L’INSAISISSABLE ''AHMED AL - ALJ AL - INGLIZI'' OU LA BIOGRAPHIE IMPOSSIBLE (IV - ÈME PARTIE) – PAR ABDEJLIL LAHJOMRI

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Jan Janszoon (Mourad Rais de son nom de converti) ‘’de la puissante connexion flamande de Salé’’ où il fonde le ‘’divan de Salé à la fin des années 1620. Ce fut lui qui ‘’conduisit l’extraordinaire raid vers Reijkavik en 1627’’

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Cette série de chroniques sur le personnage d’Ahmed Al-Alaj Al-Inglizi aurait pu emprunter à Gabriel Garcia Marquez pour s’intituler Chronique d’une insaisissabilité annoncée. Dès le départ, ses recherches dans les livres d’histoire ont fait comprendre au Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume que les origines et la vie du héros de sa quête se perdaient dans la nuée de renégats et convertis que Bartholomé et Lucile Benassar appellent Les Chrétiens d’Allah. Pour autant, la minutieuse investigation de Abdejlil Lahjomri a rapproché le lecteur de cette figure quasi arlésienne au point de faire apparaitre Linglizi comme le véritable ‘’bâtisseur de Mogador’’ reléguant à une fonction subalterne Théodore Cornut. Elle a aussi permis de mettre en lumière la part importante des convertis dans la modernisation du Maroc et, chemin faisant, de mieux comprendre l’ouverture sur l’extérieur et ses apports d’un Maroc que certains décrivent comme un pays insulaire, une ouverture encore plus forte aujourd’hui que jamais. Il y a aussi les cotés anecdotiques et collatéraux de cette enquête qui ont amené Abdejlil Lahjomri vers les non-dits de l’histoire et parfois de son ironie. Et en conclusion, il y a, pour lui qui entretient avec la recherche historique et l’écriture de l’histoire un rapport militant, la mise en exergue de ce qui l’a le plus irrité dans ses recherches : l’imprécision des sources qui le laisse dubitatif. 

Si vous questionnez les moteurs de recherches sur les plus fameux corsaires convertis dans l’histoire de la course au Maroc, ils vous signaleront inévitablement trois : Jan Janszoon, Ibrahim Vargas et Ahmed El Inglizi, connu sous le nom de Linglizi. 

De Jan Janszoon (Mourad Rais de son nom de converti), ils vous diront qu’il était flamand, ‘’de la puissante connexion flamande de Salé, à tel point qu’il devint le fondateur du divan de Salé à la fin des années 1620. Et que ce fut lui qui conduisit l’extraordinaire raid vers Reijkavik en 1627’’, comme le précisent Bartholomé et Lucile Benassar.

Ils vous parleront peu d’Ibrahim Vargas. Ils vous diront seulement qu’il fut l’ancêtre de la famille Bargach et le premier président d’une supposée ‘’république‘’ corsaire à Salé. Le débat sur cette entité guerrière, économique appelée Divan ou République n’étant pas clos, nous ne nous attarderons pas sur les fonctions qu’auraient exercées ces deux convertis et cèderons la plume à ceux qui, plus qualifiés que je ne le suis, auront la compétence de nous conter son histoire    

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En ce qui concerne cependant notre homme ‘’Linglizi’’, ils n’évoqueront aucune activité de course, aucun exploit en mer. Ils rappelleront simplement que son prénom est Ahmed, et vous informeront qu’il a fortifié les remparts andalous de Rabat. Comment se fait-il alors qu’il jouisse en tant que corsaire du qualificatif élogieux de ‘’fameux’’ ?

C’est la première zone d’ombre à propos de ‘’Linglizi’’ : il fut certainement corsaire comme le veulent les livres d’histoire mais nous ne savons rien de lui en tant que corsaire. Fameux, acceptons cet éloge mais rien ne le justifie dans sa cohabitation avec les Morisques. Ils nous le montrent se déplaçant entre Rabat et Salé, gestionnaire des ports avec un certain Haj Boubker Guessous, mais rien à propos de sa conversion, ni comment ni pourquoi il apparait dans l’entourage du Sultan. On a supposé qu’il vivait sous Moulay Ismaël, que c’est à lui que  son fils  Moulay Abdellah a confié l’achèvement de l’illustre porte Al Mansour de Meknès qui porte son nom, et c’est, parait-il,  Mohamed Ben Abdellah qui, ayant apprécié  sa monumentale œuvre l’a rapproché de lui. Il devint   ‘’fameux’’ mais comme bâtisseur. Ce qualificatif serait alors pleinement justifié.  

