L'image sombre et le besoin de médias contribuant à la construction maghrébine – Par Jamal El Mohafid

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Les professionnels des médias autant que les élites culturelle, politique et de la société civile dans les cinq pays du Maghreb ont une part de responsabilité historique dans la phase actuelle pour consolider les fondements de la coopération et prendre des initiatives audacieuses, en développant, notamment, une vision commune pour résoudre les problèmes qui existent à travers un dialogue dans le respect mutuel, afin d'éloigner le spectre de la guerre et de la violence

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Autant les rapports internationaux brossent, ces dernières années, un tableau sombre de l'état de la liberté de la presse dans les pays du Maghreb, autant une presse professionnelle objective, qui contribue à la construction maghrébine, devient une nécessité urgente au lieu de demeurer - comme c'est le cas actuellement - un facteur de division manipulé par le pouvoir dans ses campagnes hostiles avec tous les effets négatifs que cela comporte sur le présent et les temps à venir et que personne ne peut ignorer. Le risque est aussi de venir à bout de ce qui reste du fonds commun maghrébin à la préservation duquel ont contribué les générations successives.

Les pays du Maghreb n'ont pas besoin des rapports des instances et organisations internationales pour que soit dévoilée la zone sombre de la liberté d'expression, comme dans les autres pays arabes frères. Car la réalité dépasse de loin ce qui est mentionné dans ces rapports, en général publiés annuellement. Indépendamment de la controverse qui pourrait surgir quant à l'exactitude et à la crédibilité de leurs indicateurs et quant aux motifs qui les sous-tendent, ces rapports suscitent généralement un large débat, et leur publication constitue l'occasion d'attirer l'attention sur la situation de la liberté d'expression, dont le degré peut varier d'un pays du Maghreb à l'autre, selon le niveau de leur développement démocratique, humain et leurs efforts dans la lutte contre la corruption.

Cependant, bon nombre des rapports de ces organisations internationales font l'objet de vives critiques de la part des autorités des pays du Maghreb, qu'elles soient officielles ou civiles, notamment celles concernées par les questions de la presse, des médias et de l'édition. Elles expriment leur mécontentement et leur rejet des classifications établies par ces organisations internationales, dont au premier rang "Reporters sans frontières (RSF)", qui a classé dans son rapport annuel sur la liberté de la presse, publiés le 3 mars 2022, les pays du Maghreb au bas de son tableau. Ainsi, la Tunisie a été classée 94e, reculant de 21 places par rapport à l'année dernière, suivie de la Mauritanie 97e, tandis que l'Algérie et le Maroc occupent respectivement les 134e et 135e rangs, malgré leur "avancée" dans ce classement portant sur 180 pays. Au niveau arabe, les Comores sont en tête (83e au niveau mondial), le Qatar (119e), la Jordanie (120e) et l'Égypte (168e), alors que le Yémen a été classé 169e, les territoires palestiniens (170e), la Syrie (171e) et l'Irak (172e) dans le classement de RSF basé sur de nouveaux critères liés aux contextes politiques, juridiques, économiques, sociaux, sécuritaires et culturels. 

Pour leur part, les pays du Maghreb accusent RSF de s'appuyer essentiellement sur "des positions politiques et des préjugés, sans prendre en considération les aspects positifs" dans leur classement, alors que l'organisation affirme que "l'évaluation des indices (relatifs à la liberté de la presse) est réalisée sur la base d'un relevé quantitatif des exactions commises à l’encontre des journalistes et des médias, ainsi que d’une étude qualitative fondée sur les réponses de centaines d’experts de la liberté de la presse sélectionnés par RSF (journalistes, universitaires, défenseurs des droits humains) à 123 questions. Cependant, ce ne sont pas seulement les pays maghrébins, arabes et africains qui enregistrent un recul au niveau de la liberté de la presse, mais aussi au plan mondial, en ce sens que plus de 5 personnes sur 6 au sein d'un pays ont relevé un recul au cours des cinq dernières années, selon un récent rapport de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) sur les tendances en matière de liberté d'expression et de développement des médias. De même, qu'il a été enregistré une nette augmentation des restrictions imposées à la liberté de la presse, comme le reflète celle du nombre de journalistes détenus, et les entraves à la liberté de la presse dans 73% des 180 pays, selon des rapports internationaux. Bien que ces exactions à l'encontre des journalistes aient été enregistrées dans de nombreux pays, y compris démocratiques, les pays arabes demeurent en tête des Etats où la liberté de la presse est restreinte.

Pour en revenir aux pays du Maghreb, ce qu'il faut, aujourd'hui, c'est d'œuvrer à créer les conditions et une atmosphère qui garantissent la circulation de l'information comme un des droits de l'homme universellement reconnus, à l'élargissement de la liberté de la presse et à la libération des journalistes et des professionnels des médias détenus et poursuivis en raison de leurs opinions, tout en offrant toutes les garanties aux journalistes dans l'accomplissement de leur travail, en renforçant la liberté d'expression, en préservant la dignité des professionnels des médias et en respectant l'éthique et la déontologie de la profession. 

Toutefois, pour y parvenir, il est nécessaire de commencer à mettre fin à toutes les campagnes hostiles dans les différents médias. Car ces campagnes n'aident aucunement à la construction d'un espace maghrébin uni comme choix stratégique à la réalisation duquel ont œuvré les générations successives. En ce sens que l'unité des pays maghrébins est une nécessité pour affronter les différents défis et les graves problèmes qui affectent la région. Il est aussi nécessaire de mettre fin à la désinformation dans les médias, car la révolution numérique a ouvert de larges horizons pour la diffusion de l'information véridique. Quand il arrive que les institutions de médiation comme les partis politiques, les syndicats et les organisations de la société civile perdent de leur crédibilité, le rôle des médias devient important pour orienter l'opinion publique dans la bonne direction. 

Une part de responsabilité incombe également aux journalistes honnêtes qui sont appelés à élever le niveau pour contribuer et soutenir les initiatives permettant la sensibilisation et attirer l'attention sur l'importance des médias dans le processus de construction de l'édifice maghrébin, qui pourrait - si les efforts de ses pays s'y joignent avec sincérité - contribuer en tant que pouvoir de contrôle à faire face aux graves problèmes auxquels sont confrontés les peuples de la région, unis par l'histoire commune, la géographie et un destin commun, surtout dans le contexte difficile que connaît l'espace maghrébin et les menaces qui pèsent sur la région. Ce qui exige de rapprocher les points de vue - même contradictoires - au lieu de transformer les médias en un facteur d'exacerbation des conflits, ce qui conduit nécessairement à davantage de divisions et à saper l'unité des États, au lieu de s'attaquer aux vrais problèmes qui frappent le Maghreb, notamment aux plans économique, social, politique et sécuritaire.

Les professionnels des médias autant que les élites culturelle, politique et de la société civile dans les cinq pays du Maghreb ont une part de responsabilité historique dans la phase actuelle pour consolider les fondements de la coopération et prendre des initiatives audacieuses, en développant, notamment, une vision commune pour résoudre les problèmes qui existent à travers un dialogue dans le respect mutuel, afin d'éloigner le spectre de la guerre, de la violence, de l'extrémisme et du terrorisme. En ce sens que le dialogue constitue la voie la plus sûre qui permettra aux peuples du Maghreb de réaliser leurs aspirations à une vie digne et leurs aspirations à la réalisation de l'unité maghrébine, qui ne peut se réaliser que dans une atmosphère de démocratie, de dignité, de justice sociale et de l'État de droit à travers toute la région.