Politique
Quotient électoral en délibération : le Pjd a l'assaut de la cour constitutionnelle
Le chef du gouvernement devrait méditer ce sage précepte de Sun Tzu, dans son célèbre ouvrage " L’art de la guerre", datant de plus deux millénaires et demi, notamment celui-ci : ne pas ouvrir un front que l'on ne peut tenir...
Après une séquence politique et parlementaire fortement heurtée, voici une autre ouverte depuis une dizaine de jours au plan strictement, cette fois, juridique devant la Cour constitutionnelle. Après le vote de la loi organique relative au nouveau régime électoral par le Parlement, la Cour constitutionnelle a été saisie par des membres de la Chambre des représentants, en particulier ceux du PAM le 22 mars, du PJD le lendemain et du MP quelques jours plus tard.
Ces parlementaires se sont fondés sur les dispositions de l'article 25 (alinéa 2) de la loi organique n° 066-13 relative à la Cour constitutionnelle, lesquelles leur accordent cette procédure. Ce texte impose cependant deux conditions : les observations doivent être présentées "par écrit" et elles doivent porter sur "la question dont cette dernière (la Cour constitutionnelle) est saisie". Tel est le cas pour ce qui est donc de leur recevabilité.
PAS CONSTITUTIONNEL ?
Reste le fond avec bien des interrogations de principe. Le document des députés de la formation islamiste retient l'intérêt ; il prolonge l'argumentaire tellement développé par ce parti, durant des semaines. Il s'articule autour d'une dizaine de points. Frontalement, il considère sans autre forme de procès que la loi organique est inconstitutionnelle…
Cela dit, il faut faire état des particularités de cette procédure. Voilà en effet un projet de loi organique relatif au régime des élections qui a été adopté le 11 février dernier par le Conseil des ministres présidé par SM le Roi. Ce texte a été élaboré et finalisé par le Conseil de gouvernement à la tête duquel se trouve le chef de l'exécutif, Saâdeddine El-Othmani. Secrétaire général du PJD, il s'était pourtant déclaré opposé à ce même texte, depuis des mois, considérant que son article 84 instituant un nouveau quotient électoral (le nombre des sièges calculé sur la base des chiffres des électeurs inscrits et non plus des suffrages exprimés) était une "ligne rouge".
SOUS-TRAITANCE PARTEMENTAIRE
Mais minoritaire et isolé tant au sein de son gouvernement que dans sa propre majorité, il s'est replié alors sur la sous-traitance de son "niet" par les 124 députés de sa formation au sein de la Chambre des représentants. Une sorte de délocalisation, voire de retraite, pour donner le sentiment de sa "résistance". Mais formellement, en tant que Chef du gouvernement, il avait en ses mains d'autres moyens : constater la division au sein de son cabinet - les ministres RNI, MP, UC et USFP étant favorables à cet article 84- ; et engager alors la responsabilité du gouvernement devant la Chambre des représentants. Une procédure prévue par les dispositions de l'article 103 de la Constitution.
En montant les enchères, le risque était élevé : pour lui, de ne pas avoir un vote de confiance à la majorité absolue (198 voix) ; pour ses alliés de la majorité actuelle (RNI, MP, UC, USFP), de ne pas lui apporter leur soutien et entrainer alors la démission collective du cabinet, les partis d'opposition se joignant à eux d'ailleurs. Nul doute que les uns et les autres auraient réfléchi à deux fois avant de faire un "mauvais choix" les renvoyant, tous, devant les électeurs...
