L’éthique en Islam, d’après l’œuvre d’Al-Ghazali - Par Mohamed Elmedlaoui

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En matière du pouvoir temporel dans le champ général de l’éthique, d’Al Ghazali peut être considéré comme précurseur de la théorie coercitive de Thomas Hobbs

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Al-Ghazali

Précédant la génération d’Averroès (mort 1198) et Maïmonide (mort 1204) de quelques décennies, Abu Hamid Al-Gahzali (1058-1111) est l’un des plus grands et influents docteurs de l’Islam. Il a laissé derrière lui une immense quantité d’ouvrages sur le dogme de l’Islam, en logique (miɛyaar al-ɛilm "Etalonnage du savoir"), en pédagogie de l’éducation (‘ayyuhaa al-walad "Ô, garçon !"), en mystique orthodoxe, etc. Mais ce sont ses écrits dans le domaine de la foi et du dogme de l’Islam, ainsi que dans le domaine de la controverse avec les philosophe, qui lui ont valu jusqu’à aujourd’hui encore le titre de ћužžat al-‘islaam ("Autorité de l’Islam") à l’instar en quelque sorte d’un St. Augustin pour l’Eglise catholique ou d’un Maïmonide pour le Judaïsme orthodoxe.

Résumé des grandes lignes de la pensée et de la méthode d’Al-Ghazal

Dans lesdits domaines de la foi, du dogme islamique et de la controverse, ce sont surtout trois de ses ouvrages, qui ont le plus marqué la pensée islamique ultérieure jusqu’aux temps présents, à savoir : a- ‘iћyaa’ ɛuluum al-diin "Revitalisation des sciences de la religion"; b- al-muniqid min al-Dalaal "Sauveur de l’égarement"; et c- taɦaafut a-falaasifat "Incohérence des philosophes"

Armé de sa maîtrise de la logique en tant que discipline à laquelle il a consacré tout un ouvrage de vulgarisation grand-public (miɛyar al-ɛilm fii ɛilmi almanṭiq), Al-Ghazali adopte dans son ouvrage (al-munquid) le Sauveur de l’égarement", une approche que certains historiens des idées qualifient de ‘’scepticisme méthodique’’ avant le terme. Cet autorité de l’Islam aurait adopté cette méthode de réflexion dans ses propres pérégrinations de quête de la vérité, indépendamment - prétend-il - de tout ce qui est hérité par éducation. En réalité, Al-Ghazaali n’a fait, dans cet ouvrage (tout comme dans l’ouvrage-) que de se servir de l’art de la ‘‘dialectique’’ de controverse afin de fustiger la théologie en tant que discipline et affirmer ce qu’il croit avoir trouvé comme vérité ultime, une vérité qui s’impose d’elle-même, selon lui, par révélation intuitive (kašf) et illumination divine (nuur yaqdifuhu llah fi-l-qalb "une lumière que Dieu projette dans le cœur").

Dans l’ouvrage (taɦaafut al-falaasifa) ‘’Incohérence des philosophes", Al-Ghazali usa du même art/procédé de ‘’dialectique’’ à l’intention du grand public (al-žumɦuur) pour fustiger les ‘‘incohérences’’ de la philosophie et démontrer que les philosophes, de Platon à Al-Farabi et Ibn Sina (qui ont notamment abordé les questions de l’éthique dans la Cité) sont des mécréants (kuffar). Il dit notamment à ce propos dans son ouvrage-c, Al-Munqid, ce qui suit :

«Mais, dans sa critique de Platon et de Socrate, Aristote a pourtant laissé en reste beaucoup de vices de leur mécréance, qu’il n’était pas parvenu à rejeter. Il s’impose donc de les déclarer impies ainsi que les ‘’philosophants’’ islamistes (al-mutafalsifat al-‘islaamiyiin) qui les suivent, comme Ibn Sina, Al-Farabi et autres».

Bref, du temps d’Al-Ghazali, et dans son environnement intellectuel, la philosophie et la théologie, qu’il fustige, faisaient usage des catégories de la logique et des procédés de l’argumentation pour soulever des questions, alors que lui en a fait usage dans son art de dialectique pour taire les questionnements.

C’est dans le cadre de la méthode et de la démarche qui viennent d’être esquissées, qu’Abu Haamid Al-Ghazali a développé sa conception éthique de la Cité, la cité étant conçue selon l’esprit général de son époque comme équivalent à daar al-‘islaam ("Camp de l’Islam") auquel s’oppose daar al-kufr ("Camp de la mécréance") qui est parfois synonyme de daar al-Harb ("Camp du Combat"). Selon la pensée d’Al-Ghazali, la règle d’or et le fil conducteur en filigrane de la conception de l’éthique (action, devoir, droit, responsabilité, etc.) demeure toujours la Crainte de Dieu (هللا تقوى (et l’obéissance (الطاعة (à waliyy al-‘amr (i.e "le Préposé de Dieu, i.e. l’Imam/Calif" de l’Islam).

