Santé
Chroniques des rescapés de la folie – Au bout du tunnel, la lumière - ( Épisode 2) Par Dr A. CHERKAOUI
Si la dépression est un gouffre, elle n’est pas fatalement un puits sans fond, un trou noir qui engloutit dans le silence sidéral tout ce qui passe dans son orbite
La maladie psychiatrique, une loterie biologique sournoise. La dépression nerveuse, affection psychiatrique certes. Mais avec une composante chimique indéniable. Un dérèglement biologique ou hormonal qui s déclenche suite à des pressions sociales, psychologiques, familiales ou professionnelles. Et c’est toute une tête prise dans un engrenage à la fois tourbillon et cycle vicieux.
La maladie, psychiatrique par définition, mais pas que, s’installe sournoisement, à l’insu de tous et surtout du futur patient psychiatrique qui ne se rend compte que vaguement de son mal être naissant. Insomnie, perte de la productivité dans le travail, ralentissement de l'idéation, baisse de la libido… La houle et des vents avant la tempête.
Le tableau clinique ira en s'aggravant. Les troubles psychiques, minimes au début, les idées négatives, indéfinissables au commencement, se suivent et ne se ressemblent pas. Les couches de pensées noires se superposent pour finir par former une sédimentation aux strates de plus en plus inextricables. Les images destructrices défilent dans une haletante succession de dents de scie en mouvement. Broyeuses. La paix de « l’âme » n’est alors plus qu’un souvenir.
Mais si la dépression est un gouffre, elle n’est pas fatalement un puits sans fond, un trou noir qui engloutit dans le silence sidéral tout ce qui passe dans son orbite. Des déprimés graves ont pu trouver le bout du tunnel. La complexité et la diversité du vécu des malades souffrant de troubles psychiques et une piste multi-accès dans certains peuvent mener à l’impasse. La plupart ignorent que le point d’allumage est un déséquilibre biologique, que la médication peut être d’un salut vital, que la consultation d’un psychiatre est aussi banale qu’un rendez-vous chez le gynécologue ou l’urologue. Histoire d’un déprimé qui aconsulté :
On joue et on déjoue
N’en croyant pas ses oreilles, il s’est affalé sur le fauteuil le plus proche. presque èlectro choqué. Il me regarda d’abord d’un air dubitatif, puis cherchant ses mots, hésitant sur leur choix, il me lança :
- Toi, tu souffrais de dépression ! Impensable ! Non, Impossible !
Me fixant de nouveau, cette fois-ci droit dans les yeux comme s’il cherchait à sonder mon esprit ou à savoir si je le menais en bateau, il reprit :
-Toi, dépressif… Impossible !
Amusé, j’avais envie de lui lancer qu’il se répétait, mais je laissai poursuivre :
- La dernière blague, c’est toi. Les tournures cocasses des phrases, un art qui t’es propre ; Lls histoires coquines, c’est une de tes spécialités, tes blagues salasse, toujours dans la finesse… jamais dans la vulgarité, les femmes en raffolent. Dans les discussions sérieuses tu trouves le moyen d’y distiller subtilement une dose d’humour. Tes réunions sont toujours un vrai régal. Le travail dans la bonne humeur est toujours au rendez-vous…
J’avais envie de le stopper sans ménagement dans son délire jubilatoire sur ma personne, mais mon ego flatté me souffla de le laisser tresser de moi un portrait qui a sur moi, je dois l’avouer, l’effet d’un antidépresseur sans les effets secondaires, la gorge sèche, la bouche pâteuse :
-
…Si la situation l’exige, tu remets les gens à leur place sans méchanceté. Avec le sourire. Une collègue de travail ramène sa petite fille au bureau, tu arrives facilement à l’amuser, aux funérailles, tu as toujours la manière de dérider les visages. Pendant les rencontres familiales, si un rire éclate, on cherche ton cercle restreint. Les gens te demandent conseil, partagent souvent leurs secrets avec toi. On te jalousaient même ton joyeux tempérament du matin…
Passé un moment à goûter aux aspérités de mon profil d’homme heureux à toute épreuve, une vague mélancolie avait fini par s’insinuer en moi s’emparant progressivement de mes pensées. Pour tous, je ne correspondais guère à l’idée que se font les gens d’un dépressif, forcément triste, rabat-joie, replié sur lui-même, les yeux cernés de pensées broyeuses. Mon ami qui n’en revenait pas m’accusa même d’avoir caché mon jeu pendant des années, ne sachant pas que les dépressifs profonds ont du mal à parler de leur mal-être, de peur d’être isolé, écarté, mis au ban de la société.
Je jouais et déjouais. Souffrais en silence. Seuls deux ou trois intimes, et mon psychiatre, savaient. Au bout de plusieurs séances et quelques kilos de Lexomil et autres Athymil, chacun dans sa catégorie parmi les plus softs, mon psychiatre me lança :
- « la prochaine séance j’aimerais que tu me parle de X, (un être proche que j’avais perdu alors que j’abordais à peine l’adolescence), jusque-là tu m’as parlé de tout sauf de lui. »
Sans préavis, une petite lumière fit dans ma tête. En le quittant, j’étais comme sur un nuage, comme si une chape de plomb avait levée de sur mes épaules. Je me rappelle que plus tad je m’étais que c’est à ça que sert un psychiatre, à vous mettre sur la voie.
Sans m’en rendre compte, l’origine de ma dépression d’homme trouvait ses origines dans un malheur d’enfance avec lequel j’ai composé le refoulant jusqu’au jour où un déclencheur s’est manifesté pour prendre possession de mes pensées et de mes nuits.
Les causes d’une dépression sont ainsi. Traitres, dissimulées et chaque dépressif a sa propre trajectoire, sa propre cause qui comme une empreinte ne ressemble à aucune autre et nul n’est à l’abri d’en croiser les constituants d’une dépression sur son chemin.
Sans crier gars ! plusieurs facteurs convergent, s‘entremêlent, interagissent avant que le volcan, tel l’ogre endormi, se réveille. Plusieurs portes, psychiques et biologiques, sont alors à forcer délicatement, des serrures à déverrouiller finement, les nœuds de l’esprit à dénouer adroitement pour que la rémission intervienne, ou tout au moins pour que s’installe une certaine résilience, cet art et force qu’a l’humanité à composer et à vivre avec ses problèmes et malheurs, réussir des études, fonder une famille, réaliser ses passions, renvoyer envers et contre tout une image de bonheur. Car sachez-le, pire qu’un dépressif, un dépressif qui s’ignore ou ne consulte pas. (A suivre)