Abolir la polygamie - Par Soukaïna Regragui

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Sublime est le film « A la recherche du mari de ma femme » réalisé en 1993 par Abderrahmane Tazi, avec Amina Rachid, Naïma Lemecherqui, Mouna Fettou et Bachir Skirej, explorant dans la critique et le comique l’absurdité de règles opprimant les femmes dans le cadre de traditions et lois rigides, patriarcales.

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Est-il admissible que la polygamie demeure un droit reconnu à l’homme dans la Moudawana ? N’est-ce pas trompeur de brandir que le taux de 0,6% justifie son maintien ? N’est-il pas sournois de propager que les femmes étaient « seigneurs », dignes, heureuses, que la femme était moulat addar, la maitresse de céans ? « Sans papier » est-il dit dans l’ironie ! Les profondeurs de leurs âmes, les déchirements de leurs cœurs, seul Dieu en est témoin ! Les exceptions introduites en 2004 dans la Moudawana sont pourvoyeuses d’injustices, de drames familiaux. « Chraâ nous accorde quatre femmes », est-il brandi. 

Que penser des arguments soutenus par les hommes, par la loi ? Au palmarès figurent la stérilité de l’épouse, l’âge avancé, la santé, le devoir conjugal... Entendons-nous ! Lorsque que c’est le mari qui est infertile, avancé dans l’âge, malade, dans l’incapacité d’accomplir le devoir conjugal, la femme a-t-elles le droit de reléguer leur époux ou d’en prendre un deuxième ? Où dénicher dans cet état des lieux les valeurs de soutien, d’engagement de vivre-ensemble dans l’heur et le malheur ? Au nom de ce biais sociétal, plus de 1000 mariages polygames sont contractés annuellement.

A la recherche du mari de ma femme

La polygamie est maintenue dans la Moudawana 2004 avec ces « avancées » que la première épouse peut demander le divorce pour cause de préjudice subi, et aussi le droit pour la femme de consigner dans l‘acte de mariage que son mari s'engage à ne pas y recourir.  Dans le cas où ce n’est pas acté, le juge a l’obligation de convoquer la première épouse et demander son consentement, aussi d’aviser la deuxième épouse que son prétendant est déjà marié et recueillir son assentiment. Passez-moi l’expression : La belle jambe que ça fait !

Le vécu des femmes et des enfants dicte son abolition au vu des maux que deux mots « répudiation » et « polygamie » ont produit comme souffrances dont la plus profonde, l’atteinte à leur dignité. Est-il nécessaire de décrire la hantise qu’ont vécu les femmes de recevoir leur « briya », leur « enveloppe », à tous moments par surprise ou dans la violence verbale et/ou physique, dans le pouvoir absolu des maris ? Est-il nécessaire de décrire la hantise qu’elles avaient de subir les mariages de leurs époux dans un pouvoir guidé par leurs désirs, leurs humeurs, leurs projets ? La violence n’avait pas pour nom violence, elle était odieusement une norme légale et longtemps sociale. 

Sublime est le film « A la recherche du mari de ma femme » réalisé en 1993 par Abderrahmane Tazi, explorant dans la critique et le comique l’absurdité de règles opprimant les femmes dans le cadre de traditions et lois rigides, patriarcales. L’épouse qui quitte le domicile conjugal ou qui est répudiée devait épouser temporairement un autre homme, le ‘’blanchisseur’’ « mouhallil » pour que son mari la désirant toujours puisse la « reprendre » ; tel un objet ! La polygamie a la peau dure. Et tout aussi dures les résistances masculines à l’abandon d’un ‘’droit’’ à un petit harem, entre autres motivations, cachées ou exprimées, d’un privilège indu. 

L’adultère Halal

A quoi rime donc cet attachement de certains à un épanouissement sexuel halal, parce que supposément hors adultère, si ce n’est à de la bigoterie : « Je préfère une deuxième épouse à plusieurs maîtresses au moins la deuxième a des droits » clame une personnalité publique. D’autres clament assagir leur première épouse. 

Non abolie, la polygamie met le juge devant l’obligation de se fonder sur un argument objectif exceptionnel (sic), une raison majeure, de s’assurer de la capacité du mari à traiter les épouses et les enfants sur un pied d'égalité (resic), à leur garantir les mêmes conditions de vie (reresic). Allah lui-même a établi dans le Saint Coran - que c’est impossible ((Annissa’e 129). Dès lors que peut le juge bien humain pour apprécier la capacité de la femme à remplir ses « devoirs conjugaux », pour assurer aux épouses et aux enfants l’égalité, fut-ce sur le plan sentimental à supposer que les conditions matérielles soient assurées ? Le regard, le sourire, le baiser, portés sur toutes les épouses est-il le même ? Des fouqahas l’ont souligné.   Jusqu’à quand maintenir la porte béante aux exceptions, à la mentalité des juges, à leurs interprétations, aux détournements, à la corruption ? De là, et déjà en 1952, Allal Fassi, un leader et un théologien s’il en fut, dans son ouvrage « Annaqd Addati » (l’Autocritique) a conclu à la remise en question de l’héritage et  de la polygamie. 

