société
Une révision du procès du jardinier marocain Omar Raddad ?
Omar Raddad, décembre 2008 devant le ministère de la justice français
Trente ans après le meurtre de Ghislaine Marchal, une expertise ADN dont le journal français « Le Monde » a eu connaissance pourrait entraîner une révision du procès du jardinier marocain, qui a toujours clamé son innocence.
« Le doigt de Karim Raddad [fils ainé de Omar Raddad] suit le tracé des lettres ensanglantées. « Ça ne peut pas être de l’ADN de contamination ça, c’est du contact, non ? », demande-t-il, installé à la terrasse d’un hôtel toulonnais. Cet homme de 33 ans au visage émacié connaît bien le vocabulaire de la police scientifique ; ces mots-là font partie de sa vie, il a grandi avec, en fils aîné d’Omar Raddad, le jardinier marocain accusé du meurtre de sa patronne, Ghislaine Marchal, le 23 juin 1991, dans le sous-sol de sa villa de Mougins, écrit Le Monde dans son édition du 21 juin 2021.
« Trente ans ont passé. Ce dimanche de juin, le jeune homme, toujours persuadé de l’innocence juin de son père, consulte un rapport établi par un expert privé sur les deux inscriptions les plus célèbres de l’histoire criminelle française : « Omar m’a tuer », écrite distinctement sur la porte de la cave à vin, et « Omar m’a t », dessinée de façon plus floue sur celle de la chaufferie, à proximité du corps de Mme Marchal. L’ADN dit de « contamination » correspondrait à une « pollution » de ces deux pièces maîtresses du dossier par un huissier, un enquêteur ou un expert qui les aurait manipulées. En revanche, l’ADN de contact pourrait avoir été déposé par l’auteur du message.
« Trois décennies après les faits, l’affaire divise encore alors que de nouvelles analyses génétiques surgissent. Du côté de la défense et autour de Karim, un groupe d’irréductibles s’active pour obtenir la révision du procès et la réhabilitation de l’ex-jardinier. A l’inverse, les proches de la victime demeurent convaincus de sa culpabilité et déplorent la dimension sociétale et politique prise dès 1991 par l’affaire. Selon la nièce de Ghislaine Marchal, l’avocate parisienne Sabine du Granrut, elle n’aurait jamais eu autant d’ampleur « si le meurtrier avait été français avec un nom français » [..] »
« Karim Raddad n’a qu’une idée en tête : que son père, de plus en plus fragile, soit innocenté avant sa mort. D’où sa volonté d’avancer, encore et encore, les arguments de la défense : la grâce perçue comme une reconnaissance indirecte de non-culpabilité, l’absence de traces ADN du jardinier sur la scène du crime. « On n’en parle pas à la maison tant c’est évident qu’il est innocent, poursuit-il. Mon père n’en veut pas à la justice française, cela fait trente ans qu’il attend qu’elle reconnaisse ses erreurs. »
Une avocate franco-marocaine le soutient : Me Najwa El Haïté. Enfant, elle entendait ses parents débattre du cas Raddad. « Ça m’a touchée, j’ai voulu faire du droit rien que pour ça, pour combattre cette injustice. » […] L’affaire, d’après Najwa El Haïté, est avant tout une histoire française, d’immigration et de discriminations. « Omar me rappelle mon père, ce vieux chibani discret, qui ne fait pas de bruit, qui travaille et se tait, n’ose rien demander car il se sait “invité”. C’est à nous, la deuxième génération, de leur rappeler qu’ils ne sont pas des citoyens de seconde zone. » Cette conviction fait écho à la phrase de Jacques Vergès, le conseil d’Omar Raddad, après sa condamnation, en 1994 : « Il y a cent ans, on condamnait un officier qui avait le tort d’être juif, aujourd’hui on condamne un jardinier parce qu’il a le tort d’être maghrébin. » […]