Le dilemme des échéances électorales de 2021

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Ce qui tue la politique ? Des élites timorées et mercantiles, qui confondent opposition et divergences. Au point de refuser toute divergence de crainte qu’elle ne soit confondue avec opposition

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A chaque échéance électorale se pose la question du parti qui arrivera en tête et de son apport ainsi que des nouveautés qui interviendront sur le paysage politique.  Les réponses à ces interrogations, souvent classiques, dénotent plus une crise politique qu’une approche prospective de l’avenir.

Une première réponse exprime la conviction de la nécessité de procéder à des changements dans le champ politique. L’argumentaire de cette conviction veut que la routine dans un climat d’incertitude ne peut déboucher que sur plus de congestion sociale. Une deuxième réponse estime, au contraire, qu’une routine favorisant, en l’absence de compétiteur crédible, un processus soutenu de réformes c’est toujours mieux que de confier la conduite des affaires à des élites incapables de gérer d’éventuels mécontentements. 

Parallèlement, deux autres points de vue ont fait leur apparition récemment. Le premier considère que le parti qui dirige le gouvernement ne représente plus une option jouable parce qu’il a perdu beaucoup de sa popularité et de sa cohésion en raison des crises qui l’ont secoué suite à l’opposition de ses comportements politiques avec son référentiel et ses choix idéologiques. A l’opposé du premier, le second point de vue estime que ce parti a fait la preuve de son patriotisme en privilégiant les considérations nationales aux considérations partisanes. Il s’est ainsi débarrassé d’une accusation « d’internationalisme islamique » qui l’a longtemps handicapé et que conservant malgré tout d’une partie de sa popularité, il continue de représenter une option non négligeable. 

Tous ces points de vue ne peuvent cependant constituer une alternative à l’opération électorale. Ils reflètent toutefois les dispositions de l’élite politique préoccupée par une équation politique qui puisse répondre à la fois à un contexte régional et international changeant et à l’appréciation qu’a l’Etat des intérêts supérieurs et de leurs enjeux stratégiques. 

Le contexte international, lui, souffle le chaud et le froid. Il incite à l’adossement des pratiques politiques à l’option démocratique et réformatrice, et en même temps continue d’offrir des latitudes et des marges de manœuvres face aux pressions américaines en faveur de la démocratisation et des droits de l’homme. Pour autant, la flexibilité de cet état des choses ne devrait pas encourager à l’aventure, le choix de la consolidation démocratique demeurant la voie la moins risquée.

A l’image de l’international, le contexte régional dit la chose et son contraire. Il invite au renforcement et à l’immunisation du front intérieur, surtout que les succès diplomatique du Maroc ont provoqué la colère d’Alger, voire dérangé aussi Madrid.  Sachant que par ailleurs la continuité des islamistes à la tête du gouvernement mécontente visiblement les français et les arabes du Golfe. 

La conciliation entre la colère et le dérangement des premiers et le mécontentement des seconds n’est pas chose aisée. Chacun a son cout. L’un se rapporte à la souveraineté qui est d’une extrême sensibilité dans le contexte marocain. Tandis que pour l’autre, même s’il est chronique, les dernières évolutions incitent à le prendre très au sérieux. Dans les deux cas, le sens de discernement qui caractérise les positions du Maroc lui dicte d’accorder plus la priorité à la confrontation des dangers par le renforcement de la cohésion nationale qu’à répondre favorablement à des requêtes extérieures dont il peut supporter, comme il l’a déjà démontré, le cout. C’est d’autant plus possible que les changements à l’échelle internationale lui facilitent la tâche.

Reste la question de la politique intérieure et des contraintes qu’elle infère. Elle est plus impérieuse tant la palette des options est réduite et les élites en compétition limitées si ce n’est inexistantes.  Le diagnostic du paysage politique révèle que les partis nés de la matrice de la société qui peuvent se prévaloir d’une certaine légitimité populaire, s’érodent. Tous les indicateurs montrent que le dernier en date, le PJD, va vers l’effritement et risque de connaitre le même sort que l’USFP et l’Istiqlal si sa direction persiste sur la même voie. 

Du panorama qu’offrent les forces en concurrence ne se dégagent que la routine et la monotonie, si ce n’est le présage d’un retour aux anciennes pratiques. Les partis en sont réduits à tabler sur les notables, les hommes d’affaires et les élites traditionnelles en milieu rural. Dans certaines régions connues pour la culture du cannabis, il y a des chances qu’on assistera à une certaine tolérance dans le cautionnement de certaines candidatures ou encore au recours au soutien de l’Administration.

Les élections de 2007 avaient donné lieu à un sentiment de vide politique et à la crainte de la persistance des mécanismes traditionnels qui accouchent du parti majoritaire préfabriqué. Dans le magma faussement froid qui s’en est suivi, on a ainsi assisté à une déviation politique qui n’a été jugulé que grâce aux prémices du mouvement du 20 février dont le Maroc s’est sorti habilement. 

Aujourd’hui, nous vivons une extravagance inquiétante. Au moment où sévit le vide à cause de l’affaissement désormais chronique des partis, notamment l’USFP, et se dissipent les craintes d’un retour aux mécanismes archaïques, surgit la demande paradoxale d’un retour à ceux-ci juste pour en finir avec la routine actuelle. 

La politique ne supporte pas le ronronnement. C’est un fait logique et compréhensible. Mais on ne peut mettre fin à la lassitude du traintrain en redéployant les méthodes enracinées dans l’archaïsme, mais en réparant les cause de la panne politique. 

Autrefois, la politique vivait de l’opposition et s’animait par elle. Cette situation s’expliquait par la logique de la lutte pour le pouvoir. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Actuellement il y a unanimité autour du pouvoir, mais il serait erroné de croire que c’est celle-ci qui a confortablement installé la politique dans la routine et la monotonie. Non, ce qui tue la politique ce sont des élites timorées et mercantiles, timorées parce que mercantiles, qui confondent opposition et divergences. Au point de refuser toute divergence de crainte qu’elle ne soit confondue avec opposition et de peur qu’elle ne provoque un retour au Maroc pré-unanimité autour du pouvoir. 

Cette frilosité en est à faire oublier que l’encouragement de la divergence, la consolidation de ses expressions, l’acceptation de la pluralité du spectre des divergents et l’intégration de leur diversité, passage obligé à la saine compétition, sont les seules à même de fortifier le pouvoir et les institutions, d’offrir une alternative à la routine et de générer un concurrent aux islamistes nettement différent d’eux.