Omar Dahbi interpelle Luis Planas Puchades, ministre de l’Agriculture et de la Pêche espagnol

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Luis Planas Puchades alors ambassadeur d’Espagne au Maroc, et Omar Dahbi en 2006 à Rabat

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En finir avec les plans à trois

Celui qui vient d’être reconduit à son poste de ministre de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation dans le gouvernement espagnol, Luis Planas Puchades, a été pendant six ans ambassadeur de son pays à Rabat, de 2004 à 2010. Au cours de ce séjour, il a eu d’intéressants échanges avec Omar Dahbi, journaliste et essayiste politique auteur notamment de «Maroc-Espagne, la guerre des ombres (2000-2010)». Une période où les relations entre Rabat et Madrid étaient au plus mal et le nouvel ambassadeur, nommé par la PSOE José Luis Rodrigues Zapatero qui venait de succéder à José-Maria Aznar, affirmait sa résolution de travailler au dépassement des prismes sous le label séduisant de « croitre ensemble ». C’est sur cet engagement, alors qu’il est ministre dans le gouvernement Sanchez que Omar Dahbi le questionne et s’étonne de son silence tout au long de cette nouvelle crise.  

Excellence, Cher M. Planas,

Je tiens, tout d’abord, à vous féliciter pour votre reconduction en tant que ministre de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation. Une reconduction largement méritée au vu de votre bilan à la tête de ce ministère très important.   

Mais, vous imaginez certainement pourquoi je vous adresse cette lettre. En fait, ayant eu le plaisir et le privilège de vous connaitre personnellement et ayant échangé longuement avec vous, je suis sûr que vous savez très bien de quoi il s’agit. 

Durant, les six années que vous avez passées à Rabat en tant qu’ambassadeur du Royaume d’Espagne au Maroc, nous avions eu l’occasion, à maintes reprises, de nous entretenir franchement et clairement sur les relations entre nos deux pays. La première fois, je m’en rappelle, et c’était sur votre initiative, vous veniez d’arriver au Maroc. Vous m’aviez dit d’emblée que vous étiez venu chez nous avec un seul objectif : remettre les relations entre les deux rives du détroit sur les rails de l’amitié et de la coopération. Nous venions tous de traverser l’une des plus graves crises que deux pays voisins peuvent connaître. Votre mission n’était pas facile. Je le reconnais. Il y avait de la résistance chez certaines sphères de la décision chez vous et il y avait d’énormes déceptions et beaucoup de méfiance chez nous. Mais vous m’aviez dit, alors, que votre volonté était de faire tout ce qui était entre vos mains pour faire oublier les tensions de l’ère Aznar et construire de nouveaux liens de coopération et d’amitié afin de nous éviter à tous une nouvelle mésaventure comme celle dans laquelle l’Aznarisme nous avait trainés et fait perdre beaucoup de temps que nous aurions dédié à avancer ensemble. 

Excellence, 

J’avais beaucoup apprécié votre vision sur la nécessité de ne plus nous regarder mutuellement à travers les prismes du passé et à nous focaliser sur l’avenir. J’avais beaucoup aimé votre idée sur le besoin vital de communiquer en Espagne sur le nouveau Maroc et œuvrer à faire comprendre aux décideurs là-bas que le royaume de Mohammed VI est un nouveau pays, avec de nouvelles priorités et qu’il constitue, pour l’Espagne, de nouvelles opportunités. C’est de vous que je tiens l’idée selon laquelle les hommes d’affaires de l’archipel canarien n’ont d’autres perspectives de développement que dans le cadre de partenariats avec leurs homologues sur la rive atlantique d’en face. Vous disiez aussi que travailler ensemble nous permettrait de croitre ensemble. 

Excellence,

Je me souviens, qu’en fin connaisseur des arcanes de la décision au sein de l’Union européenne, vous m’aviez dit que l’Espagne devrait être le porte-parole du Maroc à Bruxelles et le Maroc son porte-parole dans le monde arabe et en Afrique. Une belle image que vous aviez très bien dessinée et qui augurait d’une ère de co-développement et de solides partenariats. 

