société
LE CRI DE MARWANE, ENFANT, IL N’ETAIT PAS JESUS, ET POURTANT – Par Soukaïna Regragui

Enfant je fus, mais non comme vos enfants. Je suis N° 11300 consigné dans un registre de couleur noir, à l’encre bleu, mais le noir de vos lois ne permet n’est pas le bleu de mon espoir, d'aucun espoir. Je suis Marwane, vos destructives prescriptions, proscription dois-je dire, ont fait de moi et des autres comme moi un ballon balloté
Le cri de Marwane résonne comme un appel déchirant à la justice et à la reconnaissance. Privé d'identité par un dogme inflexible, il s'insurge contre une société qui refuse à des milliers d'enfants leur droit fondamental à une filiation. Face à l'inaction et à l'aveuglement des oulémas, il réclame une seule chose : la vérité, celle que l'ADN peut prouver, celle qui peut redonner à ces enfants leur dignité et leur place dans le monde. Soukaïna Regragui le récit d’un chemin de la croix dont il ne faut surtout pas parler aux théologiens, officiels ou autoproclamés.
Marwane, l’enfant devenu jeune homme, surmontant ses émotions les plus intimes, se tient debout devant la salle comble du 8éme Forum National de l’Orphelinat. S’il est hésitant, il n’en laisse rien paraître. Sa voix ferme résonne portée par le silence éloquent d’un auditoire attentif et qui sait ce qui lui en coûte d’être là. Ce qu’il veut, une identité, pour lui et pour les autres comme lui à la quête d’une filiation reconnue et démontrée. Son cri, d’une voix égale n’en est pas moins strident. Il ne peut sombrer dans l’oubli. Son appel s’adresse à la conscience des oulamas, savants de la religion qui tirent fierté de leur interdiction à une enfance d’être reconnue dans son innocence immaculée parce que, disent-ils, fruit de azina (fornication) pêché le plus obscène, précisent-ils.
Les fouqahas scandent dire la vérité que cela plaise ou non. Le plus grave c’est qu’ils le croient.
Marwane interpelle : « Dieu qui est vote dieu, est mon dieu. L’islam qui est votre religion, est ma religion. Je suis né dans votre pays, du même creuset que vous ( ولدت في بلادكم و أنا على مِلَّتكم).
Enfant je fus, mais non comme vos enfants. Je suis N° 11300 consigné dans un registre de couleur noir, à l’encre bleu, mais le noir de vos lois ne permet n’est pas le bleu de mon espoir, d'aucun espoir. Je suis Marwane, vos destructives prescriptions, proscription dois-je dire, ont fait de moi et des autres comme moi un ballon balloté bébé du centre Alihssan à l’orphelinat Aïn Chock, blessé, à Dar hay Elhassani, accablé, puis meurtri à la rue. Je suis celui que vous avez privé de sa vraie identité, construisant d’autorité mon identité sous le nom Elkamali (signifiant Le complet). Elkamali dont vous avez décidé l’avenir incomplet, au destin inaccompli. Sans joie sans bonheur. Mais à quel bonheur pouvais-je prétendre alors que je suis inconnu, ignorant mon origine que vous pourtant pouviez recouvrir, ignorant ma famille que vous étiez en capacité de garantir, ignorant de mon passé, de mon présent, ignorant de mon avenir… »
Les oulamas refusent l’ADN, justifiant leur hermétisme par quelques arguments religieux et davantage de récits. Relater l’histoire de ce chef d’Etat cachant sa fille née de son amante jusqu’au qu’au jour de ses funérailles présidentielles où elle parut, pour justifier l’injustifiable ? Quelle place ont de tels arguments pour mettre en garde contre une société présumée malade dont les défenseur-e-s de la filiation par l’ADN voudraient importer ses maux, pour affirmer en suite réhabilter la femme zaniya, les enfants non issus du zawaj charii relèverait de la folie, engendrerait des maladies sexuelles graves et déboucherait sur l’anarchie sexuelle. Effrayer les fidèles en dernier recours pour en définitif ancrer une destinée d’enfants parias qui réclament protection, dans le déchirement et la honte, est-ce cela l’argument Massu ?
