L'Académie du Royaume du Maroc a organisé, samedi à Rabat, une conférence scientifique en hommage à son défunt membre, Aboubakr El Kadiri, dans le cadre de ses séries de rencontres qui célèbrent les éminents intellectuels et figures qui se sont intéressés aux grandes préoccupations du projet sociétal et civilisationnel du Royaume. Dans ce texte, le Secrétaire perpétuel de l’Académie, Abdejlil Lahjomri, se penche sur le parcours de l’un des pionniers de ce projet et un des premiers membres de l4Institution académique. Dans ce parcours, Abdejlil Lahjomri relève notamment qu’avec Aboubakr El Kadiri, restitué aux ‘’contextes socio-culturels dans lesquels il a évolués, on se retrouve en présence d’un esprit qui a su allier dans un même mouvement intellectuel la conscience nationale de libération, l'identité en devenir, la conscience éducative et sociale, et la conscience réformatrice et civilisationnelle’’ :

C’est un sentiment de fierté qui me saisit chaque fois que l'Académie du Royaume du Maroc honore l'un des pionniers de notre renaissance et l'un de membres éminents ce cette honorable institution, en raison notamment de ma foi en la culture de reconnaissance et de fidélité envers ceux qui ont ouvert la voie du développement et de l’émancipation à notre patrie et plus globalement à l'humanité dans son ensemble, une culture de gratitude puisée des directives royales de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Protecteur de l’Académie, que Dieu l’assiste.

 C’est là par ailleurs l’un objectif de la nouvelle structure de l'Académie dans sa quête pour promouvoir et développer la recherche scientifique dans divers domaines de la pensée, de la culture et du savoir, ainsi que de contribuer aux efforts visant à faire connaître l'héritage intellectuel, culturel et artistique de la civilisation marocaine et des civilisations humaines dans toutes leurs manifestations.  

Une pensée référentielle

La célébration de l’apport marocain et de ses rôles dans l'enrichissement de notre patrimoine, notre histoire et notre culture s’inscrit également dans les missions de l'Académie du Royaume du Maroc à travers la commémoration des figures de la pensée marocaine et mondiale tels Abdellatif Berbich, Abdelkrim Ghallab, Léopold Sédar Senghor, Mohammed Aziz El-Hababi, Abd al-Hadi Boutaleb, Ahmed Al-Akhdar Ghazal, Mohammed Benchrifa, Abdellah Guennoun et Mohammed Chafik, en reconnaissance de leurs contributions scientifiques et intellectuelles.

 Aujourd'hui, c’est un autre emblème de notre culture, Aboubakr El-Kadri, que l’Académie du Royaume célèbre comme un modèle pour les générations actuelles et montantes qui figuraient en bonne place dans les préoccupations de sa création culturelle qui dépasse les cinquante œuvres et constitue une référence pour les chercheurs du monde de la culture, de l’éducation et de la politique.

 En se penchant sur les contextes socio-culturels dans lesquels Aboubakr El-Kadri a évolués, on se retrouve en présence d’un esprit qui a su allier dans un même mouvement intellectuel la conscience nationale de libération, l'identité en devenir, la conscience éducative et sociale, et la conscience réformatrice et civilisationnelle. Une alliance qui lui a permis de converger dans cette appréhension de la renaissance nationale avec les pionniers du mouvement salafiste marocain dont on peut citer à titre d’exemple Abou Chouaib Doukkali, Mohammed El-Arabi Al-alaoui, Allal El-Fassi, Abdellah Guennoun, et El-Mekki Naciri. 

Aboubakr El-Kadiri a consacré sa vie à soutenir les valeurs de la libération, de la citoyenneté et de la foi sincères immunisées contre toute aliénation intellectuelle. Et c’est à juste titre en conséquence qu’il est considéré comme l'un des pionniers de la résistance marocaine et des mouvements de réforme arabes qui se sont inscrits dans la lignée de la renaissance incarnée en Orient par Jamal al-Din al-Afghani et Mohammed Abdou. Cet engagement en faisait un combattant sincère dans sa citoyenneté et ouvert dans sa perception du monde. Il y évoluait mu de trois profondes motivations : celle du combattant patriotique, du penseur réformateur, et du porteur d’un projet éducatif et social. 

