Avec ''Nayda'', Saïd Naciri défie le CCM et l’autorité de tutelle et crée l’évènement - Par  Bilal Talidi  

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D’un point de vue légal, l’octroi de subventions est soumis à des dispositions légales et des procédures spécifiques. Une commission spécialisée, sur la base de critères objectifs, décide d’accorder ou non ce soutien. Cependant, en pratique, de nombreuses critiques émanent du milieu artistique concernant la gestion de ces subventions

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Il y a quelques jours, Saïd Naciri, acteur et réalisateur marocain, a défié le Centre cinématographique marocain (CCM) et l’autorité de tutelle en diffusant son film Nayda sur YouTube. Il a invité le public marocain à le visionner massivement, avec l’objectif d’atteindre 5 millions de vues, ce qui lui permettrait de lancer une chaîne télévisée numérique dédiée à la diffusion de ses films.  

Le problème de Saïd Naciri avec le CCM, selon ses déclarations, réside dans le fait que le Centre n’a pas accordé de soutien financier à son film, bien qu’il ait délivré une autorisation de tournage après l’examen du projet par une commission, et suivi le déroulement du tournage.  

D’un point de vue légal, l’octroi de subventions est soumis à des dispositions légales et des procédures spécifiques. Une commission spécialisée, sur la base de critères objectifs, décide d’accorder ou non ce soutien. Cependant, en pratique, de nombreuses critiques émanent du milieu artistique concernant la gestion de ces subventions, évoquant des favoritismes envers certaines sociétés de production. Certains acteurs ont même accusé des réalisateurs de produire des œuvres sous deux sociétés différentes afin de cumuler plusieurs aides.  

LUNDI NAYDA ETAIT 18 MILLIONS DE VUES SUR YOUTUBE

Le CCM a laissé entendre, sans grande ambiguïté, que le film ne respectait pas les normes artistiques et techniques requises pour mériter un soutien. En réponse, Saïd Naciri a relevé le défi et souhaité faire entendre l’opinion d’un large public en diffusant son film sur YouTube. Il a joué la carte de la « rue », promettant de nommer sa chaîne télévisée numérique (si les 5 millions de vues étaient atteints) "la chaîne du peuple".  

Au moment de la rédaction de cet article, le film Nayda avait atteint 18 millions de vues auprès du public marocain. Cependant, il suscite un débat intense sur son contenu, ses messages politiques, et son niveau artistique, créatif et technique.  

Certains ont voulu transformer ce film en outil politique, non seulement pour dresser un constat sur la situation, mais aussi pour mobiliser les masses opprimées contre les élites au pouvoir. En revanche, sur les réseaux sociaux, une campagne de dénigrement a été lancée contre Saïd Naciri, fouillant dans son passé pour trouver des "dossiers" susceptibles de nuire à son image.  

Le message du film n’est pas sans rappeler celui du film Le terroriste et le kebab d’Adel Imam, avec deux grandes différences : la thématique du terrorisme est absente dans le film de Naciri, et le symbolisme subtil du film d’Adel Imam cède la place à un langage direct et brut dans Nayda, adapté au contexte marocain.  

Sur le plan technique, les spécialistes estiment que le film souffre d’un manque évident de qualité en matière de tournage et de production. Saïd Naciri lui-même l’a reconnu, bien qu’indirectement. Toutefois, cela peut être attribué à des contraintes budgétaires qui auraient pu être surmontées avec un soutien financier.  

Le scénario et le contenu du film manquent de symbolisme créatif. Pourtant, certaines opinions dans le milieu artistique considèrent que ce type de productions ne doit pas être jugé en dehors de leur nature artistique propre. Si l’œuvre repose sur une trame narrative cohérente, elle peut être destinée à un public large, sans nécessiter une grande réflexion pour déchiffrer son symbolisme.  

Toutes ces considérations mettent en lumière un problème profond : une fragilité structurelle dans le cadre institutionnel qui soutient le cinéma marocain. Peu importe que l’on cherche à défendre le CCM ou Saïd Naciri, chaque position peut être contredite par des arguments opposés. En effet, de nombreux acteurs du milieu artistique critiquent ouvertement ou implicitement les critères peu objectifs du CCM pour attribuer les subventions. Certains estiment que des œuvres de moindre qualité ont bénéficié de soutien, tandis que l’absence de financement peut expliquer les lacunes techniques d’autres projets.  

Ce débat soulève également d’autres problèmes qui affectent le secteur depuis des années : l’influence grandissante des "influenceurs" dans le cinéma, les privilèges accordés à certains réalisateurs et artistes dans les chaînes de télévision publiques marocaines, le manque de professionnalisme dans le processus de casting, le recours excessif à des proches non qualifiés, et la domination de certaines sociétés de production sur le système de subventions. Tout cela alimente un climat de mécontentement dans un secteur où des contenus éloignés des valeurs marocaines authentiques sont parfois promus.  

Il ne s’agit pas ici de justifier ce qui s’est passé ou de soutenir Saïd Naciri. Cependant, face à l’accumulation de ces problèmes, certains dans le milieu artistique adoptent l’attitude du "faites-en une grande affaire pour qu’elle devienne petite" (kabbarha t’sghare). Ce qui s’est produit met en lumière des risques importants : non seulement le public est entraîné dans un conflit entre les acteurs du milieu artistique et les institutions, mais deux dangers émergent :  

  1. Une critique implicite des médias publics, avec une invitation à migrer vers des chaînes numériques privées.  
  2. Une politisation incontrôlée des œuvres artistiques.  

La question pour l’autorité de tutelle est la suivante : a-t-elle agi avec la sagesse nécessaire ou a-t-elle aggravé le problème, mettant les autorités dans une situation difficile ?  

À mon avis, il aurait été possible d’éviter cette crise par le dialogue au moment où Saïd Naciri menaçait de diffuser son film sur YouTube. Naciri n’est ni idéologue ni acteur politique et aurait pu être amené à discuter. Il est probable qu’il n’anticipait pas lui-même l’ampleur de ce qui s’est passé ni les conséquences à gérer.  

Le problème réside dans une mauvaise évaluation de la part des institutions, qui n’ont pas pris en compte la fragilité du secteur cinématographique et social. Cela a permis aux pratiques contestables de la commission d’allocation des subventions de devenir une source de tension, créant un climat de mécontentement dont le Maroc n’a pas besoin en ce moment critique.  

La solution n’est pas dans le dénigrement de Saïd Naciri ou dans une confrontation avec lui. Il s’agit d’agir rapidement pour apaiser les tensions dans le milieu artistique et restructurer ce secteur sur des bases objectives, respectant la compétence et le mérite.  

En instaurant des mécanismes transparents et équitables, la qualité artistique et le goût esthétique du public s’élèveront, préservant ainsi le secteur artistique et les institutions publiques des conflits liés à des intérêts purement financiers.  

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