Une double absence

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Cette nouvelle donne va bouleverser Bella qui craint plus que tout de perdre le seul être cher qui lui reste. Elle est en terminale au lycée Henri-Poincaré, dans la rue de La Visitation, dans le centre-ville de Nancy.

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Des noms et des faits de mon bled (suite)

Le sommeil de Bella est de plus en plus perturbé à l’approche de l’anniversaire du décès de sa mère, Adèle, une femme qu’elle n’a jamais connue, puisqu’elle a disparu la nuit où elle l’a mise au monde. Elle a vu le jour dans la maison de ses grands-parents maternels. Sa grand-mère l’a élevée dans le culte de l’adoration de cette mère qu’elle veut bien avoir aujourd’hui pour partager avec elle les joies et les tristesses de la vie de jeune femme. C’est donc cette grand-mère qui a recueilli ses premières confidences, qui l’a rassurée lorsqu’elle a abordé son premier cycle menstruel, qui a tempéré son euphorie lorsqu’elle lui a parlé de son premier flirt. Mais la place de la mère est demeurée vacante. Au fur et à mesure du creusement de la différence d’âge et de génération entre la petite fille et la grand-mère, Bella sent le vide laissé par cette maman qui n’est qu’un récit. Son absence lui pèse tant. Mais cela l’a rendue mature avant le terme normal, et a développé chez elle la volonté et la capacité de prendre ses propres problèmes en charge. Pourtant Bella n’a jamais été privée d’affection de la part de sa grand-mère, Eliane, qui lui a consacré tout son temps et son amour.

Son grand-père, le Général Michel Girard, un soldat de la vieille garde qui a fait ses armes aux côtés du Maréchal Lyautey, un Lorrain comme lui, d’abord à Aïn Sefra, en Algérie, et, ensuite, 

au Maroc, décède la même année qu’Adèle. Le décès de sa fille unique a beaucoup peiné ce personnage qui a traîné ses blessures de guerre, ses rhumatismes et sa maladie de cœur dans l’espoir de jouir plus longtemps de l’amour et de la joie de vivre qui émanent d’elle. Sa disparition lui a ôté la partie vitale de lui-même. L’arrivée de Bella l’a certes rempli de joie, mais la naissance de celle-ci et les conditions pénibles dans lesquelles le Général a affronté sa situation de père d’une mère célibataire aggravent le mal qui le ronge et précipitent son trépas.

La présence de Bella finit par faire revenir la joie dans cette grande maison de la banlieue de Toul que les pertes successives de la fille et du père ont attristée. Elle ouvre les yeux sur une maison que peuplent des vestiges d’un long séjour en Afrique du Nord. Ses murs sont encore recouverts de tentures qui leur donnent un air de tentes caïdales, insolites dans le décor lorrain grisâtre. Des nattes de jonc, décorées à la manière des tapis de l’Atlas marocain, ornent les murs du grand corridor. Les nombreuses commodes sont surchargées de bibelots, vases, théières, bouilloires, et autres aiguières. De larges plateaux sur pied, de cuivre et d’argent, parfois chargés de beaux verres à thé en cristal, trônent çà et là. Des tables de coin sont couvertes de tissus orientaux richement décorés. Deux râteliers alignent plusieurs générations d’armes qui n’ont pas servi depuis des décennies. Le plancher est fleuri de tapis de toutes les tailles et de toutes les régions du Maroc. Le froid environnant n’a pas fait oublier la chaleur d’un là-bas qu’on a aimé malgré le statut d’occupant qui stigmatise ces habitants itinérants qui laissent chaque fois un peu de leur vie dans ces terres d’accueil dont on garde des témoins muets. La seule réalité vivante sont les amis que l’on s’est faits là-bas si on est doué d’une généreuse ouverture d’esprit et si on a renoncé à l’arrogance du conquérant « civilisateur ». Et cela n’a été donné qu’à ceux qui ont eu la perspicacité de voir la profondeur et la richesse de la culture locale et ont intériorisé le droit à la différence. Ils sont peu nombreux mais peuvent essaimer.

Bella a eu une enfance heureuse. Sa manière de semer la joie de vivre à travers ses faits et gestes, même les plus insignifiants, lui a de jour en jour attiré l’affection et l’admiration béate de son entourage. Sa personnalité remplit l’espace de douceur, telle une fée. Eliane s’est souvent retirée discrètement pour verser une larme de tristesse consolante tant les manières de Bella lui rappellent celles d’Adèle.