Célèbre donc mais comme ingénieur chez les uns, comme architecte, urbaniste chez d’autres. Dans certains textes il est chef de chantiers, ailleurs il n’est qu’un aide parmi la multitude d’ouvriers. Ses travaux et réalisations sont une illustration probante de cette célébrité légitime. L’achèvement de la porte Al Mansour de Meknès, la rénovation de la mosquée de Oudayas, le Borj Sirat à Rabat, la rénovation de l’ancienne médina almohade, la porte de la Marine à Essaouira, l’ensemble défensif qui l’avoisine, des bastions et plusieurs ouvrages qu’il serait un peu fastidieux d’énumérer dans une chronique, mais signalons tout de même que Douaïf, l’historien de Rabat, parle d’un ‘’Mansour al -Alj‘’ qui aurait construit une maison pour Sidi Mohammed Ben Abdellah. Serait-ce ‘’Linglizi’’ qui portait aussi ce nom de Mansour ? 

Ami Bouganim dans son article Mogador des juifs publié dans ‘’Présence juive au Maroc‘’ en hommage à Haim Zafrani, en fait le ‘’véritable bâtisseur de Mogador’’, […] une partie des travaux auxquels furent attelés près de cinq cent prisonniers chrétiens, parmi lesquels le célèbre Ahmed le Renégat que l’histoire retiendra comme le véritable bâtisseur de Mogador […]’’. Exit donc Théodore Cornut, à juste titre d’ailleurs, considéré à tort comme l’architecte de Mogador, dont le statut   a été contesté par Georges Lapassade, anthropologue, amoureux fou  d’Essaouira et  de ses Gnaouas,  au point que rien ne pouvait plus justifier dans les livres d’histoire qu’on attribuât à l’aventurier Cornut les plans d’édification de Mogador. Mina M’Ghari-Baida, dans ses études riches et documentées évoque aussi des plans conçus par Linglizi ‘’Après un premier plan établi par le renégat anglais Ahmed El Inglizi en 1767 concernant le port et les fortifications de la Sqala, l’entrée du port et le Bab Marsa sont édifiés par le renégat entre 1769-1770 […]’’.

La deuxième zone d’ombre à propos de Linglizi est étrangement son nom. Il est présenté souvent comme ‘’Ahmed al- Alj Lingzhi’’. Mais l’adjectif de Mansor ou Mansour colle à son nom au point qu’il devient opaque et qu’une confusion s’installe concernant un personnage dit célèbre et fameux, mais dont la célébrité est peu lumineuse. Victorieux ? Pourquoi a-t-il mérité ce qualificatif et comment et par qui lui fut-il attribué ?

Dans la revue Quantara, il n’est plus Ahmed mais Mohammed. On y lit cette bizarre assertion :‘’ L’enceinte enserre plusieurs édifices du XVIII siècle. En 1776  Mohammed […] ibn Abdellah édifie la Sqala sous les ordres du célèbre anglais Mohamed AL Inglizi […] On doit également au fameux Mohamed Al Inglizi le borj Sirat ‘’. 

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La confusion devient déroutante quand on lit dans les écrits de Mina M’Ghari-Baida l’insertion suivante : ‘’ Par contre sur la porte de la Marine, une inscription mentionne un nom qui n’a rien à voir avec Cornut : un certain Ahmed Uharru qui aurait supervisé les travaux.’’ D’où vient ce nom d’Uharru ? L’histoire est édifiante. Quand on observe bien le médaillon, nous dit Omar Lakhdar, on remarque que les lettre L de Alj est comme effacée. Trace d’une dégradation ? On peut s’interroger légitimement si cette dégradation est volontaire ou involontaire. Volontaire, cela expliquerait pourquoi chez un auteur Haj Ahmed Regragui, AL- AJ devient Aharro, comme s’il fallait absolument gommer le nom du renégat pour l’arabiser afin qu’il soit digne de figurer auprès d’un immense sultan.   

