chroniques
Sahara contre la reconnaissance d’Israël : le troc imaginaire
Hassan II recevant au palais de Skhirate le 13 septembre 1993 le premier ministre israélien Itzhak Rabin de retour de Washington où il venait de signer avec Arafat les accords de paix morts nés d'Oslo--
Combien de chefs d’Etat, d’Emirs, de vice-présidents et de Premiers ministres aux funérailles de Hassan II ? Une centaine*. Bill et Hillary Clinton, Jacques Chirac et son épouse, les israéliens Ezer Weizman, Ehud Barak et Shimon Peres, le palestinien Yasser Arafat et l’algérien Abdelaziz Bouteflika, pour ne citer qu’eux. La raison ? La dimension internationale de Hassan Ii dont son action pour un Moyen Orient de l’entente vertueuse n’y était pas pour rien.
Depuis le temps que la « rumeur » courrait sur ce que certains qualifient de « troc », établissement des relations diplomatique avec Israël contre la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par Washington, on guettait, s’y attendant un peu, le moment où cet évènement majeur interviendrait. Jeudi 10 décembre, il est enfin arrivé, dans un contexte de tension on ne peut plus propice. Chaque Marocain attaché à son pays ne peut que s’en réjouir. Sans état d’âme aucun. Exactement de la même manière que le pouvoir algérien, cherche depuis l’indépendance de l’Algérie à réduire le Maroc, sans mauvaise conscience aucune et dans l’ingratitude totale, à la portion congrue au Maghreb. C’est un axiome cynique des relations internationales, mais les Etats n’ont pas d’amis, que des intérêts. De ce point de vue, Alger et sa presse peuvent seriner autant qui le veulent, ils sont inaudibles.
La reconnaissance de la pleine souveraineté du Royaume sur le Sahara par la première puissance mondiale est un juste retour des choses. Non pas dans ce sens où les Etats Unis d’Amérique auraient ainsi renvoyé l’ascenseur au Maroc qui a été le premier Etat à les reconnaitre. Ça ne veut rien dire. Mais parce que Rabat s’est très tôt engagé, dès le début des années 1960, aux cotés du camp du « Monde Libre » mené par Washington face au Bloc socialiste sous la coupe de l’Union Soviétique. Même si la politique étrangère du Maroc maintenait des rapports plus ou moins équilibrés avec Moscou et Pékin, les deux grandes Mecque du socialisme mondial de l’époque, cet alignement sur le camp occidental lui a précisément beaucoup nui dans l’affaire du Sahara devant les instances internationales. Le Bloc soviétique, y compris ses prolongements africains, votant comme un seul homme les résolutions algériennes pour sanctionner le parti-pris marocain, tandis que les capitales occidentales brillaient par un équilibrisme douteux. Au point de provoquer l’amertume de Hassan II, faisant remarquer, en substance, que les premiers agissaient avec une discipline de clan cependant que les seconds se comportaient comme les membres d’un club, chacun à sa guise.
Une position constructive
Dans la dynamique des reconnaissances africaines et arabes de la marocanité du Sahara et l’ouverture de nombreux consulats à Laayoune et Dakhla, assorties de nombreux retraits de reconnaissance de la RASD, la décision de l’Administration américaine est un évènement capital. La promulgation d’un « décret présidentiel, avec ce que cet acte comporte comme force juridique et politique indéniable et à effet immédiat, portant sur la décision des États-Unis d’Amérique de reconnaitre, pour la première fois de leur histoire, la pleine souveraineté du Royaume du Maroc sur l’ensemble de la région du Sahara Marocain », bouleverse de façon conséquente la donne. Qu’on les aime ou qu’on les exerce, les Etats Unis d’Amérique demeurent la première puissance et la « nation indispensable » dans la géopolitique mondiale.
Pour autant, le Maroc, même s’il ne boude pas son plaisir, reste dans une attitude constructive. La même qui l’a conduit à adhérer en 1981 à l’organisation d’un référendum pour ne recevoir en récompense que l’admission par effraction de la RASD à l’OUA en 1984. La même aussi qui lui a fait accepter un cessez-le-feu en 1991 pour privilégier la voie politique alors qu’il était militairement vainqueur sur le terrain. La même encore qui lui a inspiré, à la demande de l’ONU en 2007, le plan d’autonomie conçu dans une perspective de ni vainqueur ni vaincu. On peut multiplier à l’infini les exemples de ce génie de la modération : du tracé des frontières avec l’Algérie à l’entente avec la Mauritanie en 1975, de la proposition d’une ouverture pour Alger sur l’Atlantique au découplement en 1988 de l’affaire du Sahara de la construction du Maghreb. Sans jamais recevoir en retour que l’entêtement.
A l’est, toujours rien de nouveau
En même temps qu’il réaffirmait son attachement à la marocanité du Sahara, le Maroc offrait des voies de sortie, œuvrait à des alternatives politiques équitables et pragmatiques, proposait des solutions. Dont l’autonomie, qui est une initiative audacieuse si l’on prenait la peine de l’examiner de près. Elle induit une asymétrie dans l’organisation territoriale du Maroc qui n’est pas sans risque pour la cohésion de l’espace national. Rabat qui en est tout de même conscient, n’a pas rechigné à prendre sur lui la gestion de ses risques au mieux des intérêts du pays et de la région.