Marwane questionne : « Savez-vous où j’ai grandi, comment j’ai grandi, avec qui j’ai grandi ? Laissez-moi vous en relater brièvement quelques séquences sans qualificatif. Nous avons vécu un régime militaire, sans être des militaires, une enfance soumise à un régime de spartiates sans l’honneur et la gloire d’une bataille inégale. En rang, toujours en rang. Boire, en rang ; manger en rang ; dormir en rang ; toilettes en rang : en rang, en rang, en rang ! »
Sauf quand il s’agissait de gémir pour ces enfants qui se cachent pour pleurer. Dans la solitude et la constante incertitude.
Applaudissements. Des larmes difficilement contenues emplissent l’auditorium. L’humanité ne serait-elle irriguée que de larmes de sang ? Les cris émettent des empreintes de sons multiples, l’attente est UNE : sauver ces enfants privés d’identité. Ce ne sont des Issa Ibn Meriem, mais bel et bien des enfants nés d’un père et d’une mère. Pour autant leur vie n’est qu’un interminable chemin de croix.
Marwane s’insurge. Contre l’humiliation. L’injustice.
Pour monter témoigner en cette journée du 15 février 2025, il lui fallut cette nuit blanche, écho de tant de nuits blanches, de nuits sans jours, sans lumières, sans étoiles, sans étincelles, jalonnant sa vie depuis marquée au fer des humiliations, des déchirures, criées ou enfouies. Le ressac de ces vagues de souvenirs qui remontent en clapot au fil de la nuit ne se mesure qu’à l’aune des conséquences, elles palpables, sur les individus qui en supportent les stigmates et sur la société qui n’en mesure pas toujours les conséquences.
Les oulamas en ont-ils conscience ou ont-ils au moins essayer un jour d’entrer dans un rôle de composition pour mesurer, ne serait-ce que le temps d’une simulation, les dégâts dont est responsable l’autorité que la société leur a confiée. ADN, trois lettres qui déterminent tout une vie, est-ce si difficile à comprendre ?
Marwane appelle au sens de la famille : « Nous sommes ceux qui entendent parler de la maternité sans la connaitre ; ceux qui ne peuvent connaitre le sens de la famille, ni l’affection nourricière, son délice. Nous sommes ceux qui ignorons le vocable composant la structure familiale, son sens ; ignorant qui est l’oncle maternel, paternel, et tant d’autres mots dont ne nous connaissons que l’alphabet qui les transcrit…
Dormez-vous et réveillez-vous normalement alors que nous sommes enfants de l’enfer de l’institution de la protection, ne protégeant en fait que les salaires de son personnel. J’entends apostropher vos consciences. Pourquoi me privez-vous de mes droits à l’enfance, de mon droit à mon identité, mon droit à ma filiation, mon droit à connaitre ma mère et mon père ; mon droit à l’affection, mon droit à la paix, mon droit à la vie, que je sois riche ou pauvre l’important est que je sois comme tous les enfants ? J’ai perdu mon enfance dans votre enfer, perdu mon adolescence dans vos supplices, ma jeunesse se perd dans votre obstination. Je ne pleure pas aujourd’hui mon destin, autant que je pleure le destin que vivront des générations à venir, mes sœurs, garçons et filles de l’orphelinat… »
Sous les ovations, la détermination ne s’éteint pas : l’ADN est la solution fiable. Les réponses des oulamas ne changent pas, les douleurs de ces enfants non plus, gravés à jamais, enfants sans filiation par l’oukase d’un fiqh intolérant. Notre cri unifié est de mettre fin au déni ; de libérer les enfants nés hors mariage légal de leurs enfers ; de les déculpabiliser de leurs circonstances de naissance ; de reconnaître la filiation par l’ADN. Volonté politique et volonté fiqhiya sont attendues. Le projet de Moudawana est encore en débat. Le Roi, Amir almouminine et Représentant suprême de la nation, n’a-t-il pas toujours recommandé de « Garder constamment à l'esprit les véritables desseins et finalités de l'Islam généreux et tolérant, à se prévaloir de l'effort jurisprudentiel de l'ijtihad, en tenant compte de l'esprit de l'époque, des impératifs de l'évolution et des engagements souscrits par le Royaume en matière de droits de l'Homme reconnus universellement. » ?