Les enseignants contractuels face à la manœuvre de la limite d’âge - Par Bilal Talidi

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L’opposition que le ministre de l’Education nationale entend créer par sa décision entre les moins et les plus de 30 ans a fort probablement pour dessein la provocation d’une nouvelle contestation devant servir de contrefeux à la contestation originelle

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Il ne fait aucun doute que le dossier de ce que l’on appelle les enseignants contractuels (cadres des académies régionales d’éducation-formation) constitue toujours un sérieux problème sécuritaire que le paquet des privilèges et des concessions fait par le gouvernement El Otmani n’a pas réglé dans sa totalité.

L’on se rappelle que lors de la précédente campagne électorale, l’Istiqlal, par la voix de son Secrétaire général Nizar Baraka, aujourd’hui ministre de l’Equipement et de l’Eau, avait promis l’abrogation du système des contractuels et l’intégration pure et simple de ces cadres (environ 120.000 personnes) dans la fonction publique. Le RNI avait, lui, promis une hausse des salaires de 2500 dirhams pour les enseignants.

Une décision surprise

Ces promesses, allant à l’encontre de la stratégie de l’Etat en la matière, ont stimulé les protestations menées par les cadres des académies, au point de les installer dans la certitude que le combat de la rue est productif et que leur catégorie professionnelle est devenue un déterminant dans l’équation électorale.

C’est le ministre du Budget, Faouzi Lakjâa, l’homme venu des arcanes de l’Administration et fin connaisseur des contraintes budgétaires, qui a remis les pendules à l’heure. A contrepied de Nizar Barak, tenant un discours d’Etat, il n’a pas seulement dissipé le rêve de l’intégration dans la fonction publique, mais il a évoqué l’extension du système des contractuels au secteur de la santé, introduisant un nouvel argument dans le débat public, utilisant certains contractuels les uns contre d’autres.

Durant la semaine en cours, le ministre de l’Education nationale, Chakib Benmoussa, a exprimé son intention d’amorcer un dialogue avec les représentants de cette catégorie. Au même moment, le porte-parole du gouvernement faisait savoir que ce dossier sera bientôt clos définitivement, grâce à un lot de réformes que le gouvernement compte annoncer fin novembre.

Sauf que sans attendre l’annonce des contours de ces réformes, le ministère de l’Education nationale a lancé un concours pour le recrutement de 15.500 personnes dans le statut de cadres des académies, en insérant une curieuse condition d’éligibilité consistant à limiter à 30 ans l’âge d’admissibilité à ce concours.

Ce qui n’a pas manqué de susciter une vaste campagne de critiques à travers les réseaux sociaux, décriant cette condition perçue comme une énorme régression, tant par rapport aux décisions du gouvernement Benkirane, qui a ouvert le concours aux moins de 45 ans, que par rapport à celles du cabinet El Otmani qui avait étendu cette limite d’âge à 50 ans. Certains se sont empressés d’annoncer la création d’une coordination nationale pour l’abrogation de la condition des 30 ans.

La faiblesse de l’explication sociologique

Un énorme débat s’en est suivi pour tenter de comprendre le comportement du gouvernement, ou plus précisément celui du ministre de l’Education nationale. Certains, allant au-delà de la bienséance dans leurs critiques, ont attribué cette sortie du ministre à son ‘’incompétence’’ en la matière et à son manque d’expertise dans le domaine de l’éducation. D’autres ont commencé à égrener des explications politiques, adossées à des données sociologiques incertaines, considérant que la catégorie la plus influente dans l’action de contestation menée par les contractuels est précisément celle dont l’âge oscille entre 30 et 50 ans, que c’est cette tranche d’âge qui redoute le plus l’absence de garanties d’égalité des chances prévues par le régime de la fonction publique aux agents titulaires. En conséquence, la limitation à 30 ans de l’âge de la fonctionnarisation serait en somme destinée à circonscrire l’élan contestataire.

S’il est vrai que l’expertise de M. Benmoussa dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement est incontestablement limitée, il n’en demeure pas moins que la prise de ce type de décisions qui requièrent une expertise administrative, ne peut se faire sans une consultation préalable de l’appareil administratif. Il s’agit précisément du Secrétariat général du ministère qui a accumulé une grande connaissance du dossier en raison d’une longévité à ce poste qui a couvert au moins les trois derniers gouvernements, soit la période qui correspond à la genèse de ce dossier.

La seconde explication, qui se rapporte aux considérations sécuritaires en relation avec la composition sociologique de la contestation des enseignants contractuels, obéit à une logique argumentaire qui n’est pas négligeable. Cependant cette logique perd de sa pertinence lorsque l’on sait que la limitation de l’âge à 30 ans pourrait enfanter une contestation d’un autre type qui viendrait se greffer au mouvement de protestation initial, compliquant davantage un dossier aux ramifications multiples sur le plan sécuritaire. Ce qui ne peut échapper à la perspicacité de M. Benmoussa qui en connait un rayon de par son expertise en tant qu’ancien ministre de l’Intérieur.

Le sens d’une manœuvre 

L’opposition que le ministre de l’Education nationale entend créer par sa décision entre les moins et les plus de 30 ans a fort probablement pour dessein la provocation d’une nouvelle contestation devant servir dans son esprit de contrefeux à la contestation originelle censée de cette manière s’éteindre dans le tumulte générale.

Le but de la manœuvre serait donc d’affaiblir l’argumentaire des opposants au système contractuel en  leur montrant que la protestation contre la limitation de l’âge à 30 ans, réduite à ne demander plus que le droit d’accès au concours, est bien plus forte que leur mouvement. Le stratagème est certes alambiqué, mais il cherche in fine par la division des rangs à affaiblir le mouvement de rejet de la contractualisation et, lors des négociations avec ses représentants, à faire passer pour minoritaire les contestataires du système contractuel. 

Dans ce sens, il faut croire que le gouvernement finira par abandonner la condition limitant l’âge d’accès à 30 ans. Mais ce ne sera acté qu’à la fin du dialogue avec les contractuels, une fois que la boule de neige des protestations contre cette limite d’âge aura suffisamment grossi pour faire passer pour secondaires les protestations des cadres des académies. Le ministre aura alors tout loisir de faire valoir dans le dialogue que la protestation que mènent les candidats au concours d’accès aux cadres des académies (les nouveaux contractuels) vise à élargir l’assiette des bénéficiaires de ce système, tandis que les cadres des académies qui ont déjà profité de cette opportunité n’auront plus à faire valoir que leur habituel argument, désormais obsolète, qui consiste à dire que ce système contractuel n’était pas leur choix mais leur a été imposé.

 

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