La qualité de l’enseignement : quelle formation pour quels enseignants ? – Par Bilal TALIDI

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L’actuel ministre de l’Education nationale, Chakib Benmoussa, n’est pas porteur d’une vision différente de la Vision stratégique. S’il insiste tant sur la formation des enseignants, c’est parce qu’il sait pertinemment que dans trois à quatre ans, le temps de son mandat éventuel, la majorité des cadres pédagogiques au sein de l’Ecole publique sera essentiellement formée des cadres des académies. Et après ?

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S’il est une crise qui a autant perduré au Maroc, c’est bien celle de l’enseignement. Elle remporte de toute évidence la palme de la longévité, collant immuablement au discours officiel au point d’en paraitre comme une seconde nature.

D’aucuns ont voulu croire que la solution était toute trouvée lorsque la Vision stratégique de la réforme du système éducation-formation conçue par le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, a été mise sur la table. Elaborée en loi-cadre, puis adoptée par le Parlement, cette Vision était perçue comme le sésame et la panacée qui devaient dorénavant dispenser tout décideur de redébattre de l’épineux problème.

Le consensus stérile 

C’était rêver debout, au pire chercher à tromper son monde. Tous ceux qui discutaient au Conseil supérieur de l’éducation-formation, comme au sein du gouvernement ou au Parlement, ne cherchaient au fond qu’à parvenir à des consensus sous forme de grandes orientations, dans le vain espoir d’épargner au secteur de l’enseignement un énième retour aux questions lancinantes qui ont émaillé les différents processus de réformes jusqu’à l’adoption de la Charte nationale d’éducation et de formation à la fin du deuxième millénaire.

Une application sélective

Nul n’ignorait que ces orientations étaient dans leur ensemble difficiles à mettre en œuvre. Ceci étant et aucun gouvernement ne pouvant en assurer le cout financier, chaque cabinet s’était limité à trier les orientations qu’il croyait les mieux à même de rafistoler l’enseignement à cette étape, ne faisant ainsi qu’aggraver la crise.

Avant l’élaboration de la Vision stratégique, l’appareil gouvernemental a bénéficié des différents rapports de diagnostic élaboré par le Conseil supérieur de l’éducation-formation, et il a adopté, dans le cadre d’un programme d’urgence, une vision de réformes qui considérait que le problème résidait dans l’enseignant et le temps scolaire, ainsi que dans la permanence de certaines conditions tels le surpeuplement des classes et les  déperditions scolaires.

De vraie-fausses mesures

Les différents gouvernants ont béatement cru que la qualité de l’enseignement pouvait s’améliorer par la lutte contre l’absentéisme des enseignants, leur redéploiement pour sécuriser le temps scolaire, et la limitation du nombre des élèves par classe. Pour constater à l’arrivée que c’est tout le contraire qui s’est produit ! En dépit des sommes faramineuses dilapidées pour le programme d’urgence, le secteur a replongé dans une tension sociale inextricable, faisant du temps scolaire le problème majeur.

Le cabinet Benkirane, qui a hérité de cette situation, a pris des décisions fermes telle la mise en place du principe « travail contre salaire », en instaurant la retenue sur salaire à la source comme sanction pour assurer au temps scolaire une certaine stabilité. Cette mesure est restée in fine sans impact significatif sur la qualité de l’enseignement.

Certes, l’ex-chef de gouvernement, tout comme son ministre de l’Education à l’époque feu Mohamed El Ouafa, ont tenté d’interdire à l’enseignement privé de bénéficier des cadres du secteur public le poussant à compter sur ses propres ressources humaines. L’objectif était d’inciter le premier à s’investir dans la formation des propres enseignats, et d’assurer au second l’assiduité et l’efficience pédagogique de ses cadres. 

Pas plus que les précédentes, cette démarche sous la pression des lobbies du secteur de l’enseignement privé, n’a abouti à quelque chose de probant.