Comment se fait-il alors que trois-quarts de siècles plus tard, les droits des femmes se heurtent à des courants rétrogrades comptant malheureusement des voix de femmes, persistent dans la négation de la lettre et l’esprit des textes, par une interprétation fort restrictive des versets, voire par une totale ignorance accommodante.

L’ijtihad, l’effort jurisprudentiel de l’intelligence 

A l’écoute des revendications sociétales pour des lois justes répondant au XXIéme siècle, le Monarque recommande l’ijtihad, l’effort jurisprudentiel de l’intelligence : « Tenir compte des desseins de l'Islam tolérant qui est attaché à la notion de justice, à telle enseigne que le Tout-Puissant a assorti la possibilité de polygamie de restrictions sévères : « Si vous craignez d’être injustes, n’en épousez qu’une seule ». Mais le Très-Haut a écarté l’hypothèse d’une parfaite équité, en disant en substance : « vous ne pouvez traiter toutes vos femmes avec égalité, quand bien même vous y tiendriez » ; ce qui rend la polygamie légalement quasi-impossible ».   

N’est-il pas temps de mettre fin aux déséquilibres de la cellule familiale causés par la loi ? Le rôle de celle-ci est essentiellement d’assurer l’harmonie familiale ! Minimiser, nier, est toxique. Taux, chiffres officiels sont faussés par l’augmentation de divorces comme solution pour les femmes refusant l’union polygame, les contournements par le mariage Alfatiha légitimé du fait de grossesse, le subterfuge de se marier dans une autre ville, y établir un certificat de résidence se déclarant célibataire. 

Arrojoliya est clamé ! Une seule femme est insuffisante pour des raisons de virilité, de constitution de l’homme différente de la femme et, est-il rabâché, parce que Dieu, qui a bon dos, l’aurait voulu ainsi. L’homme ne peut s’astreindre aux périodes de menstruations, d’accouchements, d’allaitements, aux malaises psychologiques, aux infirmités. Et, surtout, ne pas dire que l’homme dont parle le Coran est celui qui recherche almoutaa, la jouissance ! Des voix gardiennes du temple somment de ne pas imiter l’Occident, avide de jouissances ! Pourtant, c’est dans les pays du monde arabe que se vend le plus grand volume de viagra et de substances stimulantes ! Nostalgie des jawaris, concubines et esclaves ? 

Bien avant l’Islam, la polygamie jouait un rôle social dans un cadre de guerres pour protéger des veuves, des femmes, des orphelines, d’exploitations aussi pour nouer des alliances tribales. En l’absence de règles, les hommes jouissaient d’un nombre illimité de femmes. L’islam est venu empêcher ces exploitations limitant le nombre à quatre épouses, seulement par souci de ne pas trop heurter une société patriarcale et phallocrate.  Et par le même souci, Sourate An-nissaâ, signe 3 est venue conditionner, avant de subtilement proscrire la polygammie : « Epousez, parmi les femmes qui vous plaisent, deux, trois ou quatre. Mais si vous craignez de n’être pas justes avec elles, alors une seule. » Le signe 129, vient par la suite trancher la question : « Vous ne pourrez jamais être équitable avec vos épouses, même si vous en avez le souci. ». Dans ses Directives, Amir-Almouminine, souligne : « Mon Aïeul le Prophète Sidna Mohammed - Paix et Salut soient sur Lui - a dit : « les femmes sont égales aux hommes au regard de la loi ». Il est, en outre, rapporté qu’il a dit : « est digne, l’homme qui les honore et ignoble celui qui les humilie ». 

La polygamie, n’est pas une prescription mais une permission à un moment historique, assortie sur des conditions draconiennes de adl, d’égalité. Qu’il ne soit plus clamé que c’est pour sauver, donner des opportunités à des femmes, des filles, des vieilles filles ! Appliquée, la polygamie contredit les valeurs islamiques, les principes d’égalité et de non-discrimination garantis par la Constitution de 2011, les conventions internationales ratifiées. Rompre avec cette permission ponctuelle est possible.