Politique
Maroc - Espagne : Madrid accentue l'hostilité
Les Rois du Maroc et d’Espagne Mohammed VI et Felipe VI : Le gouvernement actuel espagnol doit s'en faire une raison : le Maroc attend des actes et des gestes situant ses responsabilités
Le Parlement européen a adopté le 10 juin courant, une résolution relative à la "Violation de la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant et utilisation de mineurs par les autorités marocaines dans la crise migratoire à Ceuta". Tout a été dit sur ce texte qui ne trompe personne en ce qu'il est le résultat de l'Espagne engagée dans un bras de fer avec le Maroc.
Cette proposition de résolution commune, votée telle quelle en séance plénière, a été présentée par 28 eurodéputés du groupe PPE et 17 autres (groupe S&D, groupe Renew et groupe Verts/AL. Elle a donné lieu au scrutin suivant : 397 oui, 196 abstentions et 85 non. La tonalité de cette résolution est celle de l'hostilité. Du parti pris. Et de la mauvaise foi. Certains eurodéputés n'ont donc rien d’autre à trouver que de reprocher au Maroc sa politique en direction des droits des mineurs qui ne seraient pas respectés. Mauvais procès, mauvais terrain...
Des eurodéputés blâmables
Mauvaise foi, aussi : à quoi tient la crise entre Rabat et Madrid ? Aux conditions dans lesquelles le dénommé Brahim Ghali a séjourné en Espagne avec une fausse identité et de faux papiers, prétendument pour une raison "humanitaire", alors qu'il est poursuivi précisément dans ce même pays pour des crimes de viol, tortures, crimes contre l'humanité, etc. Le gouvernement espagnol prend la pleine responsabilité de cette situation ; la justice de ce pays aussi qui s'est totalement décrédibilisée en se bornant à une seule audition par visioconférence alors que sur le chef séparatiste pèsent des charges accablantes. Quant aux eurodéputés qui ont voté la résolution, ils sont tout aussi blâmables. Leur texte consacre quatre lignes à l'origine de la crise en faisant état de la situation créée par le séjour "médical" de B. Ghali. Si ces élus étaient dignes de leur mandat et de leur mission, ils n’auraient pas entériné une procédure d’urgence, dite " fast track"; se préoccuper de tous ses tenants et aboutissants ; et tenter de privilégier une approche éligible à un partenariat entre l'UE et le Royaume.
L'Espagne accentue donc l'hostilité. La hargne même. Ayant épuisé les ressources offertes par le Parlement européen, elle se déploie également dans un autre domaine relatif aux relations de Rabat et de Washington. Des démarches ont été ainsi faites auprès de la nouvelle administration américaine Biden, pour la faire revenir sur la Déclaration du 10 décembre dernier sur la marocanité du Sahara marocain. Le Secrétaire d'Etat Blinken a été contacté à ce sujet. L'Espagne considère que la nouvelle situation a eu des conséquences pour ses intérêts foulant ainsi aux pieds le cadre général du partenariat privilégié la liant au Maroc. Difficile, dans ces conditions, de ne pas s'interroger sur ces manœuvres espagnoles.
Cela dit, des leçons sont évidemment à tirer de cette résolution du Parlement européen. L'une d'entre elles a trait au décalage entre ce texte et la position de l'exécutif européen. Ainsi, la Commissaire européenne à l'Egalité, Helena Dalli, a fait une déclaration jeudi au Parlement européen confirmant de nouveau la position constante de l'UE sur le partenariat entre le Maroc et l'Europe. Elle souligne en substance tous les efforts de Rabat dans le domaine migratoire ; elle se félicite en particulier de la décision des autorités marocaines de régler définitivement la question des mineurs non accompagnés ; elle précise encore que la résolution adoptée par certains eurodéputés ne "reflète nullement la position voire la doctrine de l'Union européenne sur le caractère stratégique du partenariat avec le Maroc ; elle insiste sur le référentiel des "valeurs partagées" et ce sur la base des principes de "dialogue, de responsabilité, de confiance mutuelle et de respect".
Une diplomatie différente…
Un autre enseignement doit être mis en relief. Nul doute que la diplomatie marocaine va appréhender en des termes différents l'état de ses rapports avec différents membres de l'UE. Jusqu'à présent, il y avait comme une sorte de tropisme sur Paris et Madrid. Une mise à plat est évidente à cet égard : accentuer l'ouverture et le partenariat en direction des pays de l'Europe de l'Est qui n'ont pas soutenu la résolution espagnole ; revoir les relations avec Paris par suite de la tiédeur de son soutien - pas seulement au Parlement européen - illustré par le ralliement des eurodéputés du parti La République en Marche " du président Macron ; prendre acte de l'abstention de la majorité des eurodéputés allemands alors que la crise diplomatique Rabat-Berlin persiste ; enfin, mettre au net aussi les rapports tant avec le gouvernement espagnol socialiste espagnol de Pedro Sanchez mais aussi avec l'ensemble des partis de ce pays. Une piste également pour la diplomatie parlementaire marocaine. Tant de commissions mixtes avec des dizaines de parlements ! Mais quel actif ? Si les parlements arabe et africain ont légitimement soutenu le Maroc en l'espèce et réaffirmé leur solidarité, le silence le plus assourdissant a prévalu ailleurs, surtout en Europe... Même retenue du côté des internationales socialiste et libérale, dont sont membres respectivement 1'USFP, l'UC, le MP et le RNI. Il reste donc encore beaucoup à faire dans ces multiples cadres institutionnels pour porter la voix du Maroc et de ses fondamentaux nationaux. Les agendas de rencontres ne doivent plus être des exercices conventionnels de style, mais une opportunité de nouer des liens sur la base d'un relationnel entretenu. Quels parlementaires des deux Chambres peuvent se targuer d'un carnet d'adresses en Pologne, en Hongrie, en Hollande ou ailleurs ?
Une dernière observation de principe intéresse le domaine géopolitique. Voici des décennies, le discours officiel marocain privilégiait - à l'envi même - la vocation européenne du Royaume. A titre illustratif, l'on se souvient dans cette même perspective de la demande d'adhésion du Maroc à la CEE formulée et déposée à Bruxelles en mars 1985 par SM Hassan II. Durant des années, un groupe d'universitaires a été particulièrement mobilisé dans ce sens dans le cadre de programmes de recherches et de débats sur le partenariat et même le codéveloppement - il était formé notamment de Habib El Malki, Abdallah Saaf, Assia Bensalah Alaoui, Mohamed Raja Amrani, Fouad Ammor et du signataire de ces lignes). Mais aujourd'hui, les termes de référence des rapports entre le Maroc d'un côté et ses partenaires européens, surtout la France et l'Espagne, ont enregistré bien des changements. Les élites ne se connaissent plus ou très peu ; les "réseaux" traditionnels ne sont plus opératoires ; une nouvelle génération s'est installée. La responsabilité est partagée, il faut bien le relever ; les regards croisés n’ont plus la même nature ni la même dimension. Souvent, dans la rive Nord de la Méditerranée, perdure une perception tronquée d'un Maroc d'aujourd'hui : celui de la démocratie, de la modernité et des chantiers de réformes. L'on a bien vu, dans une certaine presse espagnole, ces dernières semaines, une resucée de cette image nous qualifiant même de pays… "sous-développé". Affligeant ! Un état d'esprit que l'on retrouve dans la résolution du Parlement européen marquée du sceau de la condescendance comme si le Maroc devait être mis en garde et sifflé pour se plier aux oukases des eurodéputés.
Pas de « linkage » Rabat-Madrid / Rabat-UE
Enfin, deux niveaux d'analyse doivent être distingués dans les mois et les années à venir. Il n'y a en effet aucun "linkage" entre les relations Rabat -UE et celles avec Madrid. Le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, l'a réitéré, soulignant la qualité et la dimension d'un partenariat privilégié. Ainsi de gros dossiers intéressant des secteurs différents sont à l'ordre du jour : Pacte Vert, Pacte Numérique, un accord relatif au commerce et à l'investissement,... En revanche, c'est Madrid qui s'est mobilisée pour "européaniser " la crise qu'elle a ouverte avec Rabat. Une "fuite en avant" traduisant les errements d'un exécutif socialiste espagnol fragilisé au-dedans qui n'arrive pas à gérer la crise qu'il a ouverte avec le Maroc par suite de l'accueil de Brahim Ghali, chef séparatiste de la milice du "Polisario", sous une fausse identité pour se soigner du coronavirus et ce du 21 avril au 1er juin.
Le gouvernement actuel espagnol doit s'en faire une raison : le Maroc attend des actes et des gestes situant ses responsabilités. Les gesticulations militaires maritimes au large de la ville occupée de Sebta pas plus que les postures officielles ne sont pas de nature à conforter un climat d'apaisement et de normalisation. Derrière son Roi, Mohammed VI, c'est un peuple qui est mobilisé autour de la question sacrée du Sahara marocain, condamnant l'atteinte qui lui a été portée en l'occurrence.