Algérie se retrouverait dans ce que l’ex-secrétaire d’Etat américaine Madeleine Albright avait prédit à l’Irak : un saut en arrière de plusieurs siècles. 

Le problème est donc ailleurs. L’armée algérienne, pour surarmée qu’elle soit, a plus qu’un talon d’Achille. Elle n’est pas adossée à une cohésion sociale, ce qui en soi n’est pas très grave. Une guerre contre le Maroc par exemple pourrait aisément susciter une certaine adhésion, du moins au début. Plus préoccupant pour elle est qu’elle ne repose pas sur une économie prospère, productive, créatrice de valeur ajoutée et indépendante pour son armement et réarmement fut-ce dans les limites du raisonnable que dictent les puissances qui gouvernent le monde.

L’exemple américain

L’exemple est disproportionné mais de nature à donner à réfléchir. Lorsqu’ils s’étaient résolus tardivement, ou enfin trouvé les bons prétextes de se mêler lors du premier affrontement mondial des guerres européennes, près de trois ans après leur déclenchement, les Etats Unis d’Amérique ne disposaient pratiquement pas d’une armée digne de ce nom.

Formée principalement de conscrits, l’armée américaine ne réussit que difficilement à aligner 80 000 hommes à la fin 1917 dont seuls quelque 50 mille étaient opérationnels. Encore fallait-il que les belligérants coté alliés se chargent de leur armement et de leur entrainement. Au moment de l’armistice le 11 novembre 1918, les troupes américaines comptaient près de deux millions d’hommes. Et sans les Etats Unis, l’alliance Britanno-française ne serait jamais probablement arrivée à bout de l’alliance autour de l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. Ce miracle en rupture avec la doctrine de non-interventionnisme dans les affaires européennes, le vieux continent le doit à l’importante surface économique et financière, industrielle et scientifique des Américains qui va permettre aux alliés de soutenir l’effort de guerre. Elle le doit aussi à l’industrie automobile de l’Oncle Sam. Celle-ci, balbutiante ailleurs, très en avance aux USA pour l’époque, est l’un des atouts déterminants qui va lui permettre de remporter le dernier round de la ‘’Der des Ders’’.

C’est, toute proportion gardée, le même scénario qui va se répéter à la deuxième guerre mondiale. Contraints (ou n’attendant que l’occasion) par l’attaque aéronavale japonaise sur Pearl Harbor en 1941, les Américains repartent à la guerre relativement dans les mêmes conditions qu’à la première. 

Et s’ils rééditent l’exploit, c’est encore grâce en grande partie à leur triptyque économie-finances-industrie. Pour faire court, Washington avait contraint les géants de l’industrie automobile concurrents (Ford, Chrysler, Studebaker…) à mettre en commun leurs moyens (chaines de production, techniques de fabrication, partage des secrets industriels etc.).  

Recyclés au pied levé, les constructeurs automobiles et bien d’autres vont permettre une montée en puissance de l’armée américaine sans précédent dans l’histoire : Fabrication des chars, des camions, des avions et des bateaux de plus en plus performants, ainsi que des fusils, des munitions, des casques et des bombes. L’atomique elle-même doit quelque chose à DuPont, une entreprise d’industrie chimique fondée en 1802 par un Français qui avait fui la révolution dans son pays. Appelée à la rescousse, elle participe et supervise la construction de l'usine de production de plutonium sur le complexe nucléaire de Hanford pour le projet Manhattan qui allait s’abattre sur Hiroshima et Nagasaki consacrant pour longtemps les USA au rang de première puissance mondiale dictant au vieux continent comme au reste du monde son tempo.  

A l’évidence

Comparée à cette puissance de feu, mais pas seulement de feu, la ‘’Force de frappe’’ algérienne parait pour ce qu’elle est, dérisoire. Les élites algériennes qui ont pris le pouvoir ont passé ces soixante dernières années à faire les mauvais choix et à rater les occasions, avant de poursuivre la chimère de fantasme prussien, de faire de leur pays d’abord une puissance économique dont elles avaient les moyens pour s’imposer sans bruits ni fracas en leader naturel de la région. 

Leur tort est d’avoir abordé le problème à l’envers. Et persistent, semblant toujours ignorer qu’une guerre contre le Maroc ne pourrait produire au mieux qu’un énorme gâchis humain et matériel et des dégâts inimaginables pour toute la région. Elle ouvrirait leurs vastes frontières déjà fortement agitées aux vents du désordre et de la dissidence. 

Une guerre c’est le plus court chemin pour nous tous de revenir à nos situations antérieures à la colonisation. Des évidences, à l’évidence. Mais comment faire entendre ces lapalissades à une vieille garde qui n’arrive pas à s’affranchir des dogmes de la guerre froide dont le cours de l’histoire a prouvé qu’ils étaient erronés ? Et qui espère encore de la France un soutien décisif contre le Maroc voisin et ‘’frère’’.

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