Culture
Brô MC's, le rap de résistance des indigènes du Brésil
Les membres du groupe de rap indigène brésilien Brô MC'S dans leur loge le 13 mai 2021 avant un concert à Rio de Janeiro
Coiffes à plumes, visages peints, jeans et baskets dernier cri, les rappeurs de Brô MC's mélangent hip hop et culture traditionnelle pour dénoncer la dure réalité d'une des réserves indigènes les plus peuplées du Brésil.
"La terre rouge, du sang répandu, le sang des guerriers, massacrés par des mercenaires, beaucoup sont morts en défendant leur terre". Les premiers couplets du titre "Terra Vermelha" (terre rouge) en disent long sur les conflits sanguinaires qui font rage entre indigènes et grands propriétaires terriens au Brésil.
Ces paroles sont en portugais, mais d'autres sont en guarani, langue que les quatre membres du groupe parlent dans leurs villages de Jaguapiru et Bororó, dans l'Etat du Mato Grosso du sud, un des pôles de l'agronégoce au Brésil, près de la frontière paraguayenne.
"On nous dit que nos paroles sont dures, mais c'est notre réalité", explique à l'AFP Clermerson Batista, 29 ans, lors d'une visite du groupe à Rio de Janeiro.
En 2009, il a fondé avec son frère Bruno et deux autres frères, Kelvin et Charles Peixoto, les Brô MC's (Brô est diminutif de brothers, frères en anglais), quatuor reconnu comme le premier groupe de rap indigène du Brésil.
Menaces de mort
Leurs villages font partie de la réserve indigène Francisco Horta Barbosa, créée il y a plus d'un siècle, en 1917. C'est une des plus peuplées du pays, avec environ 16.000 habitants du peuple Guarani-Kaiowa.
"Le gouvernement a déplacé les indigènes qui vivaient dans la région et les a confinés sur des terres moins productives", dénonce Clemerson.
"Et quand on veut revenir dans la 'Tekoha', la terre sacrée de nos ancêtres, on voit des clôtures qui protègent les plantations de soja ou de maïs", ajoute-t-il.
Les Guarani-Kaiowa ont filmé récemment un "Caveirao rural", tracteur transformé en char d'assaut pour semer la panique chez les indigènes.
"Avec le Caveirao, ils chargent les maisons pour les détruire, même quand les habitants sont encore dedans", raconte Bruno, 27 ans, frère cadet de Clemerson.
"Il y a de la violence, des tirs. C'est comme dans les favelas" des villes, poursuit-il.
Le Caveirao, terme qui signifie littéralement "grosse tête de mort" en portugais, est à l'origine un véhicule blindé utilisé par les forces de police lors de raids dans des favelas de Rio.
La situation n'a cessé de se détériorer depuis l'arrivée au pouvoir en janvier 2019 du président d'extrême droite Jair Bolsonaro. "Nous avons reçu un email de menaces, disant qu'on allait nous tuer ou nous kidnapper si on n'arrêtait pas de dénoncer les violences".
Les Brô MC's préparent un nouvel album au titre hautement symbolique: "Retomada", nom donné aux occupations par les indigènes de terres ancestrales passées aux mains de fermiers.
Investiture présidentielle
Les quatre membres du groupe se connaissent depuis l'enfance et ont commencé à rapper à l'école.
"Mon frère a commencé à composer du rap à huit ans. On a découvert ce style grâce à une émission de radio qui passait du hip hop tous les samedis. Les gamins se regroupaient pour écouter l'émission, plutôt que de jouer au foot", dit Clemerson.
"Au début, les anciens ne comprenaient pas ce qu'on faisait, ils disaient que le rap ne faisait pas partie de notre culture. Mais quand ils ont écouté attentivement nos paroles, ils ont compris notre message et ont commencé à nous soutenir", précise Bruno.
Le projet est devenu sérieux quand les jeunes rappeurs ont eu accès dans leur village à des ateliers de hip hop de la Centrale Unique des Favelas, ONG cofondée par le célèbre rappeur de Rio MV Bill.
Leur premier album est sorti en 2009 et ils ont été invités dès l'année suivante à se produire lors de l'investiture de la présidente de gauche Dilma Rousseff.
En 2018, ils ont participé à un festival à Francfort, en Allemagne. Une autre tournée en Europe était prévue l'an dernier, mais elle a été annulée à cause de la pandémie de coronavirus.
En mai, le groupe est sorti de son village pour la première fois en un an et demi pour enregistrer à Rio l'émission télévisée du Prix "Sim à Igualdade Racial", une cérémonie où sont récompensées les meilleures initiatives en faveur de l'égalité raciale au Brésil.