L’insouciance de son enfance heureuse et l’abnégation de sa grand-mère, qui a dédié son existence à cette petite fille qui est venue remplir le vide causé que la grande Faucheuse, ont permis à Bella de ne pas s’apercevoir de la singularité de son statut d’orpheline de mère et de père. Eliane ne l’a pas empêchée de l’appeler « maman » pendant les premières années de son enfance. Ce n’est que progressivement qu’elle commence à lui parler de sa propre mère, lui montrant un album de photos qui racontent la courte existence d’Adèle. L’enfant embrasse le portrait de cette jeune femme blonde qui dégage autour d’elle une douceur et une mélancolie qu’elle ne cherchera à déchiffrer que beaucoup plus tard. Elle est rassurée par les paroles de sa grand-mère quant au doux sort de sa jeune et défunte mère dans la béatitude du ciel, sous la protection de Dieu, en compagnie de Michel, son grand-père. Dans cet exercice d’information progressive sur sa famille, la grand-mère demeure muette sur l’identité du père de Bella. Elle a toujours attendu avec beaucoup d’appréhension ses questions à ce sujet. Elle n’a d’autre alternative que de les éluder le plus longtemps possible. Elle repousse le premier assaut de Bella à ce propos en lui disant qu’il a aussi été rappelé par Dieu durant la guerre. Elle lui promet de chercher sa photo dans les archives familiales. Ses occupations d’enfant lui font souvent oublier ses questionnements. Mais il s’agit d’oublis momentanés.

Elle va en effet avoir conscience de la différence entre son propre environnement et celui de ses petites copines d’école, dès qu’elle est en âge d’être invitée à des anniversaires ou à des parties de jeux. Ce n’est pas seulement les meubles exotiques et le prestigieux statut de sa famille qui lui donnent cette sensation, mais aussi son physique de petite fille brune avec de splendides yeux noirs. La couleur de jais de ses cheveux la distingue de loin de ses petites camarades, blondes pour la plupart. Sa beauté, sa douceur et sa politesse lui ont valu d’être la coqueluche de ses maîtresses d’école communale. Sa maturité précoce, sa sagacité, sa sagesse et ses brillants résultats scolaires lui ont permis de jouir du respect de ses camarades de collège et de lycée.

Elle finit également par se rendre compte de la disproportion entre le culte du souvenir de sa mère qu’elle a identifiée à ses photos et à sa tombe constamment fleurie, et l’amnésie de son entourage sur son géniteur dont l’absence l’interpelle. A peine si sa grand-mère murmure de temps à autre un prénom, Philippe, en baissant les yeux comme si elle a à taire une tare ou un secret inavouables. Par instinct d’abord, et par sagesse ensuite, Bella évite d’aborder ce sujet apparemment épineux pour cette grand-mère qu’elle adule et qu’elle ne veut pas peiner par son insistance. Elle décide donc d’enfouir dans un coin de son jardin secret ces bribes d’informations qui ne lui permettent pas de donner un visage et une identité à ce père rebelle au registre du souvenir. Mais elle se promet d’élucider, le moment venu, cette énigme qui lui cause des serrements de cœur, chaque fois que le quotidien lui donne à y penser.

Les occasions de penser à tout cela vont se multiplier au fur et à mesure qu’elle avance dans l’âge. Les problèmes de santé et l’âge vont progressivement priver sa grand-mère de sa vitalité qui a, jusque-là, rempli le vide autour de Bella. Celle-ci constate que sa grand-mère ne l’accueille plus, à son retour de l’école, avec les questions sur sa journée. Son aïeule a toujours montré une impatience juvénile à écouter les confidences et les petits ragots que Bella collecte durant ses courtes absences de la maison. Sa manière de cribler sa petite fille de nouvelles questions, sans attendre la réponse aux précédentes, tout en s’affairant à l’aider à se débarrasser de ses affaires et en la conduisant vers la salle à manger pour un goûter ou un repas, manquent terriblement à Bella. Pourtant, Eliane a lutté pour ne pas afficher les signes d’affaiblissement, de peur d’inquiéter sa petite fille. Elle n’a capitulé que lorsque son corps a refusé de suivre son envie de remplir l’espace par ses déplacements et sa volubilité habituels.