Le privé, un obstacle à la réforme

Pas plus probant, spécifique non plus, n’a été, à titre d’exemple, le programme « GENIE» dont l’objectif essentiel était d’intégrer la technologie dans l’enseignement et de la mettre à profit pour améliorer les apprentissages. A lui seul, ce programme illustre les ratées du système. Dix après son lancement, son impact sur l’apprentissage n’a été soumis à aucune évaluation. Ses programmes, demeurés basiques, se limitent à fournir à l’enseignant des informations élémentaires sur la maîtrise des outils Word et Excel ou sur l’ouverture d’une adresse électronique, alors même qu’ils étaient conçus pour initier les enseignants à produire des contenus numériques censés aider les apprenants à améliorer leurs apprentissages. 

Les fervents défenseurs des réalisations accomplies sous les cabinets Benkirane et El Otmani dans le domaine de l’enseignement font valoir l’intérêt marqué pour la formation des enseignants, la création d’une licence professionnelle, et l’adoption d’un programme de formation spécifique au profit des titulaires de licence en d’autres matières désireux de rejoindre l’enseignement.  

Pour louable qu’elle soit, cette mesure est restée sans rapport aucun avec la qualité de l’enseignement. Elle s’est avérée en définitive conçue en vain pour déposséder le secteur privé de son argument-prétexte sur le manque de cadres qui le contraint à puiser allègrement dans le public, sans réussir pour autant l’un de ses objectifs principaux de transfusion du sang neuf dans un secteur public saigné à blanc par le départ massif des enseignants à la retraite.

A ce rafistolage, il faut ajouter la faiblesse en nombre des effectifs qui ont subi des formations pour pallier les carences créés par les cadres partis à la retraite, ce qui a conforté davantage dans ses doléances le secteur privé. A ce jour, les gouvernements successifs sont demeurés incapables de l’astreindre à former et puiser exclusivement dans ses propres ressources.

Et maintenant…

Mais le dilemme le plus cruel s’est produit lorsque le département de tutelle s’est trouvé contraint d’intégrer massivement des vagues d’enseignants sans formation, se contentant de les soumettre à un simulacre de formation express parallèlement à leur prise de fonction en classe. L’aléa de la grève des enseignants contractuels est venu se greffer sur cette situation, phagocytant sans remord le temps scolaire. Résultat des courses : ni formation assurée, ni cours dispensés. 

Comme un malheur n’arrive jamais seul, la pandémie du coronavirus est passée par là. Dans la foulée et la précipitation, on a opté pour l’enseignement à distance sans les moindres prérequis pédagogiques et techniques. L’année suivante, on opta pour l’hybridité, alliant présentiels et distanciel pour aboutir à un programme scolaire tronqué et inachevé, poussant le ministère de tutelle à réduire les cours programmés pour les classes de passage, et l’annulation pure et simple des examens de passage pour les classes de 6ème élémentaire et de 9ème préparatoire.

L’actuel ministre de l’Education nationale, Chakib Benmoussa, n’est pas porteur d’une vision autrement différente. S’il insiste tant sur la formation des enseignants, c’est parce qu’il sait pertinemment que dans trois à quatre ans, le temps de son mandat éventuel, la majorité des cadres pédagogiques au sein de l’Ecole publique sera essentiellement formée des cadres des académies. Dans la foulée, les cadres experts seront une minorité, ce qui ne sera pas sans provoquer une énorme difficulté à tendre vers la qualité des apprentissages.

Dans un passé récent, le problème se résumait aux mesures incitatives pouvant amener un cadre pédagogique à investir ses connaissances, à capitaliser sur son expérience didactique, et à intégrer la technologie pour promouvoir la qualité des apprentissages.

Aujourd’hui, le problème est bien plus complexe. Ni les connaissances ne sont capitalisées, ni l’expertise didactique et pédagogique n’est disponible, ni le dispositif censé assurer la mission de la formation continue n’est capable de détecter les lacunes ni ne dispose de la vision à même de combler les lacunes. Pour ne rien arranger, la pandémie est survenue entravant le sursaut salutaire attendu.