Cinéma, mon amour ! de Driss Chouika - ''LE DICTATEUR'' LE PREMIER FILM PARLANT DE CHAPLIN

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Le premier film parlant de Chaplin connaît ainsi un franc succès public, dissipant toutes les peurs de l’entourage de Chaplin qui dira plus tard que « “Le dictateur“ est le film dont l’histoire est plus grande que le petit vagabond (Charlot) “ ».

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Cinéma, mon amour de Driss Chouika : LE CINEMA NATIONAL DE LA ''RICHESSE''  A UNE ''PAUVRETE '' THEMATIQUE ET ESTHETIQUE

« Les dictateurs se libèrent, mais asservissent le peuple ». Charlie Chaplin. 

Fidèle à sa propre conception du cinéma, basée sur une position pratique de la caméra - il précisait bien que « La situation de la caméra doit créer la composition et permettre à l’acteur de faire son entrée dans les meilleures conditions. L’emplacement de la caméra, c’est l’accent du langage cinématographique » - et sur l’ellipse - il affirmait que “Gagner du temps au cinéma, c’est la vertu essentielle. Eisenstein et Griffith le savent bien. Un montage rapide et des fondus enchaînés d’une scène à l’autre constituent la dynamique de la technique cinématographique“ -, Charlie Chaplin, connu par sa technique dans le cinéma muet, a fini par l’appliquer avec succèss dans la réalisation de son premier film parlant, “Le dictateur“, qui aura été aussi son film le plus directement politique.

L’idée avait germé dans son esprit en 1938, avec la montée du nazisme. Et malgré la réticence de son entourage et du monde de Hollywood, qui avaient peur que l’isolationnisme américain de l’époque ne compromette le succès du film, Chaplin décide de mettre deux millions de dollars pour garantir la production du film et se retire dans un centre balnéaire pour préparer son scénario en se documentant minutieusement sur le nazisme d’Hitler et le fascisme de Mussolini.

Une fois son scénario fin prêt, il prépare aussi minutieusement son tournage en se documentant et en visionnant un grand nombre d’images d’actualités filmées de l’époque. Il tenait à s’inspirer de la gestuelle d’Hitler et aussi des mises en scène des défilés et parades nazies et fascistes qui montraient les masses populaires dupées, galvanisées et fortement fanatisées par Hitler et Mussolini.

Finalement, après plus d’un an de travail acharné, le tournage du film prend fin en mars 1940. “Le dictateur“ sort le 15 octobre 1940 à New York. La foule des cinéphiles se bouscule le soir de la première du film. Le premier film parlant de Chaplin connaît ainsi un franc succès public, dissipant toutes les peurs de l’entourage de Chaplin qui dira plus tard que « “Le dictateur“ est le film dont l’histoire est plus grande que le petit vagabond (Charlot)“ ».

Deux mois plus tard, le film sort en Angleterre, obtenant le même succès qu’aux Etats-Unis. La France étant alors occupée par l’Allemagne, les français devront attendre 1945 pour découvrir le film sur la folie de celui qui a chamboulé la vie dans leur pays. Et c’est justement le soir de la première française que Chaplin présente, pour la première fois, Paulette Goddard, celle qui a joué le rôle d’Hannah, comme sa femme.

Après le succès du film, Chaplin est devenu, avec les Max Broders, la bête noire des régimes fascistes qui sévissent en Allemagne et en Italie. Ses films ont été interdits et la propagande nazie avait fait de Chaplin le cinéaste, et de son personnage “Charlot“, pas du tout conforme à l’idéal arien, l’incarnation même du juif à exterminer pour sauver le monde de la déchéance !

Malgré son énorme succès, “Le dictateur“, n’avait rien obtenu lors de la 13ème cérémonie des Oscars de 1941, en dépit de ses cinq nominations, notamment dans les catégories meilleur film, meilleur acteur et meilleur scénario original. Il a été en effet mal reçu par l’opinion publique américaine officielle. Mais cela n’a pas empêché le film d’avoir un immense succès populaire et critique à travers le monde et d'être reconnu internationalement comme un chef-d’œuvre. La malédiction américaine allait d’ailleurs poursuivre Chaplin bien au-delà de ce film. En 1952, alors qu'il séjournait à Londres, son visa américain est révoqué « sous réserve de passer un test sur ses opinions politiques et sa moralité pour pouvoir revenir dans le pays ». C'est à la suite de ce ridicule incident que Chaplin choisit de s'installer en Suisse.

