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Benkirane, doctrine et politique - Par Bilal TALIDI
D’aucuns ont cru que le tempérament caractériel de Benkirane pourrait l’amener à recourir au silence, lui qui s’estime avoir été victime d’un complot politique ourdi, en partie, par les partis du «blocage gouvernemental». Ils ont dû être déçus.
Il était prévisible que le secrétaire général du PJD Abdalilah Benkirane adopte la position qu’il a annoncée, le weekend dernier, à l’ouverture de la session ordinaire du Conseil national de son parti.
Nombreux, à l’intérieur du parti, voir à l’extérieur, s’attendaient à une position différente de celle qu’il avait défendue au plus fort du mouvement du 20 février 2011, ou, à défaut, s’emmurer dans le silence. Après tout, il a constamment été hostile à ce qu’il appelle la prédominance des hommes d’affaires sur le pouvoir avec ce que cela impliquerait à ses yeux comme dangers pour l’Etat, estimant que des hommes d’affaires au pouvoir seront incapables, en cas de crise, d’assumer le rôle de médiation politique. De ce fait, il estimait que, le cas échéant, son parti, quand bien même il voudrait jouer le même rôle que lors du 20 février, ne serait certainement pas en capacité de gagner la confiance des gens à la possibilité de réforme.
Benkirane à contre-sens de sa nature
D’aucuns ont cru que le tempérament caractériel de Benkirane pourrait l’amener à recourir au silence, lui qui s’estime avoir été victime d’un complot politique ourdi, en partie, par les partis du «blocage gouvernemental». Ils ont considéré ainsi qu’il pourrait juger le moment propice de prendre sa revanche, et la manière politique la plus intelligente de le faire consisterait à garder le silence et à laisser le cabinet Akhannouch seul face à la ‘’tempête’’.
Mais Benkirane n’a rien cédé à ses états d’âme ni aux pulsions qui l’inciterait à prendre sa revanche politique. Il n’a pas, non plus, suivi l’élan de certaines bases de son parti qui, incapables de se défaire des effets de la crise politique du PJD, croient voire dans «les difficultés d’Akhnanouch», les répercussions de «la rupture du processus démocratique» et le «sursaut populaire qui intervient pour redresser le processus».
Nul doute que le pouvoir a aujourd’hui besoin de Benkirane et de son parti. C’est en pareils temps difficiles que les partis réformistes ont un rôle important à jouer dans le renforcement de la stabilité et il est inconcevable que le PJD tombe dans l’inadmissible pour verser dans le nihilisme, laissant le pouvoir démuni de tout soutien. Car ni les partis gouvernementaux n’ont suffisamment de capital politique leur permettant d’apaiser la situation, ni les partis réformistes ne sont dans la prédisposition d’adhérer à l’apaisement et de convaincre de la possibilité des réformes dans le cadre de stabilité.
Une attitude duale
La situation étant ce qu’elle est, Benkirane s’est positionné entre les exigences de la doctrine et celles de la politique. Côté doctrine, il se range traditionnellement du côté de la stabilité et s’oppose aux appels de nature à déstabiliser le pays et le mener sur les terrains périlleux qu’ont connus nombre de pays arabes, comme le Yémen et la Syrie. Côté politique, il tend à recomposer la position du parti de telle sorte que les services qu’il propose intègrent un schéma politique qui lui permet de se mouvoir.
Il en découle une position où Benkirane, s’il pose le problème de la hausse des prix devenue le leitmotiv de la contestation de la rue, il le restitue de manière rationnelle a son contexte. Il s’agit, selon lui, d’une question liée aux répercussions d’un problème planétaire, et non pas locale, sans pour autant se priver d’en endosser la responsabilité au gouvernement pour n’avoir pas pris les mesures qui allégeraient la souffrance des gens.
Une patience limitée dans le temps
Sur le même tempo, Benkirane rejette catégoriquement l’appel à la destitution du gouvernement pour principalement deux raisons.
La première est que la destitution du Cabinet Akhannouch, cinq mois à peine après sa nomination, porterait atteinte à l’image du Royaume et à sa stabilité, du fait que le message que l’on risque d’envoyer à l’étranger est que le Maroc est dans une turbulence, ce qui pourrait saper une bonne partie des fondamentaux que le Roi s’est évertué à asseoir, en l’occurrence la continuité du temps politique et la subordination de l’action politique aux résultats des urnes. Adhérer en conséquence à des appels aux origines inconnues porterait préjudice à la stabilité du pays et à son image
Le deuxième argument participe d’une patience limitée dans le temps. Il concerne le temps politique qui devrait être accordé au gouvernement avant de conclure à son incapacité, et Benkirane propose à cet effet une année au moins.
Des militants du PJD se sont opposés à cette approche et ont accusé Benkirane de s’aligner sur le gouvernement au lieu de prendre fait et cause pour le peuple. Il lui reproche notamment une position s’inscrivant en porte à faux de ses discours précédents où il n’avait pas ménagé le gouvernement dirigé par son propre parti qu’il avait accusé de courtiser ceux d’«en haut» au dépens de ceux d’«en bas».
La doctrine Benkirane
Visiblement, les tenants de ce discours ne saisissent pas comment Benkirane navigue entre doctrine et politique, et il semble qu’ils n’ont rien compris à son message politique profond qui constitue la quintessence de sa doctrine. Celle-ci consiste à contribuer au soutien de la stabilité et à la défense de la monarchie et de ses missions constitutionnelles (monarchie constitutionnelle au lieu de monarchie parlementaire). Ce sont là les fondements de la doctrine que Benkirane n’a cessé d’inculquer aux membres du parti, en les mettant en garde contre la tentation de céder à des positions contraires. La dimension politique de cette approche intervient en conclusion de ces positions : Elle se mesure à l’aune de son impact, et devrait trouver sa voie à la réalisation à travers le redressement du processus démocratique via la mise en œuvre des prérogatives constitutionnelles.
Benkirane rappelle un échange avec le Roi qui l’a assuré que le PJD est comme tous les autres partis. Il s’agit pour lui d’un signal important qui infirme l’existence d’une quelconque brouille entre la monarchie et les islamistes, et que toute allégation d’une vengeance royale contre le PJD est une pure affabulation. Ce qui amène Benkirane à une conclusion capitale ; à savoir un éventuel retour du PJD à la gestion gouvernementale si nécessaire.
La réflexion de Benkirane englobe la gestion royale de l’alternance gouvernementale, percevant correctement le respect du Souverain du temps gouvernemental et son attachement à ce que chaque gouvernement termine son mandat. Se fondant sur ce constat, Benkirane récuse tous les appels à la destitution du gouvernement à cinq mois de sa nomination, mais tient, en même temps, à adresser des messages importants à l’Etat. Il suggère ainsi, au cas où Aziz Akhannouch devrait échouer dans sa mission, la convocation par le Roi d’élections anticipées après une année de grâce. Cette démarche est de son point de vue à même de permettre un changement en douceur, dans le respect des dispositions constitutionnelles, et sans perturbation de la stabilité.
L’incontournable royauté
Benkirane n’a pas manqué, non plus, d’asséner des critiques sévères à ses opposants au sein du parti qu’il taxe de précipitation frénétique ou de stupidité politique. Le PJD, a-t-il rappelé, a besoin de restauration de stature avant de prétendre à des positions ou à un positionnement. Le redressement du processus démocratique a besoin d’une sagesse politique semblable à celle qui a prévalu du temps du 20 février, c’est-à-dire par une initiative royale proactive, et non par un bras de fer auquel adhérerait le parti en vue de faire plier l’Etat.
On pourrait s’interroger sur différence entre «Akhannouch dégage !» et l’appel de Benkirane au Roi à convoquer des élections anticipées après une année du Cabinet Akhannouch si ce dernier montre ses limites de gestion. Deux différences majeures sépare l’un de l’autre. La première porte sur le temps, Benkirane préférant tempérer pour sept mois supplémentaires en vue d’atteindre le même objectif sans porter atteinte à la stabilité du pays, contraindre l’Etat ou nuire à son image à l’étranger. La seconde est que Benkirane aspire à un changement institutionnel qui n’obéit pas à la pression de la rue, et entend préserver à l’initiative du Roi son intégrité et son intégralité. Il s’agit là d’une constante de la doctrine politique que Benkirane n’a cessé de faire valoir auprès de ses partisans, dès lors qu’il est acquis que dans l’histoire politique du Maroc aucun changement n’est possible sans une volonté royale.