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SESSION DE PRINTEMPS : LE PARLEMENT A LA TRAÎNE...
Au total, le Parlement n'assume vraiment ni son rôle ni la plénitude de ses attributions constitutionnelles.
Ce vendredi 9 avril, s'est ouverte la session parlementaire de printemps fixée par les dispositions de l'article 65 de la Constitution. Pour la première fois, se pose un problème "technique" - sinon juridique - dans la mesure où la session extraordinaire de cette même institution, convoquée le 2 mars dernier, n'a pas encore été clôturée. La raison en est que la loi organique sur les élections votée a été soumise à la Cour constitutionnelle, comme le prévoit la loi suprême, pour examen de conformité à la Constitution (article 85, alinéa 3).
Cette loi a été déposée auprès de cette haute cour, le 14 mars, et la décision attendue doit être prise dans un délai de 30 jours, soit le 14 avril courant. Au vrai, il n'y a pas de risque de chevauchement entre la session extraordinaire encore ouverte et la présente session ordinaire : la première a un ordre du jour précis arrêté par le Chef du gouvernement - le dernier point étant la loi électorale. La seconde, elle, aura, un calendrier bien chargé sur diverses questions à l'ordre du jour.
La panne de la réforme du code pénal
Si cette session de printemps est constitutionnellement "ordinaire", en termes politiques tel n'est pas le cas : tant s'en faut. Elle est en effet la dernière de la présente législature qui a commencé avec la session d'automne 2017, ouverte le 14 octobre 2016. Elle présente également une autre particularité : celle de ne pas avoir fini le «job"... Référence est faite à ce qui est sans doute destiné à rester encore en instance.
Du lourd ! Précisément, la réforme du code pénal et le projet de loi organique sur le droit de grève. Le premier traîne depuis des années, aucun accord n'ayant pu se réaliser entre les groupes parlementaires pour sa délibération avant son adoption par les deux Chambres. Pourtant, ce projet de loi N° 10.16 codifiant et complétant le code pénal a été déposé au bureau de la Chambre des représentants le 24 juin 2016 - il a été préparé par le départe ment de la justice dirigé alors par Mostafa Ramid (PJD). Il devait aussi conduire à une réforme du code de procédure pénale.
Son successeur, Mohamed Benabdelkader (USFP ), nommé en octobre 2019, n'a pas voulu reprendre ce texte tel quel mais élargir la réforme à d'autres aspects de la législation pénale. Il a ainsi instamment demandé au Chef du gouvernement de revoir la première mouture et de prendre en charge de nouveaux amendements qu'il a proposés. Sans suite. Le blocage est total au niveau de la commission de la législation de la Chambre des représentants, les députés PJD s'opposant à ceux des autres groupes de la majorité et de l'opposition. En février dernier, Mostafa Ramid, devenu ministre d'Etat chargé des droits de l'Homme, est revenu à la charge ; il a ainsi demandé aux parlementaires d'accélérer l'adoption des deux projets de loi relatifs à la réforme du code pénal et au code de procédure pénale. Sans plus de succès. Les points de divergence intéressent la réduction de la population carcérale avec un régime de peines alternatives (85.000 personnes dont 40.000 sont en détention préventive - la France avec 67 millions d'habitants n'en compte que 70.000...
Il faut y ajouter la suppression de l'article 490 réprimant les relations sexuelles hors mariage ; ou encore l'article 222 incriminant la rupture du jeûne ; et d'autres tel celui du nouveau dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux déposé en mars 2020 et devant créer une Agence nationale des renseignements financiers (ANRF) succédant et élargissant les attributions de l'Unité de traitement du renseignement financier (UTRF). Une réforme nécessaire traduisant une montée en puissance de la législation marocaine dans ce domaine. Le Maroc vient à peine de sortir de la liste grise des paradis fiscaux établis par l'OCDE mais reste encore sous la surveillance accrue du Groupe d'action financière (GAFI) qui a adressé des recommandations du gouvernement.
Blocage du projet de loi sur le droit de grève
Autre gros dossier : celui de la réforme du code du travail et du droit de grève. Aucune avancée à ce jour. Cela fait d'ailleurs près de soixante ans - soit depuis la première Constitution de décembre 1962... - que l'on n'arrive pas à faire adopter une loi organique en la matière. La Constitution de 2011 a consacré la garantie du droit de grève (article 29, alinéa 2) en prévoyant, elle aussi, une loi organique pour fixer les conditions et les modalités de son exercice. Le gouvernement a déposé un projet de texte législatif devant la Chambre des représentants 6 octobre 2016. Depuis, il est resté en instance au niveau de la commission des secteurs sociaux de la Chambre des représentants. Il devait être programmé à l'ordre du jour de la commission parlementaire compétente, le 16 septembre 2020, mais le nouveau ministre de l'emploi, Mohamed Amekraz (PJD), l'a retiré la veille. C'est qu'il lui a fallu prendre en compte finalement le "niet" des principales centrales syndicales (UMT, CDT, UGTM) invoquant l'absence totale de consultations avec elles et les restrictions apportées à ce droit, en contradiction avec les accords signés avec le gouvernement dans le cadre du dialogue social, le 25 avril 2019.
Une autre catégorie de textes législatifs - des lois ordinaires - sont également en cours d'examen par le Parlement. L’une d'entre elles est relative au renforcement du contrôle de la production et de la distribution des fertilisants et des pesticides. Une autre concerne un nouveau régime d'investissement de sociétés privées dans le secteur foncier agricole. Une privatisation en marche, partielle sans doute, mais qui vise à une mobilisation de ressources capitalistiques jugées nécessaire dans la perspective d'une promotion et d'une modernisation de ce secteur. Enfin, il faut mentionner le projet de loi sur la légalisation du cannabis à des fins thérapeutiques et industrielles. Ce texte a été adopté par le gouvernement le 11 mars dernier et il a été déposé au Parlement ; il est en examen par la commission compétente de la Chambre des représentants. Il prévoit la création d'une agence de régulation chargée de contrôler toutes les étapes de la chaîne de production. Pourra-t-il être adopté d'ici la fin de cette session parlementaire de printemps ? Enfin, des conventions internationales doivent faire l'objet d'amendements et de révisions, notamment celles relatives à certains accords de libre échange (ALE) tel celui avec la Turquie.
Un bilan inachevé
Une législature qui finit dans trois ou quatre mois au plus tard. Un bilan législatif inachevé. Un projet de loi organique en rade (droit de grève) alors qu'il aurait dû être adopté durant la précédente législature comme le prescrivent instamment les dispositions de l'article 86 de la Constitution ; d'autres projets de loi qui ne sont pas plus avancés.
Pas de quoi donner un satisfecit au travail législatif de ce Parlement. Cette institution a-t-elle capitalisé davantage de crédibilité aux yeux des citoyens ? Cela reste sujet à caution avec un antiparlementarisme encore vivace qui s'est même accentué au cours des années écoulées. L'absentéisme a aussi pesé dans ce sens. Les lois de finances ont été marquées par une médiocre présence des députés - lors des lois de finances, il n'y avait qu'une centaine de votants (111 en 2020, 97 en 2021) - soit le quart des 395 membres de la Chambre des représentants - le travail des commissions pâtit encore plus fortement de ce phénomène absentéiste.
Au total, le Parlement n'assume vraiment ni son rôle ni la plénitude de ses attributions constitutionnelles. Il n'y a sans doute que dans le domaine de la diplomatie parlementaire que le bilan est plus valorisant, surtout avec l'"activisme" du président de la Chambre des représentants, Habib El Malki. En tout cas, il reste encore beaucoup à faire. La lutte contre la pandémie COVID -19 n’a pas valorisé cette institution. Elle a davantage poussé à la minoration des parlementaires et du Parlement dans la mobilisation nationale. Celle-ci, on le sait, a été surtout nourrie et encadrée par l'Etat et surtout trois départements ministériels de "première ligne" (intérieur, santé, économie et finances).