C’est dans le cadre de cette conception qu’Al-Ghazali a développé sa définition des Cinq Finalités Téléologiques générales de la loi/charia islamique, à savoir les Cinq Préservations Indispensables (ḍaruuraat al-ћifḍ al-xams) que voici:

1-    la préservation de la Religion/الدين) islamique),

2-    la préservation de la Vie (al-nafs),

3-    la préservation de la Faculté Mentale (al-3aql),  

4-    la préservation de la Procréation (al-nasl) et

      5 - la préservation des Biens (al-maal). Il est ici pertinent de remarquer qu’Al-Ghazali énumère et développe ces cinq finalités téléologiques dans l’ordre qui vient d’être donné, à savoir la préservation de la religion en tête; alors que d’autres docteurs de l’Islam, comme Al-Zarkashi (al-zakrašii) et Al-Shukaanii (al-šukaani), donnent l’ordre hiérarchique suivant en cas de conflit de principes. Ainsi Al-Shukanii dit ceci:

«Les finalités à préserver sont au nombre de cinq: la première (al-‘uulaa) est de préserver la vie, puis (tumma) la deuxième: préserver les biens, puis la troisième: préserver la procréation, puis la quatrième: préserver la religion, puis la cinquième: préserver la faculté mentale» (in ‘iršaad alfuћuul. Tome II).

Mesures pédagogiques pour asseoir l’éthique sur la voie de la crainte et de l’obéissance

En pédagogue qu’il fut, Al-Ghazali n’a pas négligé le fait d’énoncer ce qui doit être fait pour aider l’individu et le prémunir contre tout dévoiement dans son action et sa pensée pour le mettre sur le chemin de la Crainte de Dieu, le seul droit chemin pour atteindre le Salut en observant les cinq principes téléologiques de la charia.

Même si l’idée de al-istixlaaf fii al-’arḍ (l’idée que Dieu établit l’Homme en Calife/xaliifat "vicaire mandataire de Dieu sur Terre) est bien présente dans la pensée islamique et est explicitement exprimée dans le Coran (CoranGénisse:28) – un terme d’où dérive d’ailleurs le concept-fonction du Khalifat/Imam - l’ultime mission de l’Homme sur Terre, selon Al-Ghazali, demeure donc la Crainte de Dieu (taqwaa allɦ; un équivalent de yire’at Elohim dans le Judaïsme) en premier lieu.

C’est pourquoi Al-Ghazali a mobilisé la globalité de son œuvre pour prémunir l’individu, grâce à une pédagogie générale de fond, contre toute sorte de perversion et de dévoiement du chemin de la Crainte de Dieu. Autant de risques de dévoiement que représentent les tentations de la vie sur terre et les courants intellectuels et/ou de sectarisme idéologique de son époque que véhiculent selon lui la théologie (ɛilm al-kalaam), la philosophie, la gnose ésotérique (albaaTiniyat) et les mouvements sectaires (al-firaq).

Il précise explicitement à cet égard, dans l’introduction de son ouvrage d’initiation à la logique (mi3yaar al-3ilm), ce qui l’avait poussé à rédiger cet ouvrage:

«Le deuxième motif/but [de la rédaction de cet ouvrage] est de permettre [au public] de saisir ce que nous avons consigné dans le livre des Incohérences des Philosophes (/tahaafut al-falaasifa/). Car, dans ce dernier ouvrage, nous avons débattu, face au philosophes, dans leur propre langage en nous adressant à eux par l’usage de leur propre terminologie de logique, sur laquelle ils sont convenus. Notre présent ouvrage [d’initiation à la logique] élucide les définitions des termes de cette terminologie.»

Cela veut dire que l’intérêt d’Al-Ghazali pour les disciplines cognitives et logiques ne porte pas sur ces disciplines en elles-mêmes en tant que ‘disciplines moyens’ (ɛuluum al-‘aala) de perfectionnement mentales, indispensables pour établir la vérité scientifique ou éthique. Cet intérêt (de nature de ‘formatage’ éducatif intellectuel d’édification religieuse) se limite au seul but de persuader le Musulman des risques de dévoiement auxquels est exposé tout individu qui fait confiance à la libre réflexion en matière de la condition humaine, de la libre conscience, de la responsabilité et de la mission ultime de l’Homme dans le monde qui demeure la Crainte de Dieu (taqwaa al-llaaɦ) et la soumission au préposé de Dieu (ṭaaɛatu waliyi l-‘amr) selon Al-Ghazali.

Toutes ces précautions d’ordre de pédagogie publique de fond s’imposent dans l’esprit d’Al-Ghazali (mais pas seulement) d’autant plus que l’Esprit du Mal, affirmé dans le texte de la Révélation coranique même tantôt sous le nom d’Eblis tantôt sous le nom de Satan, a fini par acquérir dans la pensée islamique (en une sorte de manichéisme) une dimension de divinité omniprésente qui défie Dieu. Ce fut le cas, selon la pensée islamique à base coranique, depuis qu’Iblis a refusé d’obéir à l’ordre divin de faire génuflexion, comme le reste des archanges, devant Adam (CoranGénisse :32). Grâce à son omniprésence et omnipotence maléfiques, Satan/Iblis se sert, selon cette pensée, de toutes les facultés mentales et intellectuelles et de toutes les passions de l’être humain, à l’insu de celui-ci, pour lui insuffler les idées maléfiques. Al-Ghazali énumère une dizaine d’Entrées Sataniques (madaaxil al-šayṭaan). Parmi ces entrées, il y a le fait d’exposer les gens à ce qui les poussait à questionner les fondements de la religion, comme le fait de réfléchir sur l’entité de Dieu et sur ses attributs ou de s’interroger sur toute autre chose qu’on ne serait pas arrivé à bien comprendre. C’est Satan qui incite à essayer de mener de telles réflexions.  

C’est à ce niveau que l’usage propédeutique conçu purement à des fins d’argumentation dialectique de controverse que l’encyclopédiste Al-Ghazali a fait de la logique et des sciences cognitives en général, s’éclaire de façon explicite. Après avoir passé revue les états de l’arts des différentes sciences de son époque dans son ouvrage al-munqid min al-ḍalaal, voici ce que dit AlGhazali par exemple des sciences mathématiques mêmes:

«... Deux fléaux s’en suivent. Le premier est le fait que celui qui les examine en les contemplant s’émerveille de leur minutie et du caractère manifeste de leurs argumentations. Cela le pousse à penser du bien des philosophes... et lorsqu’il entend ce qui circule parmi eux comme mécréance et déni de la charia, il rejette du coup toute imitation pure de la tradition... Ceci est un grand désastre (‘aafat 3aḍiimat). C’est pour cela qu’il faut réprimander celui qui s’adonne à ces disciplines; car, même si elles n’ont rien à voir avec la religion, le fait qu’elles soient des disciplines des philosophes fait que l’individu attrape le mal néfaste de ceux-ci. Il est rare que quelqu’un patauge dedans sans que la bride de la Crainte de Dieu ne se lâche de son cou».

En abordant, enfin, la discipline-mère des disciplines dites ɛuluum al-‘aalat ("disciplines-étalon", comme la grammaire pour la langue ou la métrique pour la versification), à savoir la logique (à laquelle il avait d’ailleur consacré un ouvrage propédeutique élémentaire pour les fins indiquées plus haut), AlGhazali réitère les mêmes affirmations:

«Quant aux disciplines logiques (al-manṭiqiyaat), elles n’ont rien à voir avec la religion, ni comme moyen d’infirmation ni comme moyen d’affirmation. Pourtant, oui, ils (i.e. les logiciens) ont un tort dans cette discipline, à savoir le fait qu’ils réunissent dans leur argumentation des arguments manifestement connus par leur caractère évident d’assoir la certitude sans aucun doute... [Mais] il se peut que quelqu’un qui aime ce qui est logique et net, se mette lui aussi à s’intéresser à la logique en tant que discipline. Il croirait [à cause de cette netteté naturelle] que ce qu’on rapporte comme mécréance (kufriyat) des philosophes qui ont font usage est aussi établi par ces mêmes arguments. Il finit ainsi par attraper la mécréance, avant de se lancer lui-même dans la théologie (al-‘ilaaɦiyaat) pour y patauger (li-yaxuuḍa fiyɦaa). Ce fléau aussi, touche donc la logique... Quant à la théologie, c’est là que réside le gros de leurs (i.e. les logiciens) égarements. La théorie d’Aristote en la matière est proche des 7 courants théologiques des Islamistes (al-islaamiyiin), selon ce qu’a rapporté Al-Farabi et Ibn Sinaa. L’ensemble de leurs erreurs se situe aux niveaux de vingt principes. Il faut les déclarer mécréants dans trois, et les considérer comme hérétiques dans dix-sept.]

De la crainte de Dieu à l’obéissance au Calife/"vicaire" de Dieu sur Terre En plus de ces précautions de type pédagogique de fond et de nature préventive sur le plan de la pensée et de la faculté de réflexion intellectuelle, l’instrument fondamental d’asseoir et de consolider les valeurs éthiques dans la conscience des individus et de les responsabiliser, demeure le châtiment dans l’éthique globale de la pensée islamique:

- Ici-bas, il y a le principe général, d’où les formes punitives particulières sont inférées. Il s’agit du principe qui associe les Cinq Finalités Téléologies de la charia, déjà énumérées plus haut, à des mesures correspondantes ici-bas. Il s’agit de préserver la religion par le jihad et le combat de l’apