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Bac : Plongeon dans la mafia de la triche organisée - Par Bilal TALIDI
Débusquer aisément les réseaux de fraude et en démêler les écheveaux pour identifier les acteurs, le modus operandi, le nombre des clients parmi les élèves et l’étendue des complicités parmi les cadres pédagogiques eux-mêmes, c’est possible. Mais il faut la volonté politique d’y aller.
La fraude est devenue un sérieux problème qui menace le système éducatif national, mais il y a des ‘’contraintes’’ qui poussent certains acteurs à ne pas assumer leur responsabilité face à sa prolifération.
L’avenir de l’élève marocain dépend de l’obtention du baccalauréat, le précieux sésame, ce qui est en soi un indicateur positif qui permettra de juguler progressivement le phénomène de la main d’œuvre non-scolarisée et de développer les compétences du capital humain, facteur axial dans toute entreprise de développement.
La sélection qui avantage le privé
L’admission aux universités et établissements et instituts supérieurs, particulièrement ceux à accès régulé, est conditionnée par des moyennes précises qui varient selon la qualité de l’institution et sa capacité d’accueil. Ces institutions exigent des conditions de présélection aux concours d’accès afin de drainer les meilleurs parmi les étudiants.
Les commissions chargées de cette opération sont conscientes que le principe de l’égalité des chances suppose l’abandon des notes du contrôle continu, en ne tenant compte que des résultats des examens régional et national unifié, afin d’assurer une certaine parité entre les élèves des secteurs public et privé, ce dernier étant souvent dopé par des notes très élevées en matière de contrôle continu.
Fait nouveau, les critères de sélection ne se focalisent plus uniquement sur les matières scientifiques traditionnellement requises par ces institutions, mais exigent aussi un niveau élevé de maîtrise des langues étrangères.
La fraude organisée, c’est quoi
Le problème c’est que ces critères élevés destinés à attirer un capital humain qualifié, ouvert et capable de s’intégrer dans son environnement, sont contrebalancés par le phénomène de la fraude organisée que le système pédagogique n’arrive pas à juguler.
L’on peut croire que par «fraude organisée» on entend le changement des modalités de cette fraude, sa capacité à mettre à profit la révolution technologique et numérique et l’utilisation du téléphone portable, en lieu et place des supports papiers traditionnels, induisant des lois et des mesures préventives que prennent le plus souvent les acteurs du système pédagogiques.
C’est un peu ça, mais ce que l’on entend spécifiquement par-là renvoie plutôt au phénomène de la fraude qui s’est transformé en une véritable opération organisée dont l’élève n’est qu’un maillon en aval, alors qu’en amont les acteurs se situent hors de l’institution scolaire, dont certains sont probablement des cadres du système pédagogique.
Les rapports réalisés par les cadres pédagogiques chargés de la surveillance souvent ne reflètent pas l’ampleur du phénomène, du fait que ces surveillants se contentent dans la plupart des cas de la confiscation des outils de la triche et préfèrent ne pas écrire de rapport de crainte que leur intégrité physique ne soit exposée une fois en dehors de l’institution scolaire.
La réalité sur le terrain indique que l’opération de la fraude est devenue très complexe : elle commence par la capture en photo de l’épreuve immédiatement après sa distribution en classe d’examen et son transfert à l’intermédiaire (1000 Dh pour les réponses à quatre épreuves). Celui-ci se charge, à son tour, du transfert de l’épreuve à des enseignants ou à des étudiants universitaires rémunérés en contrepartie des réponses, via des parties qui assurent le dispositif technique et logistique (1000 Dh par jour pour la location d’un kit Bluetooth).
Quand la politique s’en mêle
La loi a beau être claire et ferme en matière d’interdiction de la fraude avec des sanctions coercitives à l’encontre des contrevenants, mais quand la politique s’en mêle, son effet dissuasif s’en trouve de facto désactivé.
Le ministère de l’Education nationale a justifié auparavant l’impossibilité de couper la connexion à internet en arguant les coûts énormes de l’opération, cependant que les services sécuritaires ne serait pas chauds non plus pour la coupure de la connexion au centre d’examen, susceptible d’impacter d’autres institutions dans les environs, y compris surtout celles des services de sécurité eux-mêmes.