Une appréhension peu conséquente a ainsi conduit Saâdeddine El-Othmani à emprunter une autre voie : celle d’une mobilisation et d'un battage parlementaire de ses député prolongé par un mémorandum d'"observations" adressé à la Cour constitutionnelle : le nouveau quotient électoral n'est pas constitutionnel. Qu'en est-il au vrai ? Le PJD conteste à cet égard la modification de la loi 27/11 en vigueur depuis 2011 et son amendement par la nouvelle loi 04/21. Pareille observation n'est pas recevable pour plusieurs raisons. La première a trait au fait que le texte de 2011 serait pratiquement frappé de fixité et d’immutabilité ; qu'une loi ne peut modifier une autre loi ; et qu'il faut donc revenir et s’en tenir à la seule application de cette loi. Il argue aussi que la loi 04/21 est incompatible avec les dispositions de l'article 79 de la loi organique relative à la Chambre des représentants. Une référence pas pertinente puisque ledit article ne traite que des cas d'annulation de bulletins de vote.
Tout aussi irrecevable est l'argument invoqué d'une atteinte au choix démocratique des citoyens ainsi qu'à leurs droits et libertés. Sur quoi se fonde bien cette assertion ? N'est-ce pas une pétition de principe de nature purement déclarative ? C'est qu'en effet les citoyens ne perdent rien de leur statut, gardant en main toutes les options en tant qu'électeurs inscrits. En s'inscrivant dans les listes électorales, n'est-ce pas un premier acte de civisme ? A partir de là, l'électeur est libre de déposer un bulletin blanc (une enveloppe vide ou un bulletin dépourvu de tout nom de candidat) ou un autre dans le dépouillement comme nul (déchiré, raturé, annoté, griffonné ou contenant un autre contenu que le bulletin officiel). Il peut aussi - et c'est le sens et l'esprit de l'élection - choisir tel ou tel candidat, selon ses inclinations personnelles ou politiques. Que dire encore de cette autre référence des députés PJD invoquant l'on ne sait trop quelle atteinte aux engagements internationaux du Maroc et au Préambule de la Constitution ? De quelles conventions internationales primant sur le droit interne s'agit-il ? Et puis, peut-on citer l'une d'entre elles qui porte sur l'aménagement de tel ou tel mode de scrutin tant il est vrai que c'est là un domaine relevant de la seule législation nationale.
DEMOCRATIE
Enfin, cette dernière interrogation : en quoi le nouveau mode de scrutin est éloigné des principes démocratiques et même non compatible avec eux ? Les députés PJD vont plus loin, dans cette même ligne, en concluant que le nouveau quotient électoral ne peut qu'affaiblir la légitimité du gouvernement parce qu'à leurs yeux, " il sera issu des électeurs inscrits et pas de la volonté des urnes". Difficile de soutenir un tel raisonnement qui veut qu'une différenciation pratiquement étanche est ainsi faite entre les inscrits et les suffrages exprimés par les votants. N'est-ce pas quelque peu spécieux dans la mesure où la base de la démocratie de représentation - il s'agit en effet de désigner des élus membres de la Chambre des représentants - est formée par le corps électoral de quelque 15 millions de personnes inscrites ? A partir de ces données, se décline alors un processus par étapes conduisant à des élus de partis puis à des alliances pour arriver à une majorité.
Cela dit, un recadrage paraît nécessaire pour rappeler tant le sens et la portée de la Constitution - sollicité par les parlementaires islamistes - que la jurisprudence à la rescousse sans prendre soin de se référer à des décisions pertinentes de la juridiction constitutionnelle (hier le Conseil constitutionnel et depuis 2011 la nouvelle Cour constitutionnelle). Il nous faut souligner ici que le régime électoral relève du domaine législatif qui a la plénitude d'attribution dans ce domaine.
A ce titre, les lois électorales peuvent être modifiées par l'institution parlementaire avec des amendements liés soit à des circonstances particulières, soit encore pour conforter et réarticuler le système partisan dans une perspective aidant à structurer une configuration majoritaire. Le législateur a ainsi toute latitude en la matière. Ce sont, en effet, les dispositions de l'article 62 (alinéa 2) de la Constitution qui stipulent que c'est une loi organique qui définit " le nombre des députés, le régime électoral, les principes du découpage électoral, les conditions d'éligibilité... " La loi suprême ne dit pas plus ; et il est vain de se risquer à lui faire dire ce qu'elle ne mentionne pas. Retour donc à la seule loi et à son primat.
