chroniques
La semaine de Naïm Kamal : À labour et à rebours
En voulant faire passer El Otmani et quatre de ses ministres pour un tiercé des tocards, Il n’est pas improbable que Abdalilah Benkirane rafle une partie de sa mise, mais dans le désordre.
A tout seigneur tout honneur. Jeudi 18 mars, Abdalilah Benkirane, qui ne communique plus que par épitre (distanciation sociale oblige), publie sur son compte Facebook une lettre où il déclare revenir sur sa missive du 11 du même mois où il faisait savoir qu’il n’adresserait plus la parole au chef du gouvernement, Saad Dine El Otmani et à quatre de ses ministres : Mustapha Ramid, Abdelaziz Rabbah, Lahcen Daoudi et Mohamed Amkraz. Il leur reproche d’avoir cédé sur le projet de loi relatif à la légalisation de la culture de cannabis. En vérité il leur reproche tant de choses, et surtout de l’avoir laissé en rade, poursuivant leur bon petit chemin sans lui. De sa (confortable) retraite, où il se complait régulièrement à leur rappeler sa présence invasive, Abdalilah Benkirane explique son revirement par l’intercession de deux personnalités, al-oustad Abderrahim Chikhi, président du Mouvement Unicité et Réforme qui exerce son magistère doctrinal sur le PJD et le Dr Azzedine Toufiq, l’un des fondateurs du mouvement et responsable depuis toujours du rayon éducation qu’on ne peut imaginer que pieuse. Les deux hommes ont certainement dû expliquer à l’ancien chef du gouvernement et ex-secrétaire général du PJD qu’en Islam l’animosité est péché capital et que le prophète a formellement et presque expressément déconseillé la rupture avec un frère, surtout si de surcroit c’est un frère musulman. Tout cela serait puéril et prêterait à rire s’il ne perturbait en (petite) partie le fonctionnement de l’Etat. En voulant faire passer El Otmani et quatre de ses ministres pour un tiercé des tocards, Il n’est pas improbable que Abdalilah Benkirane rafle une partie de sa mise, mais dans le désordre. En revanche il est dans l’ordre des choses que l’épistolaire islamiste transparaitra dans cet épisode à labour et à rebours, en retard d’une évolution et à contre-sens de l’histoire.
Valse à deux temps
Valse à deux temps, c’est à cette danse que s’est livrée cette semaine l’Agence Européenne des Médicaments (l’AEM). Appelée à se prononcer sur l’innocuité ou la nocuité du vaccin Astrazneca soupçonné à tort de provoquer des thromboses, elle a rendu, jeudi 18 mars, un avis mi-figue mi-raisin qui n’est pas sans conforter la suspicion d’accointances entre le politique et le scientifique. Dans un premier temps, l’Agenve affirme que le vaccin de la british Oxford produit par la firme britanno-suédoise est « sûr et efficace ». Dans un deuxième, elle assure qu’elle ne peut « écarter définitivement le lien entre ces cas [de thromboses veineuses des sinus cérébraux] et le vaccin. » C’est la chaine française d’information en continu LCI qui a levé le lièvre. Sans aller au bout de sa logique. Prenons l’exemple d’un traitement de l’hypertension par Amlor. Dans la multitude de ses effets secondaires à vous faire lui préférer une tension systolique à 20 et une diastolique à 13, on retrouve que chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque congestive, Amlor peut augmenter le risque d'évènements cardiovasculaires et de mortalité. Avec l’Astrazeneca, quand bien même la relation de cause à effet s’avérerait, on arrive à moins d’un cas par million. Les prospectus de médicaments classent ce type d’effets secondaires dans la catégorie «rares ». Pourtant on prescrit l’Amlor sans bruits et sans fracas, mais avec le vaccin, on crie à hue et à dia. Rembobinons : Depuis les débuts, pour des raisons indicibles mais évidentes, France et Allemagne, deux mastodontes de l’Union Européenne, ont mené campagne tambour battant contre le vaccin d’Oxford qui a le tort d’être un peu english et le travers d’avoir réussi là où d’autres ont fait choux blanc. Ils ont commencé par mettre en doute son efficacité sur les plus de 65 ans avant de faire machine arrière toute, et peu importe si, suite à la décision de l’AEM, la France a restreint ce jeudi son utilisation au plus de 55 ans sans se soucier de ce que cela à de contradictoire avec la décision initiale de l’interdire au plus de 65 ans. Ne pas se désavouer, voilà à quoi se réduit aujourd’hui l’art de gouverner. La réalité est que l’Agence Européenne des Médicaments s’est retrouvée entre l’enclume et le marteau. L’enclume de devoir rétablir le déjà établi, Astrazeneca comme vaccin sûr et efficace, sans pour autant désavouer les 13 gouvernements européens qui ont actionné le « principe de précaution ». Au final, c’est l’Agence européenne qui est dans la trimballe. En laissant une porte de justification aux mauvaises décisions politiques, la société savante qu’est l’AEM n’a fait qu’ajouter le doute au doute sur la relation déjà suspecte entre le politique et le scientifique. Rabelais nous pardonnera ce détournement de son aphorisme, mais science sans conscience n’est que ruine de la réputation.