Et ce n’est qu’en 1997 que le film a été sélectionné pour conservation par le National Film Registry de la Bibliothèque du Congrès Américain en reconnaissance de son intérêt «culturel, historique et esthétique important».

UN HUMOUR ANTI-FASCISTE SUBTILE

Fidèle à son choix premier, exprimé par sa fameuse citation, « une journée sans rire est une journée perdue » et dans le strict respect de son style esthétique et technique habituel, conforté sur le plan thématique par l’idée principale que « L’art est une émotion supplémentaire qui vient s’ajouter à une technique habile », Chaplin a fait de son premier film parlant, « Le dictateur », un hymne universel contre la dictature. Et, prouesse inédite et jamais égalée, il a réussi à traiter un thème aussi sérieux que le nazisme avec un humour subtile d’une grande intelligence. Là, je me range simplement derrière la forte analyse de Costa Gaveras : “Je me suis aperçu, après avoir étudié à fond cette époque-là, que le film est profondément historique et profondément intelligent. Parce qu'il commence par la guerre de 1914, et en fait le drame hitlérien commence par la guerre de 1914 : l’Allemagne perd la guerre et on accuse les juifs d’abord d’avoir provoqué la guerre pour ensuite l’avoir fait perdre par l’Allemagne“.

Pour preuve de la grande subtilité du traitement de Chaplin dans ce film, il suffit de citer la fameuse scène du ballon sous forme de la sphère terrestre, avec laquelle joue Hitler, en “Empereur du Monde“, transformé magiquement à un certain moment en “Charlot“. Là encore, je ne peux mieux faire que rendre hommage à la perspicacité et la justesse d’analyse de Costa Gaveras : “La scène du ballon est probablement la scène la plus géniale du cinéma. Parce qu'il y a l’idée forte sur la dictature, la réaction contre la dictature et le drame d’Hitler qui veut prendre la terre, puis il y a le ridicule, et puis il y a la danse, une chorégraphie totale, absolue“. Oui, un régal pour le regard et les sens.

UNE FIN PROFONDÉMENT HUMANISTE

Et puis il y a cette fin profondément humaniste : la scène du discours final, longue de six minutes qu’on ne sent pas passer, tellement pris à la gorge par la prestation du “petit barbier“/Charlot, se substituant astucieusement au dictateur/Hitler, pour dire à la face du monde toute l’horreur que représente tout discours fasciste. Voici un extrait bien expressif de l’esprit de ce discours : « Je regrette, mais je ne veux pas être empereur. Ce n’est pas mon affaire. Je ne veux ni régner, ni conquérir. J’aimerais aider tout le monde. Juifs, Chrétiens, Noirs, Blancs... Unissons-nous ! Combattons pour un monde nouveau, qui donnera à tous un travail, un avenir aux jeunes, une sécurité aux vieux. En promettant cela, des brutes ont pris le pouvoir. Ils mentent ! Ils n’ont pas tenu leurs promesses. Les dictateurs se libèrent, mais asservissent le peuple ! ».

Et puis pour clore en beauté ce film magnifique, Chaplin le termine par le visage angélique d’Hannah/Paulette qui exprime tout l’espoir dans un bonheur humain à venir, sur la voix en off du barbier, l’homme qu’elle aime: “Hannah m’entends-tu ? Où que tu sois, lève les yeux. Les nuages se dissipent. Le soleil perce ! Nous sortons de l’obscurité dans la lumière“.

FILMOGRAPHIE (LM)

« Le Kid » (1921) ; « L’opinion publique » (1923) ; « La ruée vers l’or » (1925) ; « Le cirque » (1928) ; « Les lumières de la ville » (1931) ; « Les temps modernes » (1936) ; « Le dictateur » (1940) ; « Monsieur Verdoux » (1947) ; « Les feux de la rampe » (1952) ; « Un roi à New York » (1957) ; « La Comtesse de Hong-Kong » (1967).