L’orange royale – Par Seddik Maaninou

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Une fenêtre du premier étage d'un bâtiment donnant sur le jardin, s'est ouverte. Le Roi Hassan II, qui observait certainement la scène de la fenêtre aux vitres teintées, est apparu.

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Je suis plongé actuellement dans la relecture des discours du Roi Hassan II à l’occasion la fête de la jeunesse. C'étaient des discours attendus, car apportant presque toujours du nouveau. J’en ai consulté plusieurs, m’attardant sur certains détails dans le cadre de la préparation d'un nouveau livre documentant les idées les plus importantes qu'ils contenaient et les évolutions qui les ont marqués au fil des années.

C’est alors que je me suis souvenu d'un incident que à la fois anecdotique et éloquent. Chaque année, Hassan II prononçait un discours le 9 juillet, date de son anniversaire célébré par une fête populaire baptisée par le défunt Roi son père, Mohammed V, Fête de la jeunesse.

Ainsi, un dimanche, le 9 juillet 1978, le Roi devait prononcer son discours depuis la ville de Fès où il avait présidé quelques jours auparavant une réunion élargie du Comité d’Al-Qods. Je me suis rendu avec l'équipe de télévision au Palais royal où nous avions longuement attendu dans l'une de ses cours l'autorisation d'entrer dans la salle d'où serait prononcé le discours. Nous étions environ une trentaine de personnes. Ces débuts d’été étaient particulièrement chauds à Fès, déjà connu pour sa chaleur estivale. Il était de surcroit quatorze heures, heure où le soleil est à son zénith. 

La cour où nous nous tenions était un vaste jardin luxuriant contenant, outre des fleurs et des roses, un nombre important d’orangers. Leurs oranges étaient grosses et appétissantes. L’intense et insupportable chaleur de la ville les rendait sans doute encore plus affriolantes pour l’étanchement de la soif. 

N’y tenant plus, l'un des techniciens s'est avancé vers un oranger, en a cueilli une, l’a épluchée et partagée avec certains de ses compagnons. J’étais embarrassé et craignais que cela cause un quelconque problème. Je n’étais pas encore revenu de ma surprise quand un autre technicien s’est aventuré à son tour. Après s'être assuré que personne ne l'observait, il s'est faufilé, et a cueilli une grosse orange. Il se retournait pour revenir, heureux de son trophée, lorsque les agents de sécurité l’ont choppé et jeté à terre. Le silence et une appréhension se sont emparés de l'équipe de télévision. Aucun n'a osé avancer pour exprimer des regrets ou demander pardon pour lui. La sécurité considérait certainement que l’indélicat avait commis un gros délit, d’autant plus grave qu'il avait eu lieu à l'intérieur du Palais royal.

Les agents de sécurité ont exercé une forte pression sur l’indélicat, l'isolant du groupe. Le pauvre semblait souffrir une épreuve qu'il n'avait pas imaginée. Tous étions certains qu’il serait puni sans savoir ce que serait la sanction, tout comme nous étions sûrs qu'une lourde accusation serait portée contre lui et que l'équipe de télévision serait sévèrement réprimandée par les responsables.

Soudain, une fenêtre du premier étage d'un bâtiment donnant sur le jardin, s'est ouverte. Le Roi Hassan II, qui observait certainement la scène de la fenêtre aux vitres teintées, est apparu. Le Roi a alors crié : "Laissez-le... laissez-le... c'est une maison pour tous les Marocains... pour qu'ils trouvent de quoi étancher leur soif... c'est la maison des Marocains... laissez-le manger son orange... et donnez de l'eau aux autres..."

Le Roi qui portait une casquette grise et avait un chapelet à la main, a parlé avec un accent proche de celui de Marrakech. Son ton était ferme et nos visages fermés jusque-là se sont détendus, dessinant un large sourire de soulagement. Certains d'entre nous ont applaudi le Roi ainsi que son propos qui assurait que le Palais royal était le palais du peuple et que ce qu'il contient appartenaient aux Marocains. 

Si avant cet incident on m’avait demandé quelle serait la réaction du Roi s'il voyait ce que nous venions de vivre, ma réponse aurait été catégorique. "L’homme à l’orange serait puni de la plus sévère des punitions..." J’aurais ainsi ajouté, sur simple présomption, ma voix à ceux qui critiquaient Hassan II sans être sûrs de sa véritable attitude. Depuis, plus personne d’ente nous ne s’est aventuré à cueillir une orange royale, même si l’on savait que c’était sans conséquence.