Culture
Le temps des barricades – Par Mustapha Saha
Mustapha Saha, regarde-t-il dans le rétroviseur ou dans l’avenir qui n’est pas venu ?
Rappelle-toi Clara la cachette stressante
Où nos corps éprouvés par les coups de matraque
S’aimantèrent sans bruit jusqu’à l’aube naissante
Pendant que rugissaient les griffons de la traque
Mon mouchoir imprégné d’une odeur de manille
Comme unique parade aux gaz lacrymogènes
Ton haleine embaumée d’un nectar de vanille
Où mon souffle puisait ses bulles d’oxygène
Rappelle-toi Clara le campus de Nanterre
Où germa la révolte au creux des bidonvilles
Je n’avais pour trésor qu’un matelas par terre
Tu vivais dans les ors d’un manoir à Trouville
Des forbans de piscine épris de libido
Ainsi nous décrivait la presse puritaine
Et notre abordage ludique et sans credo
Chavira le navire et son grand capitaine
Pirates sûrement de vie pleine et festive
Quand nous prîmes d’assaut la tour des mandarins
Tu flânais sur le pont seule contemplative
J’étais déjà croché dans tes rêves marins
Rappelle-toi Clara cette cour des miracles
Que l’austère Sorbonne abrita par gageure
Ces clowns autogérés qui jouaient les oracles
Ces belles tatouées de slogans ravageurs
Et ces mots affranchis des entraves morales
Et ces mains délivrées de mille ans d’interdits
Qui célébraient sans fin sur des fresques murales
Le feu d’artifice des plaisirs inédits
Les doctes professeurs mangeaient des mandarines
Les statues de marbre clignaient d’un œil complice
Je flattais en secret ta bouche purpurine
Tu murmurais mon nom comme un tendre supplice
Rappelle-toi Clara ces mutins du savoir
Qui scandaient en couleur aux portes des palais
La beauté dans la rue la laideur au pouvoir
Et transformaient l’asphalte en jardins d’azalées
Des brassées de pensées s’offraient sur les trottoirs
Des tourbillons d’idées à donner le vertige
Jaillissaient de partout furtifs aléatoires
Des projets insensés fleurissaient les vestiges
Nous fûmes du gaullisme incrédules témoins
Et de notre légende acteurs sans vanité
Des fous de liberté rien de plus rien de moins
Le temps de nos vingt ans valait l’éternité
Rappelle-toi Clara la retraite aux Beaux-arts
La lecture à deux voix de Marcuse et Fanon
Les artistes grimés comme des maquisards
Les affiches tirées comme obus de canon
Et ces moments de trêve entre deux escarmouches
Passées dans l’urgence d’inventives ripostes
Forgeurs de canulars meneurs et fines mouches
Croisaient leurs trouvailles du centre aux avant-postes
Et ces journées de paix sur les bords de la Seine
Sous les saules pleureurs s’éloignait la colère
J’écrivais un hommage aux captifs de Vincennes
Tu plongeais dans un livre et voguait la galère
Rappelle-toi Clara l’ultime barricade
Que nos mains écorchées cimentaient de broutilles
Ton sourire inondé de désir en cascade
Mon regard embrumé de fictives Bastilles
Les bricoleurs testaient d’improbables mélanges
Les stratèges parlaient de théories des feintes
Je dormis dans tes bras du bref sommeil de l’ange
Tu veillas sans rancœur nos utopies défuntes
La rue des Saints-Pères sa plage et ses pavés
Furent vite écurés par les pires cerbères
Du sang noir serpentait sur mon jean délavé
Un clochard nous sourit au pied d’un réverbère