Cette nouvelle donne va bouleverser Bella qui craint plus que tout de perdre le seul être cher qui lui reste. Elle est en terminale au lycée Henri-Poincaré, dans la rue de La Visitation, dans le centre-ville de Nancy. En semaine, elle habite dans le pied à terre que la famille possède depuis plusieurs générations, à deux pas de la place de l’Arsenal, dans la vieille ville. Elle rend visite à sa grande tante Françoise chaque fois que son programme de travail le permet. Jean lui réserve toujours un accueil chaleureux et l’assaille de questions sur sa scolarité. De temps à autre, son regard se voile de tristesse en sa présence. Elle pense qu’il regrette de ne pas avoir eu d’enfant.

C’est à cette époque qu’elle relève un changement notable dans le comportement de sa grand-mère lors de ses retours de fin de semaine à Toul. Eliane n’est plus aussi alerte qu’avant, elle pose peu ou pas de questions, elle oublie souvent et a tendance à se répéter. De week-end en week-end, son état donne des signes d’aggravation. Certes, physiquement, elle continue à se donner l’illusion d’être active. Mais sa petite fille n’est pas dupe. Elle voit bien que sa grand-mère fournit un gros effort pour rester debout.

Elle a une sérieuse alerte lorsque, vers le mois d’avril de cette année de terminale, sa grand-mère lui demande la date de ses épreuves de français. Elle est, pense Bella, en train de devenir sénile ; elle est en retard d’une année. Cette épreuve a eu lieu l’année dernière et toutes les deux ont fêté les notes brillantes que Bella a engrangées à l’écrit et à l’oral. Celle-ci cherche à faire diversion pour ne pas lui faire sentir de gêne. Elle sait désormais qu’elle ne va pas aussi bien qu’elle cherche à le faire croire.

-Grand-mère, lui dit-elle, tu me rajeunis d’un an ! Je sais que tu veux me garder encore près de toi, mais arrête de me faire peur. Je n’ai pas envie de recommencer mes nuits blanches de préparation du français. Ah, ça non !

-J’aurais cru pourtant…

-Tu sais que la voisine de Nancy demande souvent de tes nouvelles ? Elle m’a chargée de te dire bien des choses.

-Il faudrait que je me décide à venir passer une soirée avec toi. Mais je devrais convaincre Jean, le chauffeur, à faire le déplacement. Il vieillit et trouve toutes les excuses possibles pour ne pas se déplacer.

-Mais grand-mère, demande-lui juste de te déposer à la gare de Toul et je viendrai te chercher dans celle de Nancy. Cela me permettra de couper mon rythme lassant de travail. Tu sais que je passe le bac dans un mois ?

-Oui, oui, bien sûr…

Dès la fin des cours, début juin, Bella change ses plans pour venir préparer ses examens à Toul. Elle renonce à rester à Nancy pour travailler de temps à autre avec Florence, son amie et camarade de classe.

Sa présence ramène un peu de vie dans cette maison qui n’a respiré toutes ces années qu’à la cadence de Bella. Sa grand-mère retrouve le sourire et la bonne humeur en dépit de ses problèmes de santé. Toutes les deux évitent de parler de l’après-baccalauréat. La grand-mère connaît les projets de sa petite fille. Elle l’a toujours encouragée à développer son goût pour la littérature. Ses atouts littéraires lui ont valu d’être majore de son lycée lors des épreuves de français de la fin de la classe de première. Elle compte intégrer les classes préparatoires de littérature à Paris afin de passer le concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure (ENS). Tout le corps professoral du Lycée l’encourage et lui prédit le succès en tant que future khâgneuse. Mais elle sait que sa grand-mère va être inquiète pour elle. Elle essaie de la rassurer sur l’excellence de la qualité de l’internat du prestigieux lycée qu’elle compte intégrer pour ses deux années de classes préparatoires à Paris. Cependant, elle pense de plus en plus rester à Nancy pour ses classes préparatoires. Henri-Poincaré est, du reste, l’un des meilleurs établissements de France. « Pourquoi pas, pense-t-elle, j’aurai l’occasion de connaître Paris si je décroche le concours de l’ENS… Et surtout, un tel changement de destination fera du bien à ma grand-mère chérie ».