Mais à l’est toujours rien de nouveau. On continue à se heurter à un statisme marécageux, stérile et aventuriste, taillé dans le bois mort de la « guerre froide ». Dans son dernier numéro (689), le mensuel de l’armée algérienne, El Djeich, se fend, au lendemain de Guergarate, d’un éditorial belliqueux, aux tournures obsolètes, marquées par un état d’esprit d’assiégé. Au lieu de prendre acte de cette réalité, de changer le braquet pour procéder à un réexamen de ses choix et des stratégies qui en découlent, il ressort la litanie de « pays pivot » qui se prépare à faire face à on ne sait combien d’ennemies extérieurs sans les nommer, qu’il en oublie la seule menace qui pèse sur le pouvoir algérien, la contestation populaire de sa mainmise sur le pays. L’état-major de son armée, qui n’en pas est totalement inconscient, tente sur les deux tiers de l’éditorial, en brandissant ces menaces, de mobiliser le front interne qui lui fait défaut comme jamais dans son histoire.
Un troc sans objet
Le président Donald Trump, dans son tweet, a mis l’accent, comme on pouvait s’y attendre, sur l’établissement de relations diplomatiques avec Israël. Le communiqué du Cabinet royal, sans surprise, sur la reconnaissance de de la pleine souveraineté du Maroc sur son Sahara. Peut-on parler, pour autant, d’un troc ? A en croire la presse algérienne qui s’en donne à cœur joie, sans doute. Mais qu’a donné Rabat à Tel-Aviv ? Le Golan ou Al Qods ? Les Israéliens y sont depuis 1967 sans que tous les Etats arabes réunis n’aient pu les en déloger. Des vols directs pour que les Israéliens puissent venir sans correspondance au Maroc ? Ils y viennent et depuis toujours. L’établissement de relations diplomatiques ? Oui, mais, dans les meilleurs délais. Les Bureaux de liaison ? Du réchauffé, ayant déjà existé de 1994 à 2002 pour consolider les accords d’Oslo. En revanche, le Roi Mohammed VI a réaffirmé dans son entretien téléphonique avec Donald Trump l’attachement du Maroc à la solution d’un Etat pour les Palestiniens et un statut spécifique pour Al-Qods tel que convenu avec le Pape François lors de sa visite en mars 2019 à Rabat. En résumé, rien de plus ou de moins que ce que l’OLP ait déjà accordé à Tel-Aviv.
La politique israélienne du Maroc ne date pas 10 décembre. Elle puise ses racines dans les profondeurs de l’histoire. Un continuum qui ne s’est jamais démenti et nul ne peut accuser Rabat d’incohérence. C’est très tôt que Hassan II, imprégné de realpolitik, a pris la mesure du rapport de force en place. Il était bien seul, avec le président tunisien Habib Bourguiba, à voir au-delà du bout d’une baïonnette rouillée. Publiquement aussi bien que dans le secret des arcanes, Rabat a travaillé pour le rapprochement israélo-arabe, mesurant à sa juste valeur les bénéfices qu’il comporte pour les deux parties. Dès 1970, il reçoit le président du Congrès juif mondial Nahum Goldmann.
Ni guerre ni paix
En 1974, moins d’une année après la guerre d’octobre, le sommet arabe adopte à Rabat une résolution gardée secrète rendant caduque celle de Khartoum qui spécifiait : Pas de négociations, pas de reconnaissance, pas de conciliation. C’est se prévalant de la résolution de Rabat que le président égyptien Anouar Sadat conclut avec Israël les accords de camp David qui lui permirent de récupérer ce que la guerre ne lui a pas donné, le Sinaï. En 1982, c’est à Fès que le sommet arabe adoptera le plan Fahd, du nom de l’ancien roi d’Arabie Saoudite, qui prévoyait globalement la garantie des droits des arabes et des musulmans contre « le droit de tous les Etats de la région à vivre en paix ». Quatre ans plus tard, Hassan II reçoit à Ifrane le premier ministre israélien Shimon Peres après l’échec d’une initiative jordano-palestinienne en 1985. On peut s’arrêter longtemps sur les manœuvres israéliennes pour éviter la paix, notamment après la mise à mort des accords d’Oslo de 1993 à la suite de l’assassinat d’Itzhak Rabin en 1995 à Tel-Aviv par un extrémiste juif. Maitre de la terre et en position de force face à un monde arabe en loques, elle pouvait se permettre, grignotant chaque jour qui passe un droit, une position, une reconnaissance, la construction d’une nouvelle colonie, un fait accompli avançant d’un pas sûr vers l’irréversible dans un monde qui lui est globalement acquis.
Inaptes à la paix, mais aussi incapables de faire la guerre, les pays arabes ne se révélent compétents que dans la discorde. Alger, pour ne citer que lui, se gargarisant à volonté de son indéfectible soutien aux Palestiniens n’a pas trouvé mieux pour compenser son impuissance que de contrecarrer la récupération du Sahara par le Maroc. Campant au sein du Front de refus aux cotés de l’Irak, de la Libye, de la Syrie, du Yémen du sud et de l’OLP contrainte et forcée à des alliances qui ont ruiné ses intérêts et ses ambitions, ensemble pour le pire et le pis, ils n’ont fait que justifier aux yeux du monde l’expansionnisme israélien. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Le Hamas à Ghaza et l’autorité palestinienne en Cisjordanie réduits à l’inaction. Le Yémen aux prises avec ses vieux démons tribaux. La Libye à la recherche d’une unité et d’une intégrité perdues. La Syrie depuis dix ans en guerre civile. L’Irak disloqué. Et l’Algérie qui ne veut retenir aucune leçon de l’Histoire.