C’était mieux avant – Par Abdelaziz Gougas

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Notre mémoire oublie souvent les aspects sombres du passé, se concentrant sur les moments heureux. Le passé des Marocains n'était pas cette image en noir et blanc parfaite dans un cadre doré ou argenté. C'était aussi une époque où les maladies les plus banales emportaient des vies, où les poux et puces cohabitaient avec les plus modestes

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Il existe aujourd'hui des expressions couramment répétées par une grande partie des Marocains, comme "les jours de gloire" et "le bon vieux temps", accompagnées de soupirs nostalgique, évoquant la pureté et la clarté des jours d'autrefois. 

Ces complaintes pointent vers les changements des goûts et des valeurs, des représentations et des comportements, des structures et des idées. Mais s'agit-il réellement de transformations profondes qui nous auraient graduellement conduits vers le déclin, un passage d'un passé lumineux à un présent morose et un futur dont les contours semblent tout aussi peu prometteurs que notre présent ? Sempiternelle question qui a accompagné toutes les générations : Était-ce réellement mieux avant ? Ou bien est-ce que ceux qui sont enchaînés par le poids du passé sont incapables de se projeter dans l'avenir, et continuent de considérer avec mépris tout ce qui survient dans le présent ? Pour eux, le véritable art était celui des anciens, les chefs-d'œuvre de la musique et du chant appartiennent au passé, face à une prétendue décadence du goût actuel.

En politique, le discours n'aurait-il pas décliné, et avons-nous perdu les grands leaders qui forgeaient des mythes chaleureux pour la nation et incarnaient de grandes symboliques ? Existe-t-il réellement dans le présent des éléments qui renforcent cette nostalgie du passé, cette envie de vivre dans "les jours de gloire", "le bon vieux temps", et "les jours d'antan" ? Ou est-ce simplement une lutte entre générations, chaque génération précédente considérant que celle qui la suit a moins de goût, est moins bien éduquée, et plus ignorante, et affirmant qu'elle n'a pas connu ces jours anciens où tout était simple mais beau et profond ? Cela ne serait-il pas lié à une génération qui, dans son passé, parlait d'avenir, et qui, aujourd'hui, approchant la mort et n'ayant plus de futur, habite son passé comme pour retarder l’échéance fatale, voyant tout ce qui était beau, fascinant, réjouissant et correct comme un édifice d’un temps antérieur qui s'est effondré ? Ou s'agit-il simplement d'hallucinations et de divagations d'élites vieillissantes, qui ne réalisent pas que le présent est bien plus avancé à tous égards – en matière de droits, de conscience, de diversité des choix, de liberté d'expression, et de qualité de vie bien plus réjouissante que la pauvreté et la misère du passé ?

Parler des "jours de gloire et du bon vieux temps" n'est pas propre aux Marocains. Le sentiment que tout empire avec le temps et que nous allons vers le déclin semble partagé par les nations à travers les époques. Les habitants de Babylone, la première civilisation humaine, pensaient que leur société avait régressé par rapport à celle de leurs ancêtres et chantaient les louanges du "bon vieux temps". Dans l'Athènes antique, les Grecs estimaient que leur époque était en recul par rapport à un âge d'or légendaire. Les Français évoquent aujourd'hui "la belle époque" ou "les bons moments", mais il y a une spécificité marquante dans l'attachement des Marocains et des Arabes en général au passé, comparé à d'autres expériences humaines.

Beaucoup de gens vivent longtemps dans le passé, que l'on devrait considérer comme un tremplin pour avancer, et non comme un sofa pour se reposer, comme le disait Tawfiq al-Hakim. Plus le présent est une époque d'incertitude et de doute, plus nombreux sont ceux qui errent dans les cimetières, considérant que ce qui s'est passé était meilleur que ce qui reste à venir : "les jours de gloire", "le bon vieux temps"... Si nous pensons réellement que tout était mieux avant, nous devons imaginer que si nous pouvions "remonter le temps", la vie s'améliorerait progressivement. Comme le souligne ironiquement un penseur, cette vision passéiste est absurde.

De nombreux facteurs poussent individus et groupes à parler du passé comme d'un âge d'or. Parmi eux, la nostalgie, un penchant à se souvenir du passé de manière plus positive qu'il ne l'était réellement. La nature humaine tend à se rappeler les souvenirs heureux et à oublier ou minimiser les aspects négatifs du passé. De plus, certains trouvent un réconfort dans le passé, car il procure un sentiment de stabilité et de familiarité dans un monde en constante évolution, où s'adapter exige un effort soutenu et coûteux que leurs os vieillissants n’ont plus la force d’affronter. Bien sûr, évoquer le passé peut aider les gens à valider leur identité et à renforcer leur vision du monde. Cependant, il est essentiel de rappeler que chaque perception du passé est subjective.

Notre mémoire a souvent tendance à sélectionner et à ignorer, écartant les moments tristes et désagréables pour ne conserver que ce qui est lumineux et joyeux. Ce mécanisme, mental et inconscient, nous incite à vivre continuellement dans un passé idéalisé, à généraliser excessivement et à émettre des jugements simplificateurs. Ceux qui se souviennent des jours heureux et des "jours de gloire" oublient souvent que ce passé était aussi marqué par la tyrannie, la faim, et la pauvreté extrême, où les maladies les plus insignifiantes pouvaient être mortelles. C'est le piège de la mémoire et, en partie, un conflit intergénérationnel. Le romantisme d'un passé idéal en politique était marqué par de grandes figures comme Abdelkrim El Khattabi, Allal El Fassi, Belhassan El Wazzani, Abderrahim Bouabid, Ali Yata, et Mohamed Boucetta. Même à droite, des figures comme Ahmed Osman ou Mohamed Cherkaoui semblaient porter des valeurs et des positions fortes. Mais cette époque était aussi celle de la répression, des années de plomb, des prisons et des centres de détention secrets. Si le coût de la vie était bas et les besoins des Marocains limités, le niveau de vie général des familles n'était guère enviable.

Notre mémoire oublie souvent les aspects sombres du passé, se concentrant sur les moments heureux. Nous avons tendance à nous rappeler les chansons, les voitures, ou les grands joueurs de football des "jours d'antan", en oubliant toutes les difficultés, même les plus horribles. Le passé des Marocains n'était pas cette image en noir et blanc parfaite dans un cadre doré ou argenté. C'était une époque où les maladies les plus banales emportaient des vies, où les insectes – punaises, poux, et puces – cohabitaient avec les plus modestes. Nous n'avons guère de quoi nous vanter auprès de nos enfants, génération du numérique, d'Internet, de la vitesse et de l'effort moindre, un futur prometteur en termes de culture, de politique, de goûts et de réalisations.

Les changements rapides de la vie d'aujourd'hui et l'incapacité à s'y adapter socialement et psychologiquement font que certains se sentent étrangers à leur époque. Ici intervient la nostalgie, comme un moyen de s'ajuster aux évolutions rapides qui affectent le temps et ses habitants. Pour ceux qui en souffrent, elle apporte équilibre et bonheur, avec des effets positifs sur la santé mentale et psychologique de beaucoup.

La nostalgie est un sentiment universel qui nous fait souvent percevoir le passé comme plus intense que le présent. Cela s'explique par la manière dont notre cerveau traite les souvenirs, souvent associés à des émotions, ce qui peut les rendre plus vifs. Ainsi, les souvenirs marqués par des émotions fortes semblent souvent plus vivants que ceux des moments plus banals. De plus, avec le temps, les souvenirs peuvent se déformer, contribuant à une perception idéalisée du passé.

Ainsi, évoquer les "bons moments" et le "bon vieux temps" peut répondre à différents besoins : certains se remémorent les souvenirs heureux pour se réconforter et se motiver. Ces moments peuvent inclure des événements spéciaux, des rencontres agréables, des réussites personnelles, ou simplement des instants de bonheur quotidien. Ils peuvent procurer joie, satisfaction et apaisement à ceux qui s'en souviennent ou les partagent avec les autres. Ou, ou, cette jeunesse avec ses insouciances perdues à jamais.

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