Il faut aussi renvoyer aux dispositions de l'article 2 de la Constitution : "La souveraineté appartient à la Nation qui l'exerce directement par voie de référendum et indirectement par l'intermédiaire de ses représentant". Ce choix se fait" au sein des institutions élues par voie de suffrages libres, sincères et réguliers". La jurisprudence constitutionnelle, depuis près d'une dizaine d'années d'ailleurs, a été constante: elle n'a jamais contesté ou censuré toutes les modifications intervenues dans la régime électoral. Pour ce qui est des changements apportés à cet égard, sans rejet par cette juridiction constitutionnelle, il faut citer notamment ce qui suit : scrutin de liste, changement de seuil électoral de 6% à 3%, circonscriptions nationales variables jusqu'à celles de 2016 (listes nationales pour 60 femmes et de 30 pour les jeunes,...). Que l'on sache, le PJD s'en est bien accommodé dans la présente législature puisqu'il engrangeait un "bonus" de 30 à 40 sièges par suite d'un mode de scrutin calculé sur la base des suffrages exprimés.
DIRE LE DROIT
Dans les prochains jours, la Cour constitutionnelle va rendre sa décision. Saisie le 14 mars dernier à propos de quatre projets de loi organique, la haute juridiction a validé deux d'entre eux, le 31 mars (décisions N° 116 sur la nomination aux emplois supérieurs et N°117 sur les partis politiques). Il reste donc en délibération deux autres lois organiques, l'une sur les élections des collectivités territoriales et l'autre relative à l'élection des membres de la Chambre des représentants. Au plus tard, le 14 avril, soit dans le délai constitutionnel fixé de 30 jours, elle statuera sur ces deux textes.
Cette juridiction aura à dire le droit, à apprécier et à se prononcer sur la base des prescriptions constitutionnelles en vigueur et, s'il y a lieu, sur l'esprit de la loi suprême. En votant le texte mis en cause (l'article 84 de la loi organique instituant un nouveau quotient électoral), y-a-t-il conformité ou à tout le moins compatibilité avec la Constitution ? Par ailleurs, le principe démocratique consacré par la Constitution de 2011 a-t-il été respecté ? La réponse affirmative nous paraît s'imposer à l'évidence, la Cour gardant cependant sa totale liberté de décision. Un parlement qui légifère dans son domaine ? Que trouver à y redire ? Le régime électoral au Maroc a en effet toujours été du domaine législatif.
Quant à la dimension démocratique de cet article 84 incriminé par les députés du PJD, quelques vérités d'évidence sont à mettre en exergue : les inscrits vont être davantage motivés à voter parce cela va être pris en compte dans la répartition des sièges ; la base électorale de la démocratie sera ainsi plus large ; un plus grand choix sera offert aux électeurs ; enfin, l'assise du système partisan aura un spectre plus ouvert et plus représentatif. De quoi pousser à la formation d'une majorité plus homogène, davantage resserrée, solidaire. Et efficiente. Fini donc le temps d'une certaine surreprésentation au profit de certains et d'une sous-représentation d'autres. Un système inégalitaire, inéquitable aussi, que le PJD tente de faire perdurer en une "rente" électorale et politique...
Sans aucun irrespect pour la personnalité de l'actuel Chef de gouvernement, je l'invite - une nouvelle fois... - à bien se pénétrer des principes de la Constitution ; cela aurait évité que ses députés ne se hasardent autour d'une mauvaise cause et d'un mauvais terrain. Et puis aussi, au passage, en la matière, à méditer les sages préceptes de Sun Tzu, dans son célèbre ouvrage " L’art de la guerre", datant de plus deux millénaires et demi, notamment celui-ci : ne pas ouvrir un front que l'on ne peut tenir...