chroniques
LE LEGISLATEUR MAROCAIN FACE AUX DEFIS DE L’EAU – Par Mohamed Mohattane
Bassin Hydraulique de Sebou
Cet article est le fruit de la lecture de l’ouvrage « Contribution à la politique marocaine de l’eau à travers une lecture de la loi sur l’eau », de son auteur Mohamed Chaouni, qui était responsable au Département de l’eau, chargé de la législation de l’eau durant plus de trois décennies. Cet article a pour but de partager les conclusions pertinentes de cette publication, au temps marocain de la raréfaction de l’eau et de la situation de sécheresse actuellement.
En 2016, le législateur marocain a adopté une loi sur l’eau en remplacement de celle de 1995. L’exposé des motifs du projet de cette loi a justifié ce remplacement par la faiblesse de certains des aspects de la loi abrogée, ses incohérences et ses insuffisances qui l’ont rendue inadaptée aux changements intervenus dans le secteur de l’eau en raison du changement climatique global, des mutations socioéconomiques qu’a connues le Maroc, de l’adoption de la constitution de 2011 et de la Charte nationale de l’environnement et du développement durable.
Les insuffisances de la loi de 1995 sont attribuées au flou qui entoure certains termes et dispositions, à la complexité des procédures qu’elle instaure, à la faiblesse des dispositions relatives aux eaux de pluie, aux eaux usées, à la protection contre les inondations, à l’absence de dispositions relatives au dessalement des eaux de mer, etc.
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si la nouvelle disposition législative, la loi n° 36-15 relative à l’eau (publiée en 2016), couvre toutes les composantes de la gestion des ressources en eau et -surtout- si elle le fait mieux que celle de 1995, en remédiant aux faiblesses, incohérences et insuffisances de cette dernière.
La dissection des nouvelles dispositions de la loi de 2016, afin de souligner ses apports à la politique marocaine de l’eau, met en évidence certains aspects qui risquent de constituer, si elles ne sont pas levées, des entraves à cette politique. Ces aspects sont relatifs à des sujets aussi variés que les conditions d’obtention des autorisations de creusement de puits et de prélèvement d’eau, le dessalement des eaux de mer, l’établissement de contrat de nappe, de rivière ou de lac, la réutilisation des eaux usées, l’exploitation des eaux minérales naturelles, le stockage des eaux de pluie, l’assainissement, les inondations, la pénurie d’eau, la jungle des puits en milieu rural, de nature domestiques, sauvages ou clandestins.
Il ressort de cet ouvrage d’un expert de bonne facture que la loi n° 36-15 relative à l’eau souffre encore de plusieurs carences et limites auxquelles il va falloir remédier dans les meilleurs délais, dans l’intérêt de la pérennité du patrimoine hydrique national, de plus en plus mis à l’épreuve des effets néfastes du changement climatique global, de la pression de la demande pour l’eau d’irrigation agricole, l’eau potable et l’eau nécessaire aux besoins des autres secteurs de l’économie nationale.
Des solutions de nature à remédier aux carences et limites de la loi n° 36-15 relative à l’eau, sont toujours possibles pour la préservation et la gestion durable des ressources en eau, qui se raréfient de jour en jour. C’est le cas de la mise en cohérence des dispositions de cette loi avec celles des autres textes se rapportant aux ressources en eau ou de l’adoption d’une approche plus persuasive que dissuasive pour les préserver. Certaines autres propositions peuvent, par contre, sembler audacieuses et aller à l’encontre de plusieurs dizaines d’années de pratiques, de coutumes et d’usages, telles que:
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l’exonération fiscale des agences de bassin hydraulique ;
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la mise en place d’un Fonds spécialisé dans le financement du secteur de l’eau ;
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la création d’une Agence nationale de l’eau ou d’un Haut-commissariat à l’Eau ;
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la mise en place d’un Wali de bassin qui aurait pour mission de coordonner les actions des services de l’Etat intervenant dans le secteur de l’eau au niveau du bassin hydraulique ;
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la mise sur pied d’un mécanisme pour le paiement des services écosystémiques rendus par la montagne, dont en particulier les ressources en eau.
En adoptant la loi n° 36-15 relative à l’eau, le législateur semble avoir fait preuve de beaucoup plus de prudence que de témérité, au point d’être souvent resté évasif sur certains sujets (planification, contractualisation, dessalement, …) et d’avoir produit des dispositions à caractère plutôt général. Ce faisant, il laisse la porte ouverte à toutes les interprétations. Certains textes d’application vont donc aller au-delà et d’autres de rester en deçà de ce que stipule cette loi, laissant la porte ouverte à des nids à contentieux au moment de leur mise en œuvre. Autant de lacunes dont souffre actuellement la mise en application de la loi n° 36-15 relative à l’eau, au temps des défis de l’eau au XXIème siècle.