Politique
Le PJD sous Benkirane : Le pari incertain de renouer avec les victoires électorales – Par Bilal TALIDI
Tout au long de son ascension électorale, le PJD a bénéficié de deux tendances qui ont caractérisé cette époque. Le charme indiscret de Benkirane suffira-t-il à renouer avec ce passé glorieux ?
L’important aujourd’hui n’est pas de décrire l’étape du congrès extraordinaire du PJD, ni comment les membres du parti ont géré, par la démocratie interne, une des crises les plus profondes de l’histoire de cette formation politique. Certains militants du parti sauront mieux faire valoir ce qui distingue le PJD de ses pairs et sa capacité à faire déchanter ses adversaires grâce à pareille «noce démocratique».
Il s’agit plutôt ici de répondre à des questions circonstancielles : Pourquoi le PJD a-t-il opté pour le retour de Benkirane ? Ce comeback est-il une solution pour le parti ? Benkirane détient-il toujours la panacée à même de permettre le rétablissement du parti ? Pourra-t-il avec ses recettes antérieures aboutir aux mêmes résultats dans un contexte politique qui a connu des mutations profondes ?
Que signifie le retour de Benkirane
Pour bien comprendre ce qui s’est passé au congrès extraordinaire à l’étape du vote pour ce que sera le futur proche du parti, il faudrait se concentrer sur trois indicateurs importants.
Le premier concerne le taux de 81% des voix remportés par Benkirane.
Le deuxième porte sur l’absence de rivaux représentant la génération des fondateurs. Quant au troisième qui conforte ce deuxième indicateur, il consiste en l’émergence, fut-elle marginale, de nouveaux prétendants issus de la deuxième génération.
Le deuxième indicateur (l’absence de rivaux de la génération des fondateurs) suffit pour comprendre les raisons favorisant le retour de Benkirane. Même si l’ordre du jour n’avait pas prévu l’évaluation politique des résultats des dernières élections, la majorité des congressistes, en votant pour Benkirane, a produit une position qui renferme l’évaluation de l’exercice précédent, et exprime un fort ressentiment à l’encontre de la direction sortante tenue pour responsable de la situation actuelle du parti.
Le troisième indicateur corrobore, lui, ces déductions portant sur le conflit intergénérationnel au sein du PJD et à la forte impression chez les membres du parti qui persistent à percevoir la crise comme le produit des conflits opposant les dirigeants historiques et leurs conceptions conservatistes.
Quant au premier indicateur, le retour de Benkirane, il révèle essentiellement que le parti n’est pas encore suffisamment mûr pour opérer une rupture complète avec le leadership historique. Ce qui signifie que le PJD souffre d’une stérilité en termes de reproduction d’élites nouvelles. Cette aridité patente s’exprime par la référence récurrente des membres du parti à la nature exceptionnelle de l’étape actuelle (crise du parti et sa débâcle électorale).
L’insistance dans ce contexte sur le rôle d’avant-garde de la direction qui pourrait le faire sortir de cette crise, et la candidature - de fait unique, les autres candidatures ayant plutôt servi ou de leurre ou de lièvres – de Benkirane, rendent parfaitement compte de cette situation.
Un contexte défavorable
Certains s’imaginent que la simple élection de Benkirane pourrait résoudre le problème et permettre au parti d’enchainer les victoires successives, comme ce fut le cas sous sa conduite en 2009, 2011, 2015 et 2016. Ce n’est malheureusement qu’une vue de l’esprit émotionnelle et à la fois superficielle, qui élude nombre de dimensions du problème.
Pour rappel, les précédentes victoires sont intervenues suite à une accumulation qui s’est échelonnée sur plusieurs années et qui a fait que le PJD n’a connu qu’une progression électorale et aucune défaite depuis son intégration au jeu institutionnel en 1997. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, avec l’élection de Benkirane à la tête d’un parti presque effacé de l’échiquier politique, quasi-absent de la représentativité parlementaire.