Au plan central, on appréhende qu’une politique ferme de lutte contre la fraude puisse conduire à une baisse notable du taux de réussite au baccalauréat, ce qui expliquerait qu’on tend souvent à traiter ce phénomène avec une certaine souplesse, pour ne pas dire laxisme.
La rivalité entre les académies régionales et les directions provinciales pour se maintenir dans le classement les incite à privilégier la souplesse au lieu de la ferme coercition pour ne pas devoir, le cas échéant, à répondre d’une éventuelle chute du taux de réussite.
Certains établissements scolaires, qui ont essayé la voie de la lutte implacable contre la fraude, se sont retrouvés, précisément en raison du faible taux de réussite au baccalauréat, dans le collimateur de visites d’inspection de commissions provinciale, académique et parfois ministérielle. Désabusés, ils ont fini par céder à la souplesse en réalisant que les établissements qui ont opté pour la facilité jouissent de la considération et de l’estime de la tutelle, sont dispensés de ce genre de visites d’inspection, et viennent en tête du classement des taux de réussite.
Les élèves ont pris conscience de ce jeu, ou plutôt de cette structure, et font peu de cas de la loi comme des cadres pédagogiques. Preuve en est que le candidat arrive au centre d’examen muni d’entre sept et huit téléphones portables qu’il aura tout le loisir d’utiliser si jamais on lui en confisque un. Il est susceptible aussi de recourir à la violence et à la menace pour imposer son «droit à la fraude», sachant pertinemment que les cadres pédagogiques craignent pour leur intégrité physique et se plaignent de l’impuissance des autorités compétentes à assure leur sécurité.
Détecter la fraude, c’est possible
L’opération de correction devrait normalement révéler des données importantes sur l’ampleur du phénomène de la fraude, mais le ministère de tutelle n’a malheureusement à ce jour réalisé aucune étude sur ce sujet et n’a pas mis à profit les données que peuvent livrer les cadres pédagogiques qui participent à toutes les étapes de l’opération des examens.
Le ministère annonce chaque année le nombre des cas de fraude, mais il sait que ces chiffres ne concernent que ceux ayant fait l’objet d’un rapport, alors que le taux de fraude atteint des proportions alarmantes particulièrement dans les filières littéraires.
Les données confiées par nombre d’enseignants des langues étrangères indiquent que la fraude culmine dans ces matières à des niveaux record. En raison de la nature de certaines questions qui ne supposent pas de réponses ouvertes, les correcteurs sont surpris de tomber sur des dissertations (essai/writing) d’un niveau bien trop supérieur pour le niveau d’un élève du baccalauréat. De là à penser qu’il y a anguilles sous roche, il n’y a qu’un pas à franchir allègrement.
Des circulaires du ministère préconisent de considérer comme cas de fraude les copies dont les réponses coïncident avec les modèle diffusés sur internet, mais cette mesure est loin de rendre compte de l’ampleur d’un phénomène qui fait intervenir des parties et des cadres à différents paliers.
Pourtant, la fouille d’un téléphone portable par les services de sécurité compétents, avec l’aide des sociétés de communication concernées, permettrait de débusquer aisément les réseaux de fraude et d’en démêler les écheveaux pour identifier ses acteurs, le modus operandi, le nombre des clients parmi les élèves et l’étendue des complicités parmi les cadres pédagogiques eux-mêmes.
Le phénomène de la fraude s’inscrit dans le contexte pédagogique, mais il apparait de ce qui précède que sa résolution requiert une approche multidimensionnelle qui fait intervenir les aspects politique, sécuritaire, technique et informatique.
La solution commence par la levée de la confusion entre pédagogie et politique pour éviter que la baisse du taux de réussite ne devienne une obsession politicienne. Les élèves doivent être initiés, tout au long de l’année, à une politique ferme et rigoureuse. Elle consiste à privilégier des examens avantageant les dimensions méthodiques et critiques à l’apprentissage par cœur, tout en plaçant la lutte contre les réseaux de soutien à la fraude organisée à la tête des priorités de la politique sécuritaire, dès lors que nul ne peut contester que la qualité du capital humain est le fondement de tout projet de développement et de société.