Politique
Le Modèle du prophète Youssouf : Horizon des islamistes dans leur intégration à l’Etat
Abdalilah Benkirane, figure emblématique du PJD et son ancien secrétaire général et Mohamed Abbadi successeur de Abdeslam Yassine à la tête d’al-adl wa al-ihasan : Deux stratégies, un même bu ?
Une approche scientifique appréhende les islamistes et leurs transformations en fonction de l’influence du régime politique dans lequel ils évoluent. Elle lie leur modération ou leur radicalisme à l’ouverture du système politique ou à son enfermement.
Pour corroborer cette approche on prend pour exemple la modération des islamistes du Maroc, de la Jordanie et du Koweït où règnent des monarchies politiquement ouvertes.
Mais au Maroc, on rencontre une problématique qui parasite cette approche. Il s’agit de l’existence d’un contre-modèle représenté par le groupe Al-ad loua Al Ihsan. Bien qu’il opère dans le même environnement politique [que les islamistes du PJD] et évolue au sein du même régime [la monarchie], ce groupe à une représentation radicalisée avec laquelle il n’a pas voulu rompre en dépit des espaces ouverts qu’offre le système politique marocain.
Notons que les islamistes [modérés NDLR], au temps de Abdelkrim Motii [chef de file de chabiba islamiya], portait la même conception radicale qui repose sur la démarche du prophète Moussa [Moïse] dans son rapport au Pharaon, pour modéliser sa thèse de « la révolution des vulnérables contre le tyrannie politique.» Cheikh Abdeslam Yassine, fondateur d’Al-adl wa al-ihsan, s’est contenté d’y ajouter le rôle du leadership soufi dans la mobilisation de la foi et de la volonté jihadiste pour la réalisation de la révolution (al-qawma).
Les islamistes [du PJD] qui se sont affranchis de la tutelle de Abdelkrim Motii et sa chabiba islmya (jeunesse islamiste) arrivés à l’impasse, n’avaient devant eux comme perspective que de s’intégrer à l’Etat et de prôner la réforme de l’intérieur de sa structure et de ses institutions dans le respect intégral de ses règles.
Malgré cela ils ont continué pour un bon moment à subir une double crise, idéologique et politique, en raison du paradigme activiste qu’ils ont persisté à porter en vue de la réalisation de « l’Etat islamique ». Ils n’ont pu se débarrasser de ce dilemme qu’à l’université d’été sur l’Eveil islamique lorsque Abdalilah Benkirane a jeté une véritable bombe en déclarant que « l’Etat islamique est déjà établi au Maroc » et que l’effort à dilapider pour sa concrétisation devrait s’orienter désormais vers la consolidation des dispositions relatives à l’islamité de l’Etat expressément inscrites dans la constitution.
Au début, les islamistes [qui deviendront plus tard PJD NDLR] se sont énergiquement opposés à cette orientation et ont été contraints de retirer le porte-parolat à Benkirane pour confier la fonction à Mohamed Yatim qui, dans les années quatre-vingt-dix, rejoindra la ligne de Benkirane et justifiera sa position.
Depuis ces années-là à aujourd’hui, les islamistes du Maroc ont réalisé une avancée qualitative sur la scène politique et ont comblé le fossé qui les séparait de l’Etat. Leur pensée a également évolué et sont désormais convaincus que la structure de l’Etat ainsi que son cadre constitutionnel et institutionnel offrent un modèle alternatif aux efforts vains qui ont mobilisé pendant longtemps leurs énergies. Ils sont désormais persuadés que leur rôle consiste à renforcer l’Etat, à en approfondir la charge réformiste et à réunir les conditions de l’adhésion à ses décisions stratégiques.
C’est dire que les crises du PJD ne résident pas dans l’existence d’une crise dans la structure de l’Etat ni dans son entité constitutionnelle et institutionnelle. De même qu’il n’y a au sein de ce parti aucune évaluation qui remet en cause sa légitimité. Les crises du PJD se rapportent plutôt à des considérations propres et à la capacité de ses chefs de fil à gérer l’étape de façon qui satisfasse sa base militante et sociale.
La même problématique, mais plus complexe, se retrouve à Al-adl wa al-Ihasan
Ce groupe a été incapable d’assimiler l’effort politique qu’a fait le modèle sultanien pour s’adapter aux exigences de l’Etat moderne. Il se refuse aussi à prendre acte de sa dualité qui exige qu’on le traite en fonction de la logique démocratique et en même temps se refuse à toute reconnaissance de légitimité à l’Etat. Sans compter qu’Aladil wa Al Ihasan vit la plus grande crise que puisse traverser un mouvement islamiste qui avance à contre sens de ses plans théoriques.
Cette situation trouve ses origines dans la théorie de cheikh Yassine fondée sur la centralité du leadership spirituel qui conçoit le cheikh (guide) comme le moteur de l’éducation et de l’organisation ainsi que de la réalisation de la promesse prophétique (le Califat).
Que reste-t-il aujourd’hui des théories de Yassine ?
Ses disciples assistent à un alignement sans précédent entre deux lignes. La ligne orthodoxe qui considère nécessaire la désignation d’un guide pour remplir le même rôle que cheikh Yassine afin de rendre au groupe sa vitalité intellectuelle et à ses composantes leur cohésion. Et la ligne qui s’est accaparée les positions politiques laissées vacantes par le décès de Yassine, porte encore sa vision, mais n’est nullement préoccupée par les questions idéologiques ou le resserrement des rangs. Tout ce qui l’intéresse c’est la continuité du groupe avec le minimum possible de confrontation avec l’Etat.
Ce qu’on retiendra de ce qui précède c’est que l’Etat au Maroc a réussi à approfondir la crise des islamistes. Si bien qu’une partie a adopté le modèle du prophète Youssouf et son style de coopération avec le roi, sans atteindre les conditions de l’option réformiste dans laquelle elle s’est engagée, tandis que l’autre partie est tombée dans une double crise : l’absence de prise sur la réalité et l’attachement à l’utopie du changement radical.