Un livre d’Abderrahim Bourkia : ''DES ULTRAS DANS LA VILLE'' - Par Mustapha SEHIMI

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Les Winners (Widad) et les Green Boys (Raja)

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Voici la deuxième édition du livre du sociologue Abderrahim Bourkią: "Ultras dans la ville "(éd. La Croisée des Chemins, Casablanca, 2022, 329 p.). Son hypothèse centrale est celle-ci: appréhender les multiples facettes de la violence urbaine - ce que l'on appelle ailleurs le "holliganisme"... Une enquête de terrain qui n'a rien à voir des développements savants que l'on peut avoir dans des cénacles académiques, souvent autoproclamés d'ailleurs. 

Il a vu ; il a rencontré des groupes ; il a écouté tout le monde mais aussi en veillant à un certain recul. Le matériau brut, pourrait-on dire, était là ; il fallait le travailler, le tailler, voire le ciseler. Il a ainsi investi un périmètre d'études si peu couvert par la recherche : celui de "nouveaux territoires" avec des approches et des outils d'investigation appropriés.

Identités et chocs sportifs

Comme le note le préfacier de ce livre, Dominique Bodin (Université Paris Est Créteil), ce n'est pas le " modèle européen" qui est recyclé ici mais un fait social marocain, original bien sûr, même si l'on y retrouve des facteurs partagés dans des groupes de supporters- notamment des identités individuelles qui se conjuguent dans des identités collectives; des rivalités voire des chocs sportifs vivaces; sans oublier les débordements dans le champ d'une dialectique sociale et même contestataire difficilement maîtrisable. Comment en effet réprimer cette forme de violence ? Jusqu'où ne pas aller trop loin ? Ou mettre le curseur ? Pas de doctrine rigide de l'appareil policier mais des ajustements au cas par cas, à la carte... Le contrôle social est nécessaire tant il est vrai que cette violence bouscule une société globalement pacifiée et mal préparée à ces fièvres qui accompagnent un fait sportif, footballistique, devenu ainsi un moment fortement enfiévré.

Comprendre et expliquer : telle est la double démarche de l'auteur. Ce phénomène-là est qualifié de supporterisme. Il présente au Maroc des traits propres : c'est une action collective dont l'expression la plus vive est celle des mouvements des Ultras ; il est surtout localisé à Casablanca et se traduit par l'engagement et l'adhésion de jeunes dans leur soutien à un club - les Green Boys (Raja), les Winners (Widad) et à Rabat le groupe Black Army des Forces Armées Royales (AS FAR). Des symboles. De nouvelles valeurs véhiculées. Des critiques aussi par suite du lot de violence que charrie ce mouvement. Mais n'est-ce pas seulement la partie la plus visible et la plus médiatisée ?

Observation participante

Par-delà cet aspect, l'auteur se préoccupe/des "épaisseurs sociologiques’’ de ce phénomène. Il se réfère à cet égard à l'école de Chicago et ses méthodes ethnologiques de l'"observation participante" : celle qui permet de comprendre le sens que les acteurs sociaux donnent à leur action et à la situation qu'ils vivent. Un aspect fusionnel conjugué à une solidarité ; mais aussi une identité assumée pour se retrouver et se mobiliser contre les supporters de l'Autre. Mais qui ? Les supporters, respectivement le Raja et le Widad : leurs supporteurs ne citent jamais le club adverse - il est nié, relevant de l'impensé... Il y a un univers Ultras et chacun ne peut pas penser sans l’autre : l'identité s'affirme ainsi davantage dans l'altérité. La violence symbolique y a sa place ; parfois même elle devient physique. Quelles sont les motivations profondes des supporters ? Un acte de protestation ? Une identité en construction ? Un désir de "paraître, d'exister et d'être reconnus" dans une société jugée peu inclusive. Pris isolément, ils ne sont pas violents ; en groupe, ils peuvent le devenir. Quels processus sociaux poussent donc dans ce sens ? La violence produite autour du football est-elle spécifique ? S'apparente-t-elle malgré tout, à des faits sociaux observables dans d'autres domaines de la société ? Elle est urbaine, juvénile, avec des rites. A-t-on affaire à des délinquants de droit commun se livrant à des actes de vandalisme ? C'est sans doute plus complexe. 

Les réseaux sociaux ne poussent pas d’ailleurs à 1'apaisement : ils enflamment même les supporters. Une interaction qui nourrit l'inimitié, le rejet et l'adversité. Le supporterisme perd ainsi son caractère festif et prend alors une forme déviante. Lors de la crise sanitaire 2020- 2021, les deux groupes d'Ultras casablancais ont trouvé un nouveau terrain de rivalité : celui de la solidarité - caravane contre le froid avec distribution de couvertures et de vêtements; en temps ordinaire, c'est une caravane de lecture; d'autres groupes sont dans ce même registre d'aide et d'assistance - les Winners du Widad, les "Black Army et Ultras Askary", les "Fanatics" de Salé, les "Fatal Tigers" de Fès, les "Hercules " de Tanger, les " Siempre Paloma, " de Tétouan ou les "Ultras Imazighen " d'Agadir. Le meilleur des "Ultras"...