chroniques
Le Soudan redeviendra-t-il un jour le Soudan ? – Par Hatim Betioui
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Des centaines de milliers de Soudanais ont quitté les villes. La guerre au Soudan entre l'armée et les forces paramilitaires de soutien rapide (RSF) a commencé en avril 2023, déclenchant ce que l'ONU appelle la pire crise de déplacement au monde. (Photo AFP)
Le Soudan, paisible, calme, magnifique, connu pour ses habitants bienveillants, sa nature enchanteresse et ses terres agricoles fertiles, demeure le théâtre de l’une des guerres les plus violentes, brutales, cruelles et absurdes d’Afrique.
Alors que les rues de Khartoum, la capitale, se sont transformées en champ de bataille et que les quartiers du Darfour résonnent sous les massacres, Port-Soudan est devenue un refuge temporaire pour un gouvernement qui tente désespérément de s’accrocher aux vestiges d’un État qui fut jadis un beau rêve.
La vérité se lit dans les traits lassés des Soudanais
Au milieu de ce chaos brûlant, les Soudanais continuent de survivre dans une réalité qui ressemble davantage à la mort. La guerre a ravagé leur pays, détruisant tout sur son passage.
Alors que le conflit approche de sa deuxième année, l’armée soudanaise semble reprendre le contrôle du terrain, tandis que les Forces de soutien rapide reculent. Mais cela signifie-t-il la fin de la guerre, ou bien est-ce simplement un nouveau chapitre d’une souffrance dont la fin paraît lointaine ?
À Khartoum, toute forme de vie s’est arrêtée et les habitants se sont habitués au vacarme des combats. L’armée a récemment repris la majeure partie d’Omdurman, mais continue de livrer de violents affrontements à l’est du Nil et au sud de la capitale, où les Forces de soutien rapide refusent de se rendre.
Au nord du Kordofan, l’armée a repris la ville d’Um Rawaba, mais les massacres se poursuivent au Darfour, où les rescapés décrivent des scènes infernales, des familles exterminées et un pays qui se disloque sous les mains de ses propres enfants.
L’armée affirme dans ses communiqués qu’elle enchaîne les victoires et que la guerre touche à sa fin, tandis que les chefs des Forces de soutien rapide assurent qu’il ne s’agit que d’un "redéploiement" en vue de futures attaques.
Mais la vérité ne se trouve pas toujours dans les déclarations militaires. Elle se lit sur les visages de ceux qui ont perdu leurs maisons, leurs proches et leurs rêves. Aujourd’hui, au Soudan, personne ne demande "qui gagne ?", mais "quand cette guerre prendra-t-elle fin ?".
Sous le poids des combats, plus de neuf millions de personnes vivent dans des conditions catastrophiques. Certains ont fui vers Port-Soudan, où des familles s’entassent dans des écoles transformées en refuges. D’autres tentent de passer les frontières vers l’Égypte, le Tchad ou l’Éthiopie, pour se heurter à des portes closes et à des procédures interminables.
Port-Soudan, qui est devenue la capitale de facto du gouvernement, ne se porte guère mieux que les autres villes en ruines.
La seule question qui vaille : quand tout cela va s’arrêter ?
Un ami maghrébin, qui a pris le risque de s’y rendre récemment, raconte que les coupures d’électricité plongent la ville dans l’obscurité, surtout depuis que le barrage de Merowe, qui l’alimentait en énergie, a été attaqué par des drones. L’eau salée est devenue la seule option pour échapper à la soif, tandis que les prix ne cessent de grimper. Il conclut que les habitants ne se sentent pas dans une ville sûre, mais dans une longue salle d’attente, où tout le monde se demande : où aller ensuite ?
À l’extrême ouest, au Darfour, les civils n’ont nulle part où fuir. La violence ethnique y atteint une brutalité sans précédent. Les gens sont tués pour leurs traits, la couleur de leur peau, leur appartenance tribale ou ethnique. Les hôpitaux, qui étaient autrefois des havres d’espoir, ont cessé de fonctionner, emportant avec eux toute chance de soigner les blessés ou de prendre en charge les malades.
Sur le plan politique, aucune solution ne semble en vue. Certains parlent de la victoire de l’armée et de la reprise du pays, mais qui reconstruira ce qui a été détruit ? Que faire des millions de déplacés ? Et de cette génération d’enfants qui n’a pas mis les pieds dans une école depuis le début du conflit ?
Certains redoutent que la guerre dure des années. Dans le pire des scénarios, le Soudan pourrait se scinder en deux entités ennemies, avec l’armée au nord et les Forces de soutien rapide régnant sur le Darfour. La guerre ne prendrait alors pas fin, elle prendrait une nouvelle forme.
Le Soudan se trouve aujourd’hui à un carrefour, entre une guerre qui se prolonge et une paix qui semble inatteignable. Il ne s’agit plus de savoir qui l’emportera, mais combien de temps ce pays peut encore tenir avant de s’effondrer complètement. Ou s’est-il déjà effondré ? Reste-t-il quelqu’un pour croire encore à un avenir où le Soudan retrouverait son unité d’antan ?
Les Soudanais se contentent désormais du strict minimum et ont renoncé à tous les rêves qu’ils portaient lors de leurs anciennes manifestations. Plus personne ne parle de liberté, de justice sociale ou de démocratie. Désormais, leur seul rêve est de survivre et de retrouver un pays qui n’est plus qu’un champ de bataille pour des luttes régionales et internationales qui ont tout anéanti.