Politique
Où va le PJD ?
Abdalilah Benkirane épaulant Saâdeddine El Othmani ou l’accolade de l’araignée ?
C’est une véritable secousse qui a ébranlé le PJD depuis le rétablissement des relations avec Israël et la signature par Saâdeddine El Othmani de l’accord trilatéral.
Pour l’instant, la problématique demeure indéfinie. Certains voient que le problème réside dans la contradiction entre les positions et les principes, dans ce sens où c’est le chef du parti qui refusait la normalisation et critiquait les politiques gouvernementales tendant secrètement vers cette normalisation, qui signe, en sa qualité de chef du gouvernement, l’accord avec Israël. D’autres le situent dans la nature de la participation à l’exécutif dans le cadre d’une constitution qui place entre les mains de l’Etat la conception et la gestion des politiques étrangères tout en liant le chef du gouvernement par l’obligation de les soutenir, notamment quand il s’agit de la cause nationale.
Un troisième groupe va plus loin. Il ne considère pas qu’il s’agisse d’une opposition entre la logique du parti et la logique de l’Etat - le parti refusant toute relation avec Israël et l’Etat s’y engageant dans l’intérêt de la cause nationale - mais d’une opposition entre les intérêts de l’Etat national et les intérêts des causes de la Nation [la Oumma arabo-islamique NDLR].
Un quatrième groupe s’attache, lui, à la gestion des relations entre les institutions. De son point de vue, l’Etat pouvait poursuivre ses objectifs stratégiques tout en évitant au parti, à se demande ou pas, la gêne de la participation directe à la conclusion de l’accord.
Enfin un cinquième groupe estime que dès les balbutiements de ce scénario il y a deux ans, la direction du parti aurait pu anticiper ce qui allait advenir et agir en demandant qu’on lui évite l’embarras en perspective, sachant qu’il n’est pas impossible qu’elle aurait trouvé de la compréhension et un écho favorable auprès de l’Etat.
On ne va pas s’attarder longtemps sur le poids de chacun de ces points de vue. L’essentiel est que cette affaire a faussé tous les calculs et perturbés les équilibres établis au sein du parti. Ainsi, des soutiens de la direction actuelle sont passés à son opposition et le chambardement est tel qu’il n’a pas épargné le Secrétariat général. Des voix s’y sont, en effet, élevées pour demander une prise de distance avec le gouvernement, de retirer au secrétaire général ses prérogatives pour les confier à son second et de convoquer un conseil national d’interpellation.
Mais plus important encore est l’entrée en ligne à cette occasion de l’ex-secrétaire général à travers une vidéo sur son compte Facebook. Son intervention a introduit dans le débat interne d’autres questionnements sur l’absence de leadership au sein du parti. Il s’en dégage qu’un « membre ordinaire » sans responsabilité aucune devient en un rien de temps si impactant que la Secrétariat général n’a pu que louer ses déclarations, le qualifiant de « grand homme d’Etat ».
L’intervention de Abdalilah Benkirane s’est distingué par la prouesse de satisfaire à la fois la direction du parti et les mécontents tout en soutenant l’orientation de l’Etat.
Il a comblé la direction en dégageant Saâdeddine El Othmani du pétrin, empêchant par la même occasion la tempête de l’atteindre et peut-être même d’atteindre la position du parti au sein du gouvernement.
Il a aussi donné satisfaction aux mécontents en défendant leur droit à l’expression de leur rejet, critiquant également la direction qui n’a pas su ordonnancer une succession d’évènements où elle aurait pu soutenir la politique de l’Etat sans pour autant tomber dans l’embarras.
Il a, enfin, réussi du même à conforter la raison de l’Etat. Ce faisant, l’ancien secrétaire général du PJD a tourné la page du doute et l’appréhension qu’il suscitait dans les centres du pouvoir, et dissoudre dans la foulée le scepticisme ambiant quant à son avenir politique.
Et s’il y a un message fort à retenir de la sortie de Abdalilah Benkirane, c’est qu’il reste l’homme fort par excellence du parti. Le leader sur lequel on peut compter en pareilles crises, surtout lorsqu’il faut mobiliser pour soutenir l’Etat ou encore quand il faut négocier avec les institutions pour aboutir à des formules qui garantissent les intérêts de l’Etat et évitent au parti l’imbroglio dans lequel l’a mis Saâdeddine El Othmani.
La ruée des mécontents a mis à nu l’incapacité de l’actuel secrétaire général et de son équipe à maitriser les secousses internes. Leur trouble s’est encore manifesté on ne peut plus visiblement lorsque le Secrétariat général et le bureau du conseil national se sont entendus pour convoquer une session extraordinaire du conseil et l’annuler ensuite sine die sur intervention de Benkirane qui a jugé le moment inopportun.
Ces évolutions indiquent bien que non seulement Abdalilah Benkirane conserve au sein du parti toute sa présence charismatique, mais aussi que la direction actuelle manque de professionnalisme politique, incapable qu’elle est à gérer les crises. Elles montrent aussi que si l’ex-secrétaire général s’était mis à la marge, évitant à l’époque de son isolement une confrontation déterminante, c’était juste parce que d’une part il s’agissait de l’intérêt supérieur de l’Etat, et d’autre part pour sauvegarder l’unité du parti.