Les résultats du baccalauréat ne démentent pas les pronostics de ses professeurs. A seize ans, elle obtient son diplôme avec la mention « très bien » et l’octroi de la bourse du mérite. Elle n’a certes pas besoin de cette allocation pour entamer ses études supérieures, mais cela lui fait plaisir d’être éligible à cette récompense prestigieuse. C’est la fête dans cette grande maison vide de Toul. Eliane organise une réception à cette occasion. Françoise et Jean sont là avec un cadeau coûteux. Le temps d’une soirée, Eliane retrouve toute sa vigueur. Elle est fière et cherche à afficher sa fierté de la manière la plus ostentatoire, dérogeant à sa sobriété habituelle. Sa vie a toujours été égayée par les joies que sa petite fille lui a apportées.

Durant ce même été, Eliane et sa petite fille regagnent l’appartement familial de Nice où Bella a toujours aimé aller. Petite, elle aime se tenir sur le balcon et laisser se perdre son regard dans le bleu de la Méditerranée ou s’amuser à suivre les déambulations de certains clients de la promenade des Anglais. Elle a toujours été attirée par ce coin de balcon qu’elle a eu l’impression de connaître avant même sa naissance, avec la nette certitude qu’elle y retrouve un parfum qui semble lui être familier. En dépit de la beauté du site, de la chaleur estivale et du mouvement humain bigarré et ininterrompu qui tranchent avec l’ambiance lorraine, la grand-mère croit que ces vacances viennent clore une étape, et que les années d’après n’auront pas le même goût. Cette sensation la rapproche davantage de sa petite-fille. Elles font plus de choses ensemble que les étés précédents : promenades, musées, courses, petits plats, restaurants. Elles veulent faire le plein en prévision des surprises que peut réserver l’avenir. Qui sait ?

C’est lors de ce séjour que la grand-mère fait comprendre à Bella qu’elle n’est pas restée insensible à sa soif d’en savoir plus sur ses parents. Elle lui fait comprendre qu’elle garde un secret qu’elle lui réserve pour son vingtième anniversaire à l’insistante demande d’Adèle. Elle fait le serment à la défunte à ce sujet, au moment où celle-ci a eu un mauvais présage quant au déroulement de son accouchement. Connaissant le caractère de sa grand-mère, Bella n’insiste pas. Elle prie seulement de toutes ses forces pour quelle vive encore longtemps. Elle n’a pas non plus fait allusion aux aléas de la vie, sachant qu’Eliane est capable d’anticiper ce genre de situation. Elle connaît la méticulosité avec laquelle elle traite les affaires de la famille et sa fidélité à la mémoire de ses chers disparus.

Mais, désormais, Bella va vivre dans l’attente de ses vingt ans. D’ici-là, elle ne va pas cesser de se poser toutes sortes de questions et d’échafauder beaucoup de scénarios.

Au cours de ce séjour, la vieille femme lui apprend que c’est dans cet appartement qu’Adèle a passé toute la période de la guerre. Elle est souvent restée dans ce coin de balcon à regarder le bleu de la mer et les déambulations des promeneurs sur la belle allée qui longe la longue plage. Bella comprend alors la charge sentimentale qui l’a assaillie à cet endroit.

C’est aussi à cette occasion qu’elle informe sa grand-mère de sa décision de faire ses classes préparatoires à Henri-Poincaré. Une joie indicible envahit Eliane. Cela la rassure quant aux caprices du destin. Celui-ci semble avoir décidé de réserver moins de mauvaises surprises à cette famille bien éprouvée par la mort.

Le retour de Bella dans son lycée fait la joie de ses professeurs. En dépit de son insistance de faire venir sa grand-mère à Nancy, celle-ci veut continuer à habiter la maison familiale de Toul afin de continuer à superviser la gestion du domaine vinicole et la manufacture de madeleines que son défunt mari a remise à flot depuis son retour du Maroc en 1928. C’est son neveu, Albert, un gaillard vosgien honnête et travailleur qui gère son patrimoine. Le jeune homme a été recueilli par la famille de sa tante au moment où, après le décès de sa propre mère et le remariage de son père, il décide de quitter le domicile familial pour incompatibilité d’humeur avec sa belle-mère. Michel, le mari d’Eliane prend alors en charge son éducation et le trouve d’ailleurs à ses côtés au moment où ses problèmes de santé l’ont amené à se décharger progressivement sur lui de la gestion quotidienne de ses affaires. Albert est resté dévoué et reconnaissant à sa tante et au vieux Général.

