LE JOUR D’APRES : RECONSTRUIRE AVEC LES MATÉRIAUX LOCAUX DANS UNE APPROCHE MULTIDISCIPLINAIRE

5437685854_d630fceaff_b-

Sauvegarder Tinmel, c’est sauver les pierres qui ont une mémoire, des histoires à raconter et des choses à dire

1
Partager :

La journée d’étude « Penser les Horizons de dignité après le séisme », qui s’est tenue à l’Académie du Royaume du Maroc le samedi 7 octobre 2023, a abouti à une série de recommandations, qui constitue un premier jalon dans la réflexion qu’elle a initiée aux premières heures de la catastrophe.

LIRE AUSSI : RECONSTRUIRE, RÉPARER, PRÉPARER, APRES LA CATASTROPHE, OUVRIR UN NOUVEL HORIZON DE DIGNITE, L’ACADEMIE DU ROYAUME ENGAGE LA REFLEXION

Cette réflexion s’est poursuivie samedi 21 octobre par une nouvelle journée de réflexion dédiée « à l’harmonisation entre les techniques modernes de reconstruction intégrant dans leur perspective les données induites par le tremblement de terre du 8 septembre 2023 ». Pour l’Académie du Royaume, toute l’action dans les zones concernées doit se faire dans le respect de l’esprit des lieux, prenant en compte les spécificités locales et les complexités des multiples configurations territoriales des localités lourdement impactées par le séisme (bergeries, hameaux, villages, centres-bourgs, petites villes et grandes villes), en gardant à l’esprit l’impératif d’une reconstruction digne de ces territoires dans le respect des attentes des différentes communautés.

Un panel diversifié d’experts et ingénieurs se sont penchés dans cet esprit sur les bonnes pratiques en matière d’éco-construction à même de servir de référence pour les efforts de reconstruction des régions sinistrées par le séisme.

L’impérative multidisciplinarité

La réflexion autour de ces problématiques techniques, lors de cette journée d’étude, est guidée par des communications scientifiques présentées par un panel diversifié d’experts en ingénierie, économie, anthropologie, archéologie, sociologie, aménagement urbain, géographie, histoire et arts architecturaux. Tant rien d’une véritable sauvegarde et d’une vraie préservation ne serait faisable sans une approche multidisciplinaire engageant l’ensemble de ces spécialités. Il ne s’agit pas seulement des habitations mais de tous les lieux à dimension culturelle et à valeur historique, mosquées, medersas, zaouïas et autres lieux de culte.

C’est pour le Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc, Abdeljalil Lahjomri, une occasion - qui devrait se poursuivre par une autre journée consacrée exclusivement à la reconstruction de Tinmel - de réfléchir de manière pratique à des solutions concrètes et adaptées aux spécificités des régions affectées, en particulier les zones montagneuses et villages enclavés du Haut Atlas. « La complexité du défi à relever ne se limite pas à la reconstruction, mais [doit] prendre en compte les conséquences du réchauffement climatique à l’échelle mondiale », a-t-il dit.

.M. Lahjomri a encore souligné que « la planification rigoureuse et la coordination entre l’ensemble des intervenants concernés et l’Agence de développement Grand Atlas, qui supervisera la mise en œuvre du programme de reconstruction et de mise à niveau générale des régions sinistrées par le séisme d’Al Haouz, sont conformes à la Vision sage et clairvoyante de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, exprimée dans le Discours Royal à l’occasion de l’ouverture de la première session de l’année législative en cours. »

Des architectures bioclimatiques multiséculaires

En introduction aux échanges de cette deuxième journée, l’Académie du Royaume a soumis aux panelistes une plateforme encadrant les pistes de réflexion sur les voies à adopter et les expériences à mobiliser et à approfondir, notamment le programme de recherche action « Bioclimaroc », dans les techniques de reconstruction pour générer des architectures bioclimatiques qui préservent la multi sécularité des lieux. En voici le texte :

En préparation de la COP22 de Marrakech en 2016, l’Académie du Royaume du Maroc a soutenu le programme de recherche action « Bioclimaroc » sur la mobilisation des matériaux locaux terre et pierre pour l’édification de bâtiments contemporains à vocation sociale, en particulier dans le cadre de projets étatiques de l’Initiative nationale pour le développement humain en lien avec des projets de préservation du patrimoine oasien dans les régions de Souss-Massa et de Guelmim-Oued Noun.

Les techniques de construction locales et les matériaux historiques, qui ont généré des architectures bioclimatiques multiséculaires, ont été considérés comme des modèles à réinvestir pour les nouveaux bâtiments contemporains à vocation culturelle (centre d’interprétation du patrimoine, centres culturels) mais aussi sociale (maison d’accouchement, foyers féminins, etc.). Dans ce contexte, des lieux publics historiques ont été aussi réhabilités et aménagés au profit des habitants et tout particulièrement des plus fragiles que sont les enfants et les doyens.

