société
Une histoire camerounaise, Hassan II, la vieillesse et le NMD
Feu le Roi Hassan II
Par Zakaria Hassan avec AFP
Une maison pour personnes âgées ? Presque une anomalie pour les Camerounais. A la lecture de cette information, comment ne pas se remémorer ce que le défunt Roi Hassan II avait déclaré : “Le jour où l’on ouvrira la première maison de retraite au Maroc, notre société sera en voie de disparition.” Un volet que le Nouveau Modèle de Développement (NMD), qui s’il aborde la transition démographique, n’a pas exploré et moins encore dégagé des perspectives possibles pour les mutations des structures familiales. Pourtant il y va du Maroc solidaire que l’on veut rebâtir à travers le NMD.
15 enfants et…
Marie Ebop Ndjock, camerounaise de 77 ans pleure à chaudes larmes son sort : ‘’Je n'ai personne. J'ai accouché de quinze enfants. Parmi ces quinze enfants..." Elle ne termine pas sa phrase. Elle s'affaisse sur la table voisine et éclate en sanglots, la tête cachée entre ses bras.
"Quinze enfants", répète-t-elle à l'envi. Et aucun pour prendre soin d'elle, à cause d'un contentieux familial sur le partage de ses biens, dans un pays où la solidarité familiale est un devoir et une obligation morale.
Une situation qui, dans notre culture marocaine, forcément similaire, angoisse ceux que les transformations sociales n’indifférent pas. Il y a longtemps déjà que la structure familiale marocaine a entamé sa transformation. De structure complexe, elle est passée de plus en plus à une structure nucléaire.
Des boites d’allumettes
Une étude du HCP de 1995 relevait que les familles complexes où cohabite une bonne partie de la population marocaine, représentaient un tiers des ménages. Les ménages nucléaires occupaient une part plus importante avoisinant les deux tiers des ménages. L’étude notait également le déclin de la cohabitation inter générationnelle au niveau national.
En 25 ans, cette situation n’a fait que progresser et à l’œil nu on peut constater ce qu’exprime le type de développement de l’habitat, des nids d’oiseau sans la poésie de la nature et des boites d’allumettes prêtes à s’enflammer : l’extension de la famille nucléaire est un mouvement ascendant et irréversible.
Certes, les solidarités familiales continuent de fonctionner camouflant pour un temps encore ces transformations de société où il est de plus en plus difficile aux enfants arrivés à l’âge adultes de prendre en charge les défaillances des parents frappés par le poids et l’usure des ans, et quasiment impossible aux frères et sœurs de continuer à faire fonctionner l’entraide familiale.
Alors que l’espère de vie est passée de 42,9 ans en 1950-1955 à 77,6 en 2020 élargissant la tranche de seniors, pour une grande majorité démunis, le lien social se distend à vue d’œil et pas seulement sous le coup des nouveaux de moyen de communication qui ont substitué au baise main de la mère le SMS et l’émoticône. Des transformations culturelles induites par la domination du modèle occidental sans les moyens dont il dispose. Pour dire les choses par un raccourci : Le mécanisme de « rdate alwalidine » (la bénédiction des parents) est un idéal en voie de disparition.
Occidentalisation de l'Afrique
Près de Douala au Cameroun notre vieille camerounaise aux 15 enfants pleure encore. "Ça va Marie, ne pleure plus", tente de la réconforter une jeune aide-soignante de "La Référence". ‘’La Référence’’ est un des rares centres d'accueil pour personnes âgées du Cameroun, que ne voudrait pour aucun prix Feu Hassan pour le Maroc, situé dans la banlieue nord de la capitale économique de ce pays d'Afrique centrale de quelque 25 millions d'habitants.
Comme au Maroc, mais de moins en moins, "au Cameroun, avoir une personne âgée dans son foyer est considéré comme une chance. La transmission des savoirs se fait oralement, d'une génération à une autre, l'expérience allant avec l'âge", explique Moïse Tamekem Ngoutsop, sociologue à l'université de Bamenda.
"La maison de retraite est une incongruité dans la culture africaine", rappelle-t-il, et leur création serait le fruit, selon lui, d'un "processus d'occidentalisation de l'Afrique".
Et pourtant, les huit habitants de la maison qui arrivent au compte-goutte dans la salle à manger, pour le déjeuner, se déplacent difficilement, qui en fauteuil roulant, qui en déambulateur, témoignent du démantèlement familial est en cours. La Référence, aux moyens réduits, reçoit régulièrement des demandes, mais ne peut en satisfaire que rarement.
A l'origine de "La référence", il y a une vocation. "J'ai commencé à rendre ce service à 24 ans alors que je travaillais dans des hôpitaux où des personnes âgées se trouvaient souvent abandonnées ou maltraitées", se souvient Florence Ndjassep, fondatrice et directrice de l'espace. "Ce sont des parents de patients qui m'ont demandé de m'occuper des leurs à domicile, puis j'ai pris conscience que le besoin était réel".
"Certains étaient obligés de passer la journée enfermés, devant attendre toute la journée qu'un membre de la famille s'occupe d'eux pour manger, être lavés ou soignés. C'est de là qu'est venue l'idée de créer un centre pour les personnes âgées abandonnées", explique-t-elle.
En 2017, des bienfaiteurs aident le projet à émerger. Aujourd'hui, les dons représentent 60% des sources de financement. Le reste provient des familles des patients. La communauté religieuse aide aussi l'association grâce à des dons matériels.
La prise en charge est gratuite pour les personnes qui n'ont personne pour les soutenir. Pour les autres, elle coûte 75.000 FCFA par mois (1200 dhs environ).
Mme Ndjassep estime que le centre a besoin de 600.000 FCFA (10 000 dhs euros) par mois pour fonctionner. Autant dire une fortune. La demande augmente, estime-t-elle, dans un pays qui a vu l'espérance de vie passer, selon la Banque mondiale, de 50 ans en 2000 à 60 ans en 2020. Elle dit recevoir au moins cinq candidatures par mois, mais répond rarement favorablement.