L’autre Marrakech – Par Seddik Maaninou

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Etonnante l'absence de toute référence à deux contemporains du jurisconsulte Mohamed Mouquit, Abdeslam Yassine (G) et le pacha Thami El Glaoui.

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Des Ages et des hommages - Par Seddik MAANINOU

La « Fondation Al-Mouquit pour les Sciences et la Culture » a organisé une conférence sur « L'héritage scientifique du jurisconsulte et érudit Mohammed Al-Mouquit », à la Faculté des Lettres de Marrakech. L'amphithéâtre de la faculté était archicomble, en hommage à une personnalité qui a vécu dans la première moitié du siècle dernier et qui était célèbre pour son appel à la réforme et à la défense de l'identité marocaine authentique. Ecrivain et réformateur, Mohammed Al-Mouquit qui a vécu à Marrakech, a légué des dizaines de livres, déjà édités, dépassant la quarantaine, et une cinquantaine d'autres encore manuscrits.

Marrakech la voilée

À l'entrée de la faculté, dans ses cours et ses couloirs, des centaines d'étudiantes, au point que le visiteur pourrait penser qu'il s'agit d'une faculté exclusivement féminine. Mais l'observation principale et surprenante est qu'elles portaient toutes des voiles. La Faculté des Lettres de Marrakech serait-elle une faculté voilée. Je ne sais pas quel sens donner à cette situation qui peut être interprétée de plusieurs manières, y compris ses portées sociale, culturelle et religieuse.

J’ai été d’autant plus heureux de ma participation que ma famille entretient des relations d'amitié avec la famille Al-Mouquit, son défunt frère, Mohammed Al-Fadil Al-Mouquit, était membre avec mon père du bureau politique du parti de la Démocratie et de l'Indépendance. Le défunt Roi Mohammed V les avait nommés membres du « Conseil national consultatif », la première expérience quasi-parlementaire que le Maroc a connue au début de son indépendance.

Pensée réformatrice

Lors de la conférence, professeurs et chercheurs ont évoqué avec leur bel accent marrakchi, la pensée réformatrice de l'homme et les batailles qu'il a menées pour défendre ses convictions. Ils ont soulignés la nécessité de revisiter les ouvrages qui lui ont été consacrés dont sa biographie et de corriger les erreurs qu'ils contiennent, affirmant que notre jurisconsulte était parmi les premiers appelant à la réforme et qu'il appartenait à une « école réformiste nationale » qui ne puisait ses enseignements des mouvements similaires en Orient.

Attaque continue

Mohammed Al-Mouqt a attaqué sans relâche tous ses adversaires, adressant des critiques acerbes aux gouvernants et aux hauts responsables... Il s’en est pris aux savants, juges et muftis... Il a fortement critiqué les riches dépensiers, les chanteurs du Malhoun, les habitués des cafés, les accros à la loterie et aux échecs, comme il a vivement dénoncé les grands commerçants, les propriétaires de grandes entreprises et les usuriers. Il aussi vivement attaqué les zaouïas et les partisans de confréries soutenant la présence étrangère. Il a également vu dans les moussems annuels une dégradation morale et une montée de la dépravation.. Il s’est ainsi écrié : « malheur à eux et malheur à ceux qui les suivent ».

Vaste culture

Al-Mouqt a tiré sans hésitation sur tout ce qui bouge, et a vécu reclus, observant depuis le minaret qu'il avait élu pour domicile et lieu de vie, le déroulement des évènements. Les réactions à ses écrits et à ses prêches étaient nombreuses, mais il a répondu avec force sans se laisser démonter. Il a notamment écrit : « Bienvenue au nouveau si cela nous apporte dignité et force, et damnation si cela érode le legs de nos pères et notre foi en Dieu.» Le personnage était un homme de lettre et un savant dans divers domaines comme le calcul du temps, l'astrologie, les mathématiques, l'écologie et les secrets de la divination par les lettres, en plus de sa vaste culture dans bien d’autres domaines.. Sans hésitation, il a appelé à rejeter « les bigoteries religieuses et les différences doctrinales au bénéfice de l'unité de la patrie et sa protection contre ses ennemis ».

Les absents

Après avoir écouté les interventions sur Al-Mouquit et sur certains de ses livres, j'ai été étonné de l'absence de toute référence à deux contemporains de notre jurisconsulte.

Le premier n’est autre que le pacha de Marrakech, Thami El Glaoui... car il ne fait aucun doute que certaines des dénonciations étaient dirigées contre lui « surtout en ce qui concerne l'injustice, la tyrannie et la décomposition sociale.

Le deuxième, c'est le Cheikh Abdessalam Yassine, qui a vécu à la même époque que notre jurisconsulte, et qui pourrait avoir été l'un de ses disciples. A travers une lecture attentive de ce qu'Al-Mouquit , tant au niveau des mots que des approches et du choix du questionnement comme méthodologie pour communiquer et convaincre, on retrouve leur  écho dans les livres, le style, les mots, les orientations et les critiques sévères adoptés par cheikh Yassine.

La question

Y a-t-il une relation à établir entre Mohammed Al-Mouqt, le pacha El Glaoui, et le prédicateur Yassine ? C’est sans doute une question qui appartient aux chercheurs d’approfondir. Quoi qu’il en ait été, notre savant s’est posé en redresseur, écrivant : « Le pays a besoin de réformes et d'un réformateur... et je suis ce réformateur ». Assemblant en sa personne la connaissance et l'audace, il a appelé à libérer « la raison et la religion des superstitions et l'humanité des chaînes de la tyrannie et de l'exploitation ».

Les intervenants ont certainement raison d’appeler à l’approfondissement de la recherche dans le legs de Mohammed Al-Mouquit et des idées, théories, positions audacieuse dans la critique de ce que Marrakech a vécu à cette époque et ce que vit aujourd'hui encore « L'autre Marrakech ».

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