La sécurité nationale marocaine : Savoir et déficit institutionnel

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Faible ouverture des institutions (sécuritaires en particulier) sur le capital que représentent les compétences spécialisées pouvant contribuer à l’institutionnalisation du volet stratégique de la sécurité nationale

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«Aucun débat sérieux pour parvenir à une stratégie et à une politique réussies n’est possible si n’y sont disposés : les décideurs qui détiennent les rênes, les spécialistes des questions de la sécurité nationale qui alimentent les dirigeants, les médias nationaux qui contrôlent ces responsables et une opinion publique avertie.» Harry Yarger

Un ensemble de contextes et de variables régionaux et internationaux ont incité le Maroc à adopter des concepts de sécurité nationale de manière scientifique et stratégique. S’y souscrivant, il attelé à leur mise en œuvre à travers la création du «Conseil supérieur de sécurité» pour prendre en charge la double mission d’assurer le suivi des menaces susceptibles de perturber le sentiment de sécurité et de quiétude nationales, et d’élaborer les stratégies à même de parer à toute atteinte potentielle à la sécurité du Royaume.

On pourrait ainsi avancer une définition générale de la sécurité nationale comme étant «un sentiment homogène de confiance et de quiétude émanant de l’absence réelle du danger grâce à un nombre de mesures et de procédés préventifs à même de réaliser cette finalité. De cette manière, la sécurité serait liée à une sorte de perception de soi fondée sur le sentiment d’affranchissement de la peur ou de l’incertitude» (Nasr Ben Soltana).

Ces préceptes de base étant déclinés, on peut ajouter un autre lieu commun : le Maroc est devant l’impératif d’adopter une stratégie spécifique en matière de sécurité nationale, en fonction des contraintes et des menaces potentielles à l’intérieur comme à l’extérieur du Royaume. L’élaboration de cette stratégie de même que son adoption impliquent la promotion du savoir et des connaissances et de leur exploitation au plan institutionnel, à travers la mise en place de réceptacles et d’incubateurs organiques réunissant les conditions optimales qui permettent aux spécialistes et professionnels d’élaborer une stratégie de sécurité nationale au service des objectifs politiques supérieurs de l’Etat. 

Ce processus induit deux niveaux sur lesquels il faudrait agir dans la complémentarité et la réactivité.

Le niveau connaissances

Les compétences de la sécurité nationale doivent être outillées d’une maitrise totale et d’une compréhension profonde des phénomènes étudiés, en plus d’une connaissance suffisante du spectre de la stratégie, de ses concepts et de ses contextes. Elles doivent également avoir l’aptitude à les mettre en œuvre dans l’environnement sécuritaire marocain.

Nul doute que le creuset marocain est riche de cerveaux, alliant capacités de compréhension, science et savoir. Ils n’ont besoin que de parrainage, d’encadrement institutionnel et d’investissement pour faire bénéficier de leurs compétences le pays au lieu de les abandonner, comme c’est assez souvent le cas, à des tentations qui poussent nombre d’entre eux à se mettre au service de projets d’autres pays au lieu de servir la mère-patrie, espace naturel de leur travail et de leur créativité. Un état de fait qui introduit l’examen de la question des institutions

Le niveau institutionnel

C’est qu’il y a un quasi-consensus que l’aspect institutionnel constitue la plus grande entrave à l’élaboration de stratégie efficiente et consolidée pour la sécurité nationale marocaine. Il se traduit par la faible ouverture des institutions (sécuritaires en particulier) sur le capital que représentent les compétences spécialisées pouvant contribuer à l’institutionnalisation du volet stratégique de la sécurité nationale. Outre une assimilation faible des dimensions sécuritaires (religieuses, économiques, sociales, intellectuelles) transversales pourtant au cœur du métier (renseignement et défense), il semblerait qu’il existe une susceptibilité à l’égard de ces compétences et une réticence à l’ouverture sur des individus hors du système sécuritaire. 

Alors même qu’il est prioritaire de s’ouvrir à des compétences plutôt affranchies de la pesanteur de la discipline institutionnelle et de la soumission «passive» à la logique du contrôle hiérarchique et pyramidale gage de l’inventivité. La réflexion stratégique ne pourrait que gagner ainsi en productivité. Un bémol toutefois à cette impérieuse ouverture, sa mise à l’abri du champ partisan et de ses surenchères habituelles. 

Temps stratégique et temps politique

L’importance actuelle de la mise en œuvre de l’action et des structures de l’institution du Conseil supérieur de sécurité, appelle, en effet, certaines réserves sur sa structure, particulièrement le volet concernant la présence de l’acteur politique dans l’élaboration de la décision sécuritaire. Cette présence est de nature à générer - même si cela est en apparence en contradiction avec l’appel à l’ouverture des instances sécuritaires sur les compétences extérieures – un dysfonctionnement institutionnel et une erreur stratégique pour plusieurs considérations. 

La première se rapporte au fait que le temps stratégique dépasse de loin, dans ses dimensions comme dans ses projections, le temps politique. Car, les professionnels de la sécurité travaillent sur le long cours à l’abri des contraintes des agendas politiques liés plutôt à une gestion temporaire et temporelle de l’un des secteurs vitaux de l’Etat, ce qui implique que l’acteur politique soit normalement se cantonné à un rôle subsidiaire dans le processus de l’élaboration et de l’identification stratégiques.

L’appréhension de l’instrumentalisation politique de la donne sécuritaire et la tentation de la soumettre aux aléas de l’action partisane, consolide cette réserve d’autant plus que certaines organisations sont mues par la volonté d’opérer des infiltrations horizontales et des percées institutionnelles, à travers la tentative de prendre le contrôle de l’une des articulations majeures de l’Etat et à leur tête les services de sécurité.

La dernière considération tient à la spécificité du professionnel de la sécurité nationale qui travaille et interagit selon un tempérament qui diffère complètement du politique. L’expert en stratégie traite la donne sécuritaire (défense, renseignement, alimentation, santé, éducation,...) objectivement loin de toute inclination ou calcul politique, contrairement à l’acteur partisan qui, lui, est souvent animé par des considérations qui se croisent rarement avec les priorités du professionnel de la sécurité nationale.

Il est vrai toutefois que devant ces impératifs, l’Etat marocain a fait montre d’une grande lucidité, en stipulant que le Conseil supérieur de sécurité est présidé par le Roi en personne, ce qui résout le problème du lien organique avec l’acteur politique. Car, le Roi, qui incarne l’expression suprême de la Nation, est un acteur qui couvre toutes les institutions et se tient à une équidistance de tous les acteurs politiques. A ce titre, le Roi est le mieux placé pour trancher sur les objectifs politiques de l’Etat, du fait que l’institution monarchique jouit d’une vision centrale transcendante au-dessus des calculs étroits de l’acteur politique ordinaire.

 Globalement, il est nécessaire d’agréger le savoir, les connaissances et les compétences intellectuelles dans un même ensemble, nuancé et divers mais homogène sur la voie de la mise en œuvre de l’action du Conseil supérieur de sécurité. Il importe également de multiplier d’authentiques centres de recherches spécialisés en capacité de proposer des réponses scientifiques et des appréciations réalistes des faits, ainsi que de procéder à leur mise en forme sectorielle pour concrétiser la vision politique majeure de l’Etat, en vue de l’adoption de « la charte de Sécurité nationale», qui dotera les services de sécurité d’une stratégie cohérente, complémentaire, constamment flexible et modulable en fonction des mutations du contexte national, régional et international. 

 

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