chroniques
Dans les eaux du lac interdit de Hamid Ismailov - Par Samir Belahsen
Entre 1949 et 1989, au Polygone nucléaire de Semipalantisk, il fut réalisé un total de 468 explosions nucléaires, dont 125 explosions atmosphériques et 343 explosions souterraines.
« Vous ne devriez jamais avoir peur de faire des erreurs, car vous apprenez de ces erreurs. La résilience n’est pas quelque chose que vous avez, c’est quelque chose que vous gagnez »
Michelle Obama
« Quand on peint son héros, on peint son idéal, et l'idéal que l'on a, on se croit toujours un peu, on se croit du moins par moments, de force à le réaliser. Poser un héros, c'est un peu poser en héros. »
Emile Faguet
Hamid Ismaïlov, né en 1954 au Kirghizistan près de Tachkent est un écrivain ouzbek qui vit à Londres où il dirige le service de l'Asie centrale à la BBC. Journaliste, écrivain et traducteur, il écrit en ouzbek et en russe.
« Dans les eaux du lac interdit », est un roman/conte traduit par Héloïse Esquié.
L’histoire
Un voyageur anonyme prend place à bord d’un train pour un interminable voyage à travers les steppes kazakhes.
Les trains ont ceci de particulier, ils ont toujours des histoires à raconter.
Dans une petite gare et un garçon monte à bord, il vend des boulettes de lait caillé.
Il joue Brahms au violon de manière prodigieuse. Notre narrateur / le voyageur découvre que « l’enfant » est en fait un homme :Yerzhan .
Le jeune homme, de 27 ans avec l'apparence d'un garçon de 12 ans, raconte son histoire, son enfance avec sa famille et la famille voisine, comment il a appris la musique, son entrée à l'école.
Dans ce coin loin de tout, les hommes travaillent sur la voie ferrée, les femmes gèrent l'intendance, comme elles peuvent.
Yerzhan est ce petit garçon vif, intelligent, musicien né qui se mariera avec la fillette de la maison voisine.
Un jour, il arrête de grandir car autour d'eux c'est la zone, dite zone interdite, celle des essais nucléaires...
" La façon dont Yerzhan me narrait sa vie ressemblait à notre itinéraire : on n'y discernait ni virage ni retour en arrière. Son histoire, ponctuée par le craquement régulier des jantes, se poursuivait inlassablement, tout comme les fils électriques aperçus à travers la vitre couraient de poteau en poteau."
Le jeune homme raconte son enfance et sa baignade dans les eaux du lac interdit.
"Entre 1949 et 1989, au Polygone nucléaire de Semipalantisk, il fut réalisé un total de 468 explosions nucléaires, dont 125 explosions atmosphériques et 343 explosions souterraines. La puissance totale des appareils nucléaires testés dans l'atmosphère et sous la terre au Polygone (dans une région peuplée) dépassait par un facteur de 2 500 la puissance de la bombe lâchée sur Hiroshima par les Américains en 1945."
Le roman se déroule dans l'Asie centrale post-soviétique, Yerzhan fait face aux défis de son apparence physique et de son identité dans une société en transition. Le roman explore les thèmes de l'isolement, la marginalisation et la quête d'appartenance dans un environnement social et politique en mutation.
Ismaïlov aborde magnifiquement des sujets graves et angoissants avec beaucoup de finesse…
Il dévoile tout un pan de l'histoire, en trois petits chapitres qui composent ce petit roman. Il use de la mythologie et des rêves pour balayer toutes les frontières entre réel et imaginaire.
Le réel étant dur, ce recours apporte un peu de douceur sans altérer le récit.
Transition et identité
Yerzhan à la recherche de son identité dans "Dans les eaux du lac interdit" de Hamid Ismaïlov peut être rapproché de l'Ouzbékistan.
L'Ouzbékistan est en transition après la chute de l'URSS. Le pays cherche à se définir et à construire une identité nationale.
L'Ouzbékistan, comme le lac interdit, impose des interdictions et des restrictions. A titre d’exemple, on peut citer le système de limitation des déplacements internes et les restrictions de résidence et de travail sans autorisation.
Yerzhan, lui, est marginalisé à cause de son apparence physique et doit affronter des interdictions et des obstacles pour trouver son identité.
Le lac interdit symbolise un lieu de danger ou de mystère, ce qui est également vrai pour l'Ouzbékistan. Le pays, avec son héritage complexe et ses transitions, est lui aussi un lieu de mystères, de promesses et de dangers.
L'Ouzbékistan, comme Yerzhan, cherche à construire une cohésion nationale autour de valeurs communes. Le pays a mis en avant des figures historiques comme Amir Timur pour renforcer cette cohésion, tandis que le personnage principal cherche à trouver et prouver son appartenance dans une société qui le marginalise.
Yerzhan et l'Ouzbékistan partagent des expériences similaires de transition, de marginalisation et de recherche d'identité.
On retrouve ce rapprochement entre les déboires d’un personnage littéraire et les déboires d’une nation dans plusieurs œuvres littéraires.
Dans la littérature antillaise, par exemple, le personnage de Solibo Magnifique dans le roman éponyme de Patrick Chamoiseau symbolise la disparition progressive des conteurs et de l'oralité créole en Martinique.
Solibo, trouvé mort sur une place publique, symbolise toute la fragilité de la tradition orale face à l'urbanisation et à l'occidentalisation.
Dans "Les Soleils des Indépendances" d'Ahmadou Kourouma, le personnage de Fama symbolise les désillusions et les déboires de la quête identitaire en Afrique postcoloniale. Fama, dernier représentant d'une dynastie malinké déchue, incarne les déboires d'un peuple à se reconstituer et à se réinventer une identité et un chemin après la fin de la colonisation.
Dans "La Vie et demie" de Sony Labou Tansi, le personnage de Martial, dictateur sanguinaire d'un pays imaginaire, symbolise les dérives autoritaires et la violence des régimes postcoloniaux en Afrique. Son règne de terreur est un miroir grossissant des déboires politiques de tout un continent.
Ainsi, en littérature, en Martinique comme en Asie centrale, en Afrique et ailleurs, le personnage principal devient le symbole des luttes, des espoirs et des déceptions d'une nation entière, reflétant les enjeux historiques, sociaux et identitaires auxquels elle est confrontée.