Sidi Mohammed ben Abdallah, le Sultan qui a fait du Maroc le premier pays à reconnaitre les Etats Unis d’Amérique

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Dès 1777, Mohammed III octroie le droit aux bateaux américains de se ravitailler dans les ports du royaume. Une autorisation qui est en fait une reconnaissance du nouvel État américain avant terme.

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Le Maroc se trouvait en bien triste état lorsqu'en novembre 1757, Sidi Mohammed fut porté au pouvoir après la mort de son père Moulay Abdallah, décédé près de Fès le 10 de ce mois.

Depuis trente ans environ, le pays servait de théâtre à des luttes sans grandeur entre des factions rivales qui ne parvenaient pas à s'installer au pouvoir de façon durable. Cela commença peu après la mort du Sultan Moulay Ismaïl (4 avril 1727) qui avait régné pendant cinquante-cinq ans (1672-1727). La couronne alaouite a connu une crise de succession, une crise à l’issue de laquelle Moulay Abdellah est couronné et règnera durant une douzaine d’années. À sa mort, en 1757, c’est son fils et vice-roi, Sidi Mohammed ben Abdallah (vers 1710 - 11 avril 1790), gouverneur de Marrakech, connu sous le nom de Mohammed III, qui lui succède avec l’idée d’ouvrir le Maroc sur le monde.

C’est à ce sultan pacificateur et grand admirateur du sultan saadien Al-Mansour (1578 - 1603) que revient le mérite de rétablir l’ordre, restaurer l’autorité chérifienne, reconstruire un pays ravagé et réorganiser l’Etat en s’imposant à l’armée et en administrant les tribus. Une de ses priorités fut de briser la puissance des abid responsables en partie d'une certaine anarchie. Le sultan fait massacrer des abids à plusieurs reprises et n’en gardant que 15 000 répartis en plusieurs garnisons et contraints d’y résider, flanqués de contingents berbères ou des recrues guich.

Désireux d’anéantir la présence chrétienne sur certains points du littoral marocain, Sidi Mohammed ben Abdallah encouragea la course, fit fortifier les villes côtières et les équipa d’artillerie, craignant de probables représailles maritimes. Le sultan avait vu juste car les puissances européennes, la France essentiellement, décidèrent, mais en vain, de réagir à la suite de la poursuite ou du développement de la course. 

Pour ce faire, en 1757 et avec l’aide du négociateur marseillais Rey, Mohammed III confie au Danemark le monopole du commerce à Safi et Agadir. Le pays scandinave n’est pas le seul à bénéficier de cette ouverture à l’international puisque le royaume chérifien signe également des traités d’amitié avec l’Angleterre en 1760, la Suède en 1763 et en 1765 avec Venise. Le souverain alaouite s’ouvre également à la France en lui permettant de rétablir ses consulats avec la possibilité de prendre à leur service des autochtones. La diplomatie de Mohammed III est également agressive puisque le sultan parvient, après près de deux siècles d’occupation, à reprendre Mazagan (actuelle El Jadida) aux Portugais. Cette politique de reconquista connaîtra néanmoins un échec puisque le sultan ne reprendra ni Sebta ni Melilla, malgré le siège de cette dernière en 1771.

Pour accompagner sa politique d’ouverture, le souverain a favorisé, contre le port de Salé, les ports de Safi puis d’Agadir. Il fonde plusieurs ports sur la côte atlantique et réanime la ville d’Anfa (Casablanca) en y construisant une mosquée, des écoles, des hammams et des remparts. La modernisation et l’équipement du port de Casablanca témoignent également de la politique d’ouverture extérieure pratiquée par le sultan, tout comme la fondation de la ville d’Essaouira (Mogador) en 1765. Il voulait concentrer la plus grande partie du commerce extérieur du Maroc dans un port qu’il pourrait facilement contrôler. La baie de Mogador semblait le lieu idéal. Il fit appel à un captif français, François Cornut, originaire de Toulon afin de concrétiser son idée. Ce projet était animé par un réel désir d’ouverture sur les nouvelles conceptions urbanistiques qui avaient fait la réputation des grands ports européens et dont le souverain avait saisi l’importance pour le pays. Sidi Mohammed ben Abdallah voulait doter le Maroc d’un grand port moderne et compétitif. Architecte et urbaniste, François Cornut avait été fait prisonnier lors du désastre de Larache en 1766. Avec l’aide de 400 prisonniers chrétiens, il édifia la plus grande partie de la ville et de ses fortifications. Le plan de la ville fut tracé sur le modèle européen.

Pour favoriser le négoce, le sultan allège également les impôts et met en place une monnaie de bon aloi. Mais le principal fait d’armes de Mohammed III est le droit qu’il octroie, en 1777, aux bateaux américains de se ravitailler dans les ports du royaume. Une autorisation qui est en fait une reconnaissance du nouvel État américain, qui sera scellée neuf ans plus tard par un traité d’amitié et de paix rédigé par Thomas Jefferson. Ce traité, ratifié par le Congrès et entré en vigueur le 18 juillet 1787, est considéré comme le plus ancien de ceux conclus par les États-Unis avec des États étrangers. Dix ans plus tard, James Simpson arrivera à Tanger pour ouvrir la plus vieille représentation diplomatique américaine dans le monde.

En plus de son génie en matière de politique et stratégie, Sidi Mohammed ben Abdallah fut également un des plus grands constructeurs de la dynastie alaouite. Il manifesta un grand attachement pour Marrakech où il fit entreprendre des travaux de construction et de restructuration dans le quartier de la Qasba, mais aussi de restauration dans les jardins de l’Aguedal et dans divers sanctuaires. Il fait également construire de nombreux édifices religieux à Meknès dont la mosquée al-Azhar ou al-Roua, les mosquées de Berdâin et de Benima et les mausolées de Sidi Mohammed ben Aissa et de Sidi Bou Othman. A Rabat, la fondation de la mosquée al-Sunna débute et le palais royal est construit. La ville de Fès sous son règne connut une véritable renaissance. Plusieurs mosquées et oratoires s’élevèrent. Il fit restaurer la mosquée Bouânaniya. Sidi Mohammed ben Abdallah ne semble avoir oublié aucune grande ville laissant son empreinte un peu partout dans le pays. 

En dehors d’Essaouira, son œuvre architecturale reste dans la tradition héritée, même si elle se traduit dans les plans et la plastique par une interprétation très libre des conceptions reçues. Ses palais, ses mosquées et ses medersas se distinguent par la simplicité des formes et la discrétion des décors.

Dans les années 1770/1780, la sécheresse (1776 à 1782) et une épidémie de peste (1797 à 1800) provoquent une catastrophe démographique et un important déplacement de population qui allaient profondément et longtemps marquer le Maroc. Selon les recherches les plus récentes, la moitié de la population marocaine aurait succombé durant ces vingt-cinq années avec toutes les conséquences sociales qui en découlèrent comme, par exemple, l’abandon des villes, l’exode des populations à la recherche de régions moins affectées par ces fléaux et la désertification de régions entières. De cinq millions d’habitants au début du XVIe siècle, la population du Maroc passe à moins de trois millions. Ce désastre allait cependant favoriser la recrudescence des zaouias.

Sidi Mohammed ben Abdallah meurt en 1790, laissant un pays reconstruit mais dans lequel les ferments de division subsistaient et l’emprise des zaouias grandissait.