Involontaire, c’est qu’il n’y avait pas beaucoup de place dans ce médaillon et que le calligraphe a été contraint de se passer de la lettre L arabe. La question de Omar Lakhdar est donc légitime : ‘’Le nivelage de la lettre L est-il accidentel ou simplement une correction préméditée en vue de changer le nom d’un converti, par Aharro, un nom du bled ?‘’

Notre personnage est certes célèbre et fameux mais son nom est lui   incertain et baigne dans un flottement déroutant pour le chercheur soucieux de précision et d’exactitude. 

La troisième zone d’ombre est sa nationalité. Le lecteur s’étonnerait d’une telle affirmation, puisque nous le connaissons comme anglais et que Linglizi est le nom communément admis par la majorité des historiens. Toutefois Mina M’Ghari dont le sérieux des recherches est incontestable dans ses études épigraphiques des monuments d’Essaouira écrit ceci : ‘’ […] et parmi les noms que retient la mémoire de la ville celui de Ahmed Al Alj le génois […]’’. Cela ne l’a pas empêché d’évoquer par ailleurs un Ahmed al Alj El Inglizi . L’existence de deux personnes qui nous a préoccupée dès le début de cette enquête devient lancinante. Nous avions cru trouver dès le début de l’enquête un converti espagnol et un autre anglais. Sommes-nous à la fin de notre enquête en face de deux autres Ahmed al -Alj, un anglais et un génois ? Il y avait beaucoup de convertis d’origine génoise, mais dans le cas qui nous intéresse l’imprécision des sources nous laisse dubitatifs et irrités. Quelques exemples de ces sources irritantes : 

       ‘’ C’est un architecte génois plus célèbre sous le nom d’Ahmed al Alj qui les terminera |…]’’ 

        ‘’ Un ingénieur génois, contribua également aux fortifications […] le célèbre Ahmed al - Alj, renégat génois, qui probablement construisit la Sqala face à la mer ‘’

         ‘’ […] Aucun des monuments actuels de Mogador ne fut attribué à Cornut avec certitude, car après lui plusieurs architectes et maçons européens travaillèrent avec le Sultan en particulier un architecte génois auquel est due la batterie de la Sqala […]’’           

Si l’on croit l’auteur de l’article ‘’du Cap Spartel au Cap Bojador ‘’, ‘’l’architecte de Soura serait un génois ‘’’

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La nationalité d’Ahmed al-Alj est sans aucun doute anglaise.   L’imprécision de beaucoup d’historiens trouble le lecteur qui se met à douter et à se méfier de la véracité historique de leurs écrits et de leurs lectures des évènements et des hommes qui les ont vécus.

En définitive, ai-je répondu à la question de mon ami Naïm Kamal, méditatif devant la plaque commémorative de l’antique mosquée des Oudayas ? Je crois que non. 

Linglizi fut un fameux corsaire mais célèbre comme bâtisseur, intime de trois sultans, ayant édifié des constructions guerrières et défensives. Et c’est tout. Nous n’avons rien su au cours de cette enquête de plus sur sa vie. Il nous est resté insaisissable contrairement à Abderrahman al - Alj qui ne fut pas célèbre mais dont on nous a contés les différentes étapes de sa passionnante carrière. 

Ce que je retiens, en conclusion, de cette enquête est une leçon autre : la modernité du Maroc est due en partie aux convertis, nombreux à avoir, des Saadiens à la fin du XVIII siècle, édifié, sous la houlette de Sultans entreprenants, des monuments restés remarquables dans notre patrimoine historique. Il est regrettable que peu d’études leur soient consacrées surtout à ceux qui comme l’affirment Bartholmé et Lucile Bennassar dans leur article  Le Maghreb et les pays de la Méditerranée publié dans ‘’Les Cahiers de la Tunisie ‘’furent des renégats fort bien intégrés au Maroc, riches, pourvus de postes importants, mariés […] devenus progressivement des musulmans fervents, voire pieux et dans certains cas assez convaincus pour clamer à la face des inquisiteurs leur volonté de vivre et de mourir […]’’ musulmans.

Une belle leçon d’assimilation et d’intégration en ces temps d’insaisissables identités.

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