Dans la lignée de la restitution entamée en 2013 avec l ’Etat pour le sauvetage des espaces publics, les techniques d’eco-réhabilitation utilisent notamment des bois de confortement d’angle, et la reprise des soubassements en blocaille avec le chainage de bois et de lauzes des superstructures. Dispositif pérenne qui possède des qualités parasismiques avérées.

L’objectif de ce programme a été de proposer un cadre architectural adapté au contexte climatique mais aussi aux pratiques sociales locales pour assurer un bien être à des populations particulièrement vulnérables. Les projets pilotes, de la maison d’accouchement de Tissint (2015) et du centre culturel d’Ayt Ouabelli (2016) ont connu un écho national et international, permettant la démultiplication de ce type d’architectures dans les régions de Souss-Massa et de Guelmim-Oued Noun, dans le cadre de la législation marocaine se réadaptant à travers divers améliorations des référentiels de la construction (dont notamment le Décret n°2-12-666 du 17 rejeb 1434 (28 mai 2013) approuvant le règlement parasismique pour les constructions en terre et instituant le comité national des constructions en terre).

Cette expérimentation a permis de fabriquer une véritable alternative architecturale à même de faire le lien entre les technologies historiques de la terre et de la pierre qui ont fait leurs preuves sur des millénaires et les besoins contemporains. La démultiplication des projets a fait émerger un écosystème constructif nouveau, liant maître maçons, entreprises spécialisées, ingénieurs et architectes.

La force de cette initiative a été de s’adosser à des résultats concrets avec la réalisation de plusieurs dizaines de bâtiments mais aussi d’aménagements urbains. Ces projets ont permis une observation de leur impact sur la longue durée. Administrateurs, ingénieurs, ouvriers, usagers ont participé du processus d’innovation technique et surtout ont pu mesurer l’impact social et économique des projets. Ce projet de recherche-action a ainsi impliqué des parties prenantes multiples à toutes les étapes du projet permettant alors de réfléchir avec des profils extrêmement divers.

Parallèlement, cette initiative a été étroitement documentée et discutée par un consortium international de recherche liant architectes, sociologues, ingénieurs, géographes, historiens, archéologues, urbanistes donnant lieu à plusieurs colloques et publications internationales majeures. Le consortium a notamment souligné la nécessité de repenser les processus constructifs depuis les régions oasiennes ou atlasiques pour permettre aux sociétés en milieu tempéré d’affronter le réchauffement climatique. Les procédés constructifs doivent être réfléchis à partir de la réalité des contextes climatiques et géologiques et non des approches théoriques, incapables d’intégrer la complexité des milieux. Les processus de standardisation accélèrent la dégradation des conditions de vie par la généralisation des matériaux exogènes particulièrement polluants et surtout accentuent le réchauffement micro - climatique (effet dôme de chaleur des villes) et macro-climatique (émission de gaz à effets de serre). Le consortium a observé la nécessité de maintenir des chantiers lieux de transmission des techniques constructives adaptées dans un contexte de régression de la compétence constructive du fait du recours systématique à des logiciels programmés dans des contextes climatiques tempérés de grandes métropoles européennes ou nord-américaine aujourd’hui dépassés par le réchauffement climatique. Ce consortium, après avoir interrogé les questions de technologies adaptées et appropriées, d’écoconstruction et d’habitat écologique, mène une réflexion sur le principe de la régénération en prenant comme cas d’étude les régions oasiennes pour interroger les convergences techniques, sociétales et environnementales.

Cette expérience scientifique est aujourd’hui mobilisée à l’Académie du Royaume duMaroc pour définir un cadre de recherche action adapté au contexte post-catastrophe dans le Haut-Atlas. Il vise à réfléchir au principe de la réparation post-catastrophe, tel que défini lors de la journée du 7 octobre 2023 à l’Académie du Royaume du Maroc qui est un protocole complexe liant des opérations techniques mais aussi un processus social visant au respect de la dignité des sinistrés. L’objectif de cette journée est de définir un protocole d’intervention dans le contexte légal en vigueur offrant l’opportunité aux communautés lourdement impactées de bénéficier d’un futur désirable, face au double défi des séismes et du réchauffement climatique.

ll s’agit de clairement identifier des modalités d’intervention différenciées selon les contextes des lieux impactés. Si les communes urbaines sont à même aujourd’hui de bénéficier des multiples expériences d’écoconstruction pour reconstruire des bâtiments conciliant résistance au séisme et adaptation au réchauffement climatique, les communes rurales et tout particulièrement les entités villageoises désignées sous le terme de douar doivent bénéficier d’un accompagnement spécifique.

Cette journée à la particularité de donner la parole à toutes les parties prenantes qui ont participé de cette expérience scientifique, en mobilisant des scientifiques qui ont suivi les projets, mais aussi des administrateurs qui les ont supervisés, des professionnels qui les ont mis en œuvre, des cadres associatifs qui gèrent désormais ces lieux.

Il s’agit donc aujourd’hui de donner la parole à celles et ceux qui ont une fine connaissance des réalités complexes des territoires in situ et qui œuvrent au quotidien pour garantir des conditions de vie les plus dignes possibles aux familles les plus vulnérables.

 

lire aussi