société
… Femmes de Tunisie – Par Seddik Maâninou
Lorsqu’un jour le peuple veut vivre / Force est pour le Destin, de répondre / Force est pour les ténèbres de se dissiper / Force est pour les chaînes de se briser (Abou El Kacen Echebbi
J'ai suivi ces derniers jours plusieurs programmes d'information sur les chaînes de télévision et les stations de radio tunisiennes. J’espérais ainsi me faire une idée sur les réactions après l'annonce du projet de «l'alliance tripartite» entre l'Algérie, la Tunisie et la Libye. J'ai été stupéfait par ce que j'ai entendu de l'élite tunisienne, qui s'est transformée en un troupeau, réalisant que le pays est dans un état comateux dont l’issue n’augure rien de réjouissant.
Je prétends connaître la Tunisie, pour l'avoir visitée à de nombreuses reprises, du temps du président Bourguiba, et avoir même assisté à un dîner officiel au palais de Carthage. J'étais également témoin le jour où Bourguiba a rejoint la salle Palmarium et a fait taire les élucubrations de Kadhafi. J'ai couvert plusieurs événements auxquels a assisté le Moujahid Al-akbar (le grand moudjahid). Bien plus tôt, j'ai visité la Tunisie, dans les années cinquante du siècle dernier, pour participer à un rassemblement scout qui s'est tenu dans une forêt près de la capitale. Au souvenir de ce qu’a été la Tunisie, je me suis dit que, de là où il est, Bourguiba doit en pleurer.
J'ai visité la Tunisie du temps de Ben Ali, le dictateur qui l'a transformée en prison avant d’être contraint à la fuite le jour où la «révolution de Jasmin» lui a explosé à la figure. Lors de ces visites, passer la frontière aéroportuaire impliquait des procédures policières nécessitant plusieurs heures de patience. Mais la Tunisie réalisait tout de même un certain développement économique, du moins en apparence, qui suscitait beaucoup d'envie.
Après un printemps qui a vu le pays du jasmin réaliser la révolution la plus réussie de ces débuts de la deuxième décennie du vingt-et-unième siècle, voilà qu'un nouveau dictateur met la verte Tunisie sous sa botte.
Après Bourguiba qui en a fait un pôle diplomatique et politique, Ben Ali qui l'a transformée en une jolie poupée encagée, voici Saïed qui la métamorphose en une province secondaire et l’offre en présent à un régime militaire corrompu. Aurait-elle perdu sa virginité, égaré ses pudeurs pour s’offrir comme une fille de joie bon marché ?
Il y a un peu plus de dix ans, les regards s’étaient tournés vers la Tunisie où, sans préliminaires, s’était déclarée la «révolution de Jasmin», telle une hirondelle annonçant un printemps arabe d'espoirs et de rêves...
Puis plus rien. La Tunisie dont Ben Ali avait coupé la langue, s'est empressée de saisir les premiers haut-parleurs dissonants et a fini par se transformer en marché de poissons pourris impropres à la consommation. D’essais manqués en expériences ratées, personne n'était plus en mesure d’arrêter la descente aux enfers.
Trop c’est trop et la nature, qui a horreur du vide et n’aime pas non plus l’excès, a ouvert la voie, comme souvent en semblables situations, aux faux prophètes. Et c’est ainsi qu’apparut Kais Saied, sorti quasiment de nulle part. Prétendant mettre fin à la mascarade, il a inauguré une ère encore plus décadente. Saïed a dit aux Tunisiens «Je suis votre seigneur suprême», à la fois César et Néron. Il a licencié le gouvernement, dissout le parlement, emprisonné les juges, arrêté les opposants, méprisé l'élite, instauré la peur et réduit au silence toute discordance.
Pire ! Kaïs a offert sa dulcinée Leila à une armée étrangère affamée qui recherche, à la faveur de l'obscurité qui s’est abattue sur la Tunisie, une jouissance furtive.
La Tunisie pleure son passé et se souvient de son Habib, qui portait si bien son nom, le Bienaimé, avec nostalgie. Ô Bourguiba, la Tunisie ne se soucie plus des lois et les murs de Carthage et les minartes de Kiraouane résonnent de ses appels au secours. Ce qui reste de ses opprimés cherche, pour fuir le désespoir, les bateaux de la mort.
Où sont passées les élites brillantes de sa culture, de ses médias et de sa communication ? Où est cette Tunisie que j'ai tant aimée ? Où sont ses avocats flamboyants, ses professeurs d'université érudits et ses penseurs féconds ? Où sont ses riches et leurs succès ? Où sont ses artistes et ses créateurs ? Où sont les Tunisiens, amis comme je les connaissais, pétillants d'intelligence et pleins d'ambition ?
La vérité est que je ne trouve pas de réponse et je suis perplexe face à ce que j'ai entendu et vu. Et me reste un seul espoir : les femmes tunisiennes qui ont toujours été un modèle dans le monde arabe et à l’avant-garde des Tunisiens, seules peut-être encore capables de répéter ce que le grand poète tunisien, Abou Al Kacem Echebbi, a légué à la postérité : «La volonté de vivre» : «Lorsqu’un jour le peuple veut vivre / Force est pour le Destin, de répondre / Force est pour les ténèbres de se dissiper / Force est pour les chaînes de se briser/ Avec fracas, le vent souffle dans les ravins / au sommet des montagnes et sous les arbres / disant : Lorsque je tends vers un but / je me fais porter par l’espoir / et oublie toute prudence / Je n’évite pas les chemins escarpés / et n’appréhende pas la chute / dans un feu brûlant /Qui n’aime pas gravir la montagne, vivra éternellement au fond des vallées’’ » […]