chroniques
E. Macron sur Al Jazeera : L’impasse française
Des valeurs républicaines ou les fondements du temple intégriste de cette religion qu’on appelle la laïcité.
Le président français Emmanuel Macron a sollicité la chaine qatarie Al Jazeera pour s’adresser à l’opinion publique arabe, ce qui n’a rien d’anodin dans la conjoncture actuelle. Sa démarche met en évidence la situation difficile dans laquelle il s’est délibérément mis et a mis la France sans en mesurer toutes les conséquences.
On ne va pas trop s’attarder sur les subterfuges dont il a usé pour effacer ce qu’il a appelé le « malentendu », ni sur l’artifice qu’utilisent les politiciens lorsque acculés ils accusent la presse d’avoir déformé leurs propos. De même on ne va trop chercher s’il y a eu vraiment méprise dans l’interprétation de ses déclarations, l’essentiel de ces échappatoires étant de savoir s’il s’agit là d’une attitude systémique de l’Etat français ou si E. Macron l’a seulement fourvoyé dans cette impasse au détriment de la neutralité requise d’une république qui se targue de sa laïcité.
L’essentiel pour l’instant est que la sortie du chef de l’Etat français sur Al Jazeera indique, du moins en apparence, qu’il a enfin pris la mesure du cout de l’alignement de l’Etat sur l’atteinte aux religions, notamment l’islam et son prophète (SLP).
Certes, son exercice médiatique est de nature à atténuer quelque peu la pression sur la France. Mais sans plus, tant la différence est grande entre un préjudice émanant d’un activiste civile et celui qui est le fait d’un Etat qui l’assume et le soutient.
La seule atténuation de la pression ne pourrait résoudre le problème de fond et ne contribuera nullement à répondre au défi intellectuel qu’induit la conception de la liberté en France. L’équation que pose la notion de liberté - d’expression nous dit-on ici – en rapport avec le respect des religions - la religion des autres ici encore - ne trouvera aucune réponse tant que les élites de France et de Navarre n’inscrivent pas dans leur réflexion l’écart entre la France d’hier et celle d’aujourd’hui et tant qu’elles ne voudront pas cerner correctement les transformations subies par la société française dans sa structure sociologique et religieuse.
En Allemagne, Angela Merkel n’a eu aucun problème à assortir la liberté de la condition de respect des autres et de leur sentiment religieux. La même attitude a été observée chez nombre de dirigeants occidentaux, notamment le premier ministre canadien qui s’est clairement exprimé en relation avec les évènements en France. Ce qui signifie que la problématique est appréhendée dans ces pays de l’intérieur même de la culture démocratique et du concept de liberté en relation avec les mécanismes qui, à la fois, les commandent et gèrent l’ordre public et la stabilité sociale.
Ce n’est pas le cas en France où l’évolution du concept de la démocratie et de la liberté ne connait pas la même adaptabilité. Au pays de M. Macron, une vision rigide pour ne pas dire hermétique, considère que la France s’est construite sur le principe de la liberté inconcevable à réviser ou à réconcilier avec la réalité sociologique sous peine de détruire les fondements de la république, temple intégriste de cette religion qu’on appelle la laïcité.
Reste à déterminer de quelle France parlent les tenants de cette thèse ? La France des lumières, la France de la cinquième république ou la France dont l’islam est devenu une des composantes de sa structure religieuse et de son identité culturelle ?
Ce que Macron déclare à propos de l’Islam pourrait être vrai pour la France des lumières marquée par une certaine unité culturelle. Mais dans la France plurielle d’aujourd’hui où l’islam est la deuxième religion du pays qui compte 15% de musulmans, on ne peut s’exonérer de revoir les fondements de l’ordre public ni se passer de savoir si l’atteinte à l’islam ne constitue pas en elle-même une atteinte à cet ordre et à la stabilité sociale dont il est le garant.
Dans d’autres pays que la France, et sans que le nombre des musulmans y soit aussi important, les politiques ont compris que la question se rapporte plus à l’ordre public et à la stabilité sociale qu’à la défense du principe de la liberté ou de ses représentations philosophiques. C’est pour cela qu’ils ont privilégié la stabilité de leur société à toute autre considération. En revanche, la France s’obstine apparemment à refuser la relation entre le concept de la liberté et l’ordre publique. De la même façon elle rejette, du moins quand il s’agit de l’islam, la primauté de l’ordre public sur une conception éculée de la liberté, tout comme elle ne veut pas considérer que le respect de l’islam est partie prenante de l’ordre public.
Nombre de penseurs français attestent que l’identité n’est pas un état statique et que ses composantes et affluents changent en fonction des évolutions sociétales. Leur longue histoire en témoigne. Cependant cette acception de l’identité, ils se limitent, dès qu’il est question de l’islam, à la vendre aux courants de pensée arabes et islamiques sans se l’appliquer à eux-mêmes et à leur propre société. Ils se bercent ainsi de l’illusion d’une identité française immuable. Dès lors ils résistent à l’idée que les fondements de l’ordre public ont changé et qu’il est impératif d’inclure la composante musulmane dans la structure sociologique de la France. Il en découle leur rejet violent de tenir compte, dans la conception qu’ils ont de la liberté, du nécessaire respect des religions et de leurs symboles.