Mais si je vous écris, aujourd’hui, Excellence, ce n’est pas juste pour évoquer des souvenirs. Je vous écris, aujourd’hui, pour vous dire que, autant vous aviez fait de belles choses à l’époque – ce qui m’a poussé à vous qualifier dans un édito, le jour de votre départ, d’"architecte de rénovation" – autant, je suis déçu par votre attitude passive au moment où nos deux pays sont en train de traverser une crise qui frôle la rupture totale et qui sera difficile à rétablir par la suite. A l’époque, vous aviez fait preuve de beaucoup de courage et agi avec une impressionnante dextérité diplomatique malgré le fait que vous aviez de la résistance à Madrid où les gens de la droite avaient pu, durant les huit ans d’Aznarisme, reprendre les rênes la décision à « Calle Serrano ». Mais aujourd’hui, alors que vous êtes l’un des membres les plus influents du gouvernement espagnol, vous semblez avoir tourné le dos à cette même cause que vous aviez fait votre, il y a quelques années. 

Votre vision des choses aurait-elle changé ?  Je ne pense pas que ce soit le cas, je vous avais connu un homme de convictions et d’action. Et c’est pour cette raison que votre mutisme en cette période de crise m’intrigue. Et chaque jour que le bon Dieu fait, je me réveillais dans l’espoir de vous voir avancer d’un pas, sortir des rangs, et proposer vos bons offices pour un dénouement de cette crise stupide. Je vous imaginais en train de taper sur la table pendant une réunion à la Moncloa pour dire que recevoir ce criminel de Brahim Ghali sous une fausse identité avec la complicité de tout l’appareil de l’État était une idée stupide et contraire aux valeurs de l’Espagne démocratique. Je vous imaginais dans un aparté avec Pedro Sanchez en train de lui expliquer la réalité de l’affaire du Sahara que vous aviez pu connaitre de près et lui dire tout l’intérêt que votre pays a à parier sur l’amitié et la coopération avec le Maroc. Je vous voyais afficher courageusement votre désaccord avec Arancha Gonzalez Laya et expliquer à l’opinion publique espagnole votre théorie du « crecer juntos »  (croitre ensemble). 

Mais vous n’en avez rien fait. Et j’avais fini par perdre l’espoir de vous voir sortir de votre mutisme et abandonner votre attitude passive.  

Excellence, Cher M. Planas,

Aujourd’hui, une nouvelle donne est sur la table. Le remaniement de votre gouvernement laisse entrevoir une petite lueur d’espoir de sortir de cette crise. Mais, pour le faire, il faut que les sages interviennent et agissent. Et comme je demeure convaincu – malgré la déception – que vous en faites partie, je vous invite à vous impliquer dans ce dossier. Votre nouveau collègue chargé des Affaires étrangères, José Manuel Albares, semble avoir tous les atouts pour réussir sa mission. Mais, il lui faudra, peut-être, du temps pour mieux cerner le dossier et trouver la bonne approche pour appréhender le royaume du Maroc. Or, aujourd’hui le temps presse. Toute seconde est une éternité dans l’horloge mondiale aujourd’hui. Tout le monde court vers ses intérêts et développe ses alliances. 

La crise actuelle, Excellence, n’est pas une petite tension passagère. C’est une affaire très sensible dont dépend sérieusement l’avenir des relations entre nos deux pays. Il nous faut donc conjuguer nos efforts de part et d’autre pour la dépasser une fois pour toutes et commencer, enfin, à agir en tant que partenaires tournés vers l’avenir. 

Excellence, c’est dans les moments les plus difficiles que l’on a besoin que les sages interviennent pour remettre les pendules à l’heure. Et nous avons besoin aujourd’hui que les sages portent la voix de la raison et poussent au dialogue entre les deux parties sans tarder davantage. Il y va de notre avenir conjoint et de celui de nos deux continents qui, grâce à nos deux pays, peuvent entamer un processus inédit de coopération Sud-Sud. 

Enfin, Excellence, Cher M. Planas, je vous remercie pour la lecture de cette lettre et vous prie de transmettre mes plus respectueuses salutations à votre honorable épouse que j’ai eu l’immense honneur de connaitre lors de certaines de nos entrevues. 

Cordialement 

Omar Dahbi 

 

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