Après de loyaux services auprès de Lyautey, Michel est promu général de brigade en 1925, au moment du départ de son mentor du Maroc. Il demande sa retraite en 1928 et retourne dans le Toulois où il reprend en main les affaires de la famille. Il continue à rendre régulièrement visite au Maréchal dans son château de Thorey, à une quarantaine de kilomètres de Nancy, jusqu’à la mort de celui-ci en 1934. Thorey, qui a pris le nom de Thorey-Lyautey, se trouve en Meurthe-et-Moselle, à proximité de la « colline inspirée » de Barrès, à Sion-Vaudémont. Il est invité à la cérémonie d’inhumation du Maréchal dans le mausolée construit au sein de la Résidence à Rabat. Il est resté en relation avec Mme Lyautey jusqu’à sa mort. Mme Lyautey a continué à vivre entre Casablanca et Paris, jusqu’à sa disparition en février 1953. Elle a été enterrée à côté de son mari à Rabat. Elle n’a pas eu le désagrément de vivre les lendemains douloureux de la déportation du Sultan Mohammed V, en août 1953. Rapatrié en 1961, le corps du Maréchal est inhumé aux Invalides. Celui de sa femme est transféré au cimetière de Thorey.

Après le Bac, Bella continue à consolider son statut d’étudiante brillante. Sortie majore de sa promotion à l’issue de ses deux années préparatoires à Nancy, elle intègre l’ENS avec les honneurs. Elle y a été accueillie comme une sorte de phénomène, étant donné son âge et les résultats brillants qui émaillent son cursus scolaire. Elle fait ainsi très largement honneur à son statut d’étudiante prodige.

Ces années studieuses l’ont tellement absorbée qu’elle n’a pas vu le temps passer. Elle a toutefois profité de toutes ses vacances pour rester auprès de sa grand-mère. Celle-ci continue à subir les agressions de l’âge et de la maladie. La présence de Bella représente pour elle un élixir qui a les vertus de lui redonner continûment vigueur et sourire. Cependant, elle livre encore davantage de signes inquiétants de sénilité. Ceci attriste Bella qui déploie tous les trésors de diplomatie pour ne pas montrer son chagrin et pour ne pas faire sentir à sa grand-mère qu’elle est diminuée. Sa préoccupation lui a, durant un temps, fait oublier la promesse faite par sa grand-mère de lui révéler le secret que lui a confié Adèle sur son lit de morte. Elle continue toutefois de prier pour que son aïeule puisse être en état d’assouvir sa soif de tout savoir sur ses parents, et en particulier son père sur la personnalité duquel le silence est opaque et étouffant. Elle se promet aussi de lui demander le pourquoi de son propre prénom ; Bella est loin d’être courant dans son environnement lorrain. Avec son teint brun, il lui a souvent valu d’être prise pour une Italienne. Mais ceci n’a pas représenté de sérieux désagréments. Parfois, elle est amusée par l’exotisme qu’inspire son aspect extérieur. Cependant tout cela se dissipe dès qu’elle ouvre la bouche : son éducation bourgeoise et son accent châtié la trahissent.

Durant ses deux années préparatoires, Bella fréquente régulièrement Françoise et Jean. Elle trouve le plus grand des plaisirs à discuter avec cet homme affable qui a bien connu Adèle à la faveur du long séjour que celle-ci a passé dans leur ferme au Maroc, vers la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il lui parle souvent de leurs promenades champêtres et de leurs longues discussions. Mais elle a toujours senti chez lui une tendance à sélectionner les souvenirs de cette période. Cela l’intrigue.

Sortie majore de l’ENS, elle a eu, malgré son jeune âge, l’opportunité d’être engagée comme professeur stagiaire de français dans son ancien lycée nancéen. Battante par excellence, Bella s’est juré de réussir. Ses anciens professeurs lui apportent toute l’assistance et les conseils nécessaires.

Elle a vingt ans (A suivre). 

Aziz Hasbi, 

Rabat, le 26 octobre 2020

Les épisodes précédents de Des noms et des faits de mon bled :

Des noms et des faits de mon bled

Les retrouvailles

Une amitié singulière

Une rencontre fatale

Le drame

La cruauté du destin

Le courage d’une femme