Les moments de gloire et des victoires électorales étaient liés à une rare cohésion interne, alors que Benkirane hérite aujourd’hui d’une formation disloquée et fracturé aussi bien au niveau de sa direction que de ses bases, induisant dans leur sillage une dépression intellectuelle, politique et psychologique en son sein.
Ces fractures sont d’autant plus impactantes que le paysage politique national aussi bien que le contexte régional et international ont connu d’importantes évolutions.
Tout au long de son ascension électorale, le PJD a bénéficié de deux tendances qui ont caractérisé cette époque. La première concerne le soutien des puissances internationales aux transformations démocratiques entre 2002 et 2008. La seconde a été au « printemps arabe » (2010/2011) qui a favorisé l’accès des islamistes au pouvoir. Tandis que dans la phase actuelle, le parti subit les contrecoups d’un automne démocratique entamé en 2013 en Egypte, avant d’atteindre la Tunisie en 2021, en passant par le Maroc où les islamistes ont dit quitté le gouvernement du pouvoir suite à la débâcle électorale de septembre dernier.
Pas de baguette magique
La conjugaison de ces trois dimensions font qu’il serait chimérique de croire à un retour en force du PJD sur la scène politique ou à la réalisation de victoires électorales, surtout que la nouvelle direction ne jouit que d’un mandat exceptionnel et préparatoire au congrès ordinaire.
Les priorités de Benkirane aujourd’hui se résument à des taches bien précises : réparer l’appareil du parti, mettre fin aux dissensions internes, élaborer une réponse politique collective, chercher une nouvelle approche politique capable de transcender les pannes actuelle et redorer l’image abimée du parti auprès de l’opinion publique.
Dans une allocution suite à l’annonce de son élection en tant que Secrétaire général du parti, Benkirane a esquissé les contours de sa vision éminemment traditionnelle. Il s’agit de l’attachement au référentiel islamique pour resserrer les rangs internes, la réconciliation des composantes du parti, l’attachement à la monarchie et au renforcement de l’Etat, l’adéquation entre le service de l’Etat et la représentation du peuple, la fidélité aux principes, et la dispense du conseil au pouvoir avec la meilleure bienséance possible.
Faut-il le rappeler, mais Benkirane, suite à son limogeage de la chefferie du gouvernement, avait conclu dans l’évaluation de son parcours politique, à la revendication d’une réforme constitutionnelle devant définir les prérogatives de chacune des institutions et préciser leurs rapports. Dans sa dernière sortie, il a plutôt appelé à observer une position d’expectative, au moins à court terme, en attendant que se précisent et s’éclaircissent les contours du paysage politique.
Benkirane est un leader doué d’un charisme indéniable, d’une intelligence politique exceptionnelle, et d’une capacité formidable à galvaniser l’appareil du parti et à mener les combats politiques et médiatiques. Ces compétences ont servi à un moment où le PJD jouissait d’un positionnement politique conséquent. Il n’en va pas de même aujourd’hui que le parti a le plus besoin de retrouver sa cohésion interne et d’ouvrir un débat pour produire une nouvelle approche politique.
Dans sa situation actuelle, Benkirane ne peut se passer de l’effort et du temps pour comprendre la nature d’une organisation dont il s’est éloigné pendant quatre longues années. Il devra cerner les transformations à l’œuvre au sein du parti, décortiquer les centres d’influence et leurs réseaux de la fabrication de l’opinion en interne ainsi que comprendre la nature des polarisations qui s’y opèrent. Sans jamais perdre de vue dans ce processus l’indispensable écoute et l’impérieuse sagesse dans la prise de décision, même si la fermeté nécessaire pour surmonter les défaillances actuelles demeure incontournable.
Nul ne remet en question les compétences politiques, communicationnelles et médiatiques de Benkirane, ni sa juste appréciation de l’équation politique dans le pays. Mais, les défis auxquels le PJD est confronté requièrent la pédagogie et la persuasion, la bonne écoute et l’esprit de synthèse pour le resserrement des rangs. Ils appellent aussi la bonne méthodologie pour l’intégration des dirigeants réfractaires, en vue d’insuffler au parti le dynamisme qui lui permettait de mener ses prochains combats.