chroniques
De Caligula à ''L’étranger'' avec Camus Par Samir Belahsen
Le bonheur du point de vue d’Albert Camus n’implique ni l’accomplissement de grands projets ni la possession de biens matériels. Il soutient qu’une personne est heureuse lorsqu’elle est en vie, malgré l’absence de tout but de la vie
“Le cri du sentiment est toujours absurde ; mais il est sublime, parce qu'il est absurde. ”
Charles Baudelaire
“Dans un univers passablement absurde, il y a quelque chose qui n’est pas absurde, c’est ce que l’on peut faire pour les autres.”
André Malraux
Quand tout vous parait absurde, relisez Camus !
Dans ce qu’il avait nommé le « cycle de l'absurde », Camus décrit les fondements de sa philosophie : l'absurde.
Cette tétralogie (ensemble de quatre œuvres) comprend le roman « l’étranger », l'essai « Le Mythe de Sisyphe » ainsi que les pièces de théâtre Caligula et Le Malentendu.
Albert Camus est né en 1913 en Algérie, il a grandi dans un environnement marqué par les tensions entre les populations française et Algérienne. Une dualité culturelle qui a eu un grand impact sur sa vision du monde. La pauvreté et le dénuement ont aussi marqué son enfance et conditionné son engagement contre l’injustice sociale.
Journaliste, il a dévoilé les inégalités et les iniquités de la vie de sa génération. Camus a été fortement impressionné par les malheurs de la Seconde Guerre et y a participé activement dans la résistance.
L’expérience tragique de l’occupation nazie a forgé son attitude envers la liberté et la dignité humaine.
Ce sont ses engagements politiques et vécus personnels qui expliquent sa philosophie.
L’étranger
Le court roman au style simple est paru en 1942. Il est reconnu pour ses qualités littéraires et sa profondeur philosophique.
Une belle adaptation cinématographique en a été réalisée par Luchino Visconti en 1967.
Le personnage-narrateur nommé Meursault, vit à Alger en Algérie française.
Il reçoit un télégramme annonçant que sa mère, placée à l’hospice, venait de mourir. Il y va, il la veille toute la nuit, le lendemain il assiste aux funérailles ; il ne pleure pas, il ne tente pas de simuler le chagrin.
Le lendemain, Meursault va nager dans les bains du port et y rencontre Marie, une dactylo qui avait travaillé avec lui. Le soir, ils sortent voir un film de Fernandel et passent la nuit ensemble.
Le lendemain, son voisin, Raymond, proxénète notoire, lui demande de l'aider à écrire une lettre pour dénigrer sa maîtresse, il craignait les représailles du frère.
Quand Raymond la frappe et que la police intervient, Meursault accepte d’être témoin de la moralité de son ami Raymond.
Marie, la dactylo rencontrée sur la plage, demande à Meursault s'il veut se marier avec elle. Il répond que ça n'a pas d'importance, mais qu'il accepte l'idée.
Lors d’une altercation entre Meursault, Raymond et son ami Masson contre deux Arabes, dont le frère de la maîtresse de Raymond, celui-ci est blessé au visage d'un coup de couteau.
Raymond et Meursault, vont à la plage. Par la suite Raymond lui demande de lui confier son revolver, et il le garde.
Une fois seul, il retourne sur la plage. Accablé de chaleur et de soleil, il retrouve à nouveau l’un des Arabes, qui sort un couteau. Aveuglé par sa sueur, ébloui par le reflet du soleil sur la lame, Meursault appuie sur la détente et tue l'Arabe d'une seule balle, puis quatre autres coups sur le corps inerte.
Interrogé sur son comportement, ses réponses sont sincères, trop sincères ... Il ne manifeste aucun regret, mais de l'ennui. Il affirme avoir commis son acte à cause du soleil. Le soleil provoque, selon Meursault, une distorsion de la vision semblable à une hallucination. Il est condamné à la guillotine.
Quand l’aumônier lui offre de se confier à Dieu, il refuse.
Meursault ne trouvera la paix que pour sa dernière nuit, comme si l’approche de la mort donnait un sens à sa vie.
De l’absurde
Pour Camus tout individu peut trouver le bonheur dans l’absurdité de l’existence même et la nécessité de la révolte et de la persévérance.
Cela soulève des questions sur la nature du bonheur et sa signification pour la vie humaine.
Le bonheur du point de vue d’Albert Camus n’implique ni l’accomplissement de grands projets ni la possession de biens matériels. Il soutient qu’une personne est heureuse lorsqu’elle est en vie, malgré l’absence de tout but de la vie. Ainsi, sa compréhension du bonheur est profondément ancrée dans le présent et dépourvue « d’illusions » ou « d’espoir ». Chez Camus, ce concept de bonheur est en corrélation avec celui de l’absurde, ce qui signifie que les gens devraient se rendre compte de l’inutilité de la vie et continuer à vivre malgré cela.
Camus soutient donc que la personne devrait continuer à vivre malgré l’absurdité. Le bonheur dans sa philosophie est aux antipodes de la conception traditionnelle forgée par Aristote qui considérait le bonheur comme le but ultime de la vie humaine, Épicure pour lequel le bonheur est l’accomplissement du plaisir et l’absence de douleur, ou encore Schopenhauer qui le considérait comme illusoire et inaccessible.
Camus, lui, discute du rôle de l’absurde dans la recherche du bonheur, soutenant mordicus qu’il est possible de trouver le bonheur dans la vie, malgré l’absurdité de celle-ci.
Pour Camus, être conscient de l’absurde signifie se rebeller contre.
La capacité à trouver le sens de la vie dans des conditions d’absurdité est une forme de révolte, une liberté contre l’absurde même.
L'absurde est central dans "L'Étranger" d'Albert Camus, illustré par le personnage de Meursault, qui incarne une profonde indifférence envers les normes sociales et morales. Meursault est à la fois étranger à lui-même et au monde. Camus montre que la quête de sens est vaine, soulignant l'absurdité de la condition humaine.
Dans le monde moderne, notre monde, cette absurdité se traduit par une aliénation croissante face à de gros systèmes complexes et déshumanisants, le capitalisme, la technologie, les guerres et le génocide dépouillent l'existence de sa signification.
L'absurde chez Camus se manifeste par la confrontation entre la quête de sens de l'homme et l'indifférence du monde.
Nous ressentons un vide similaire à celui de Meursault, confrontés à des routines sans but et à une mort inévitable, renforçant le sentiment d'absurdité.
L’absurde Camusien impliquerait que l’on trouve un sens dans l’action, même si aucun but ultime n’existe, il sous-tend la révolte. Contre l’absurde par son acceptation qui serait également, aussi absurde que cela puisse paraitre, « ce que l’on peut faire pour les autres » dans le sens de Malraux.