Normalisation avec Israel ? El Othmani devrait relire la constitution (Par Mustapha SEHIMI)

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Saâdeddine El Othmani aurait-il besoin d’un "bachotage" supplémentaire de la Constitution ?

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L'actuel Chef du gouvernement, par ailleurs secrétaire général de la formation islamiste du PJD depuis décembre 2017, paraît incorrigible. Il n'a pas encore appris qu'il doit rester dans son couloir, pour employer une métaphore sportive. Il a des attributions expressément définies dans la Constitution de juillet 2011. Qu'il veille donc à les assumer dans leur plénitude alors que depuis plus de trois ans, bien des interpellations royales et autres - témoignent d'un déficit dans ce domaine.

Or, le voilà qui braconne hors de son champ et dans la question de la normalisation avec Israël. Dimanche dernier, lors du 6ème Forum de la jeunesse de son parti, il a tenu à prendre position non pas sur les grands dossiers à l'ordre du jour (rentrée scolaire, déconfinement, crise sociale, relance économique,...) mais sur... la normalisation avec Israël ! Actualité oblige, sans doute, avec l'annonce de l'accord de paix, en date du 13 août, par les Etats-Unis entre Israël et les Emirats arabes unis. En cette occurrence, Saâeddine El Othmani aurait pu s'en tenir au rappel de la position connue du Royaume. Mais il est allé plus loin en se faisant le porte-parole d'un rejet du "Roi du Maroc, du Gouvernement et du peuple marocain" de toute normalisation avecl'Etat hébreu. Evoquant ensuite l'engagement du Maroc à "défendre les droits des Palestiniens et des Maqdessis", il a réitéré le "caractère arabe et musulman d'Al Qods". Enfin, pour conclure, ceci : ce sont là, à ses yeux, "des lignes rouges à ne pas franchir..." 

Mais qui veut aujourd'hui les franchir ? Une mise en garde voire une menace à peine voilée et feutrée : contre qui ? Il a bien tenté, quelques jours plus tard, de recadrer son discours dans une déclaration au site Le 360.ma comme suit : "J'ai parlé en tant que responsable du PJD pas en tant que Chef du gouvernement". Un dédoublement de casquette bien laborieux qui ne trompe personne. 

Dans la foulée de l'accord avec les E.A.U., l'administration américaine s’emploie à tirer parti de cette nouvelle donnée. Cette action diplomatique devait commencer, depuis dimanche, en Israël, puis à Bahreïn, Oman, les Emirats arabes unis et le Soudan. Quant à la tournée de Jared Kushner        - conseiller spécial et gendre du président Trump - qui la prolonge pratiquement, elle est prévue, elle, en Israël, Bahreïn, l'Arabie saoudite ainsi que le Maroc. Il sera accompagné d'Avi Berkowitz, émissaire de Trump au Moyen-Orient, Robert O'Brien, conseiller à la sécurité nationale et Brian Hook, en charge du dossier iranien. 

Dans le Royaume, cette délégation américaine va-t-elle arriver à infléchir, de telle ou telle manière, la position de principe qui est celle de Rabat depuis toujours, défendue et assumée dans la clarté et la responsabilité par le Souverain ? Personne ne le croit. Comme l'a rappelé dernièrement le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, "il ne faut pas être plus palestinien que les Palestiniens". Pas de surenchère politicienne donc ! Les Emirats vont être le troisième pays à suivre la voie de la normalisation avec Israël, après l'Egypte (1979) et la Jordanie (1994). Bahreïn et l'Egypte se sont empressés de saluer l’accord avec les Emirats; pas l'Arabie saoudite qui a réaffirmé par la voix du ministre des Affaires étrangères, Fayçal Ben Farhane, que toute normalisation avec Tel-Aviv était exclue sans "accord avec les Palestiniens". 

Cette ligne-là est celle du Maroc. Lors de la première visite de Jared Kushner au Maroc, à la fin mai 2019, puis de la seconde, le 1er août, SM le Roi a fait état de l'engagement du Maroc à adopter une position équilibrée susceptible de "rétablir le climat de confiance et de relancer le processus de paix entre les parties palestinienne et israélienne". A l'endroit du "Deal du Siècle", préparé par Jared Kushner depuis deux ans, le Maroc avait pris nettement ses distances, à la veille de la tenue de la Conférence de Manama ; un représentant non officiel s’est limité à participer seulement aux travaux de "l'atelier économique " de Bahreïn... 

En décembre 2019, à l'issue de sa visite officielle au Royaume, Mike Pompeo, Secrétaire d'Etat américain, a fait mettre en ligne un briefing aux termes duquel " la question de la normalisation des relations du Maroc avec Israël n'a pas été discutée", démentant certaines "fuites" dans la presse israélienne. Le Roi a aussi opposé son veto à la présence de Benyamin Netanyahou avec ce même secrétaire d’Etat lors de cette visite au Maroc, le chef de l'exécutif israélien ayant fait spécialement le voyage le 4 décembre à Lisbonne pour se joindre à l'officiel américain. 

Ce rappel était nécessaire pour interpeller Saâdeddine El Othmani. Ses appréhensions et ses craintes quant à la position du Maroc sur la normalisation avec Israël sont infondées. Et même irrecevables. La politique étrangère du Royaume est conséquente, responsable, proactive. Sa doctrine et sa mise en œuvre par l'action diplomatique relèvent des attributions du Roi. C'est un domaine on ne peut plus régalien, de souveraineté - un "domaine réservé" qui se retrouve dans d'autres démocraties où le Chef d’Etat est au cœur de l'édifice institutionnel (France,...). 

Le champ diplomatique échappe au Chef du gouvernement. Déjà, lors de son court et peu probant passage au ministère des Affaires étrangères (janvier 2012 -octobre 2013), il n'avait pas vraiment fait la preuve de sa compétence ni de sa sagacité. A la fin janvier 2012, à l'issue d'une visite à Alger, il était revenu euphorique, proclamant la "normalisation" avec le voisin de l'est. Quelques semaines plus tard, au Koweït, en mars 2013, il reçoit les membres d'un parti d'opposition de la mouvance des "Frères Musulmans". Et tant d'autres impairs non publics.... 

Promu Chef du gouvernement en avril 2017 malgré tout - comptabilité électorale oblige... - El Othmani ne s'est pas davantage distingué par un allant, un savoir-faire et un engagement retenant l'intérêt. Dans notre système, le chef de l'exécutif, quel que soit son appartenance partisane, ne peut pas voir une diplomatie décorrelée peu ou prou de celle définie par le Roi, mise en œuvre pratiquement au quotidien par le ministre des Affaires étrangères. Ses prédécesseurs dans ce département avaient des qualités propres: le sens du relationnel chez Mohamed Benaissa, la maîtrise des dossiers chez des esprits structurés, ouverts à l’international - au-delà de l'aire levantine et islamique "frériste’’, tels, Tayeb Fassi El Fihri et aujourd'hui Nasser Bourita, une communication opportune et efficiente. Si bien que Saâeddine El Othmani est astreint, par la force des choses, au seul service minimal lié à son statut actuel. Et même dans ce strict périmètre, pourtant bien balisé protocolairement, il fait des impairs. Le plus connu d'entre eux est celui de sa rencontre avec le ministre kosovar des Affaires étrangères - ancien président – Belget Pacolli, le 25 septembre 2018 à New York, en marge de la 73ème session de l'Assemblée générale des Nations -Unies. De quoi irriter tant le Serbie que la Russie alors que ce pays n’est pas reconnu par comme membre de l'ONU. Deux semaines plus tôt, Nasser Bourita avait été reçu par le président serbe, Aleksander VUCIC, un gentleman agreement confortant alors une position commune sur les entités séparatistes (Kosovo, "RASD"). 

Alors ? Alors, Saâdeddine E1 Othmani est sûrement une personne estimable. Mais c'est son cahier de charges qui est mal appréhendé et mal assuré. En ces temps de rentrée scolaire et universitaire, un "bachotage" supplémentaire de la Constitution n'est-il pas nécessaire ? Un Chef de gouvernement ne devrait pas dire ces choses-là…

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