Au plus près des sources authentiques

La patrie a habité la pensée d'Aboubakr El-Kadri comme l'a préoccupé le sens profond des valeurs de l'appartenance existentielle et pratique. Il a souffert de la prison et de la persécution, profondément convaincus, lui et ses compagnons, que seule la lutte est de nature à libérer la patrie et ses populations de la dépendance, de la superstition et de la division. Il fut l'un des fondateurs du bloc de l'action nationale, du Parti national et par la suite du Parti de l'Istiqlal. Il a été également l'un des signataires du Manifeste de l'indépendance, affirmant haut et fort son appartenance politique, appelant ouvertement à la résistance et à l’attachement à l'unité nationale. Il aimait répéter que «La première condition de notre succès est dans l'unité de nos rangs". 

Se fondant sur ces principes, sa pensée réformatrice s’inspirait de la Raison et de la juste compréhension de la religion musulmane en cernant au plus près ses deux sources, le Coran et la tradition prophétique (Sounna) qui proscrivent la superstition et prescrivent l’éloignement des interprétations déviantes. C’est cette réflexion qu’il a observée dans ses ouvrages "Sources et qualités de la législation islamique", "La doctrine islamique et la transformation civilisationnelle", "Pour une société islamique", "Pour une renaissance islamique", et d'autres ouvrages encore qu'il a consacrés à l'étude de la pensée islamique dans toutes ses dimensions humaines. L’ensemble de ses œuvres, appelait à l’attachement aux valeurs de la liberté, de la justice, de l'unité et de la dignité. 

Ainsi, la pensée réformatrice d'Aboubakr El-Kadri repose sur les principes fondamentaux que sont la construction d’une ‘’conscience islamique liée à sa religion et à son époque, la correction des défigurations et l’éradication des déviations qui entravent le progrès de la patrie’’. Une œuvre de longue haleine qui exige ‘’une nouvelle lecture activant la Raison et rejetant les pesanteurs de la tradition et l entraves de l’aliénation’’.

Aboubakr El-Kadri était un penseur réformateur préoccupé par les questions de notre identité et de notre culture contemporaine. Il a ainsi contribué à l’enclenchement d’un mouvement de réforme sur une base politique légitime qui œuvre pour rapprocher la société du bien et l'éloigner de la corruption. 

Mais l'identité marocaine avec ses affluents et ses composantes qui était à la tête de ses priorités nationales et intellectuelles, ne se dissociait pas de son action pour la protection de l'identité civilisationnelle et religieuse d’Al Qods Acharif, et le soutien la cause palestinienne qui ont également pris une place prépondérante dans ses préoccupations intellectuelles et politiques.

L’Ecole de la Renaissance

Les qualités humaines d’Aboubakr El Kadiri et sa contribution féconde dans les domaines de l'éducation et de l'enseignement, lui ont permis d’enrichir la pensée pédagogique au Maroc. Fort de ses valeurs humaines, intellectuelles et politiques, il a participé par la pensée et l’acte à la mise en place d’un enseignement éclairant depuis une époque précoce quand il a fondé le bureau islamique en 1933, en vue de jeter les fondements d’un enseignement dont le Maroc avait alors un besoin urgent pour renforcer les valeurs de l'appartenance à la patrie et contrecarrer la politique d’occidentalisation du protectorat.  

Préoccupé ainsi par la diffusion des principes d'un enseignement national qui sublime la langue arabe et éduque la jeunesse à l'amour de l'islam et au patriotisme, il crée en septembre 1947 à Salé l'école Annahda (la renaissance) une des pierres angulaires de son œuvre où il esquisse ce que devrait être un enseignement marocain.

La riche biographie d'Aboubakr El-Kadri ne peut que susciter la fierté et l'admiration pour l’un des érudits marocains qui ont contribué généreusement à la préservation des constantes de notre identité et de notre culture. Ils ont porté le fardeau et accompli leur mission, nous léguant une expérience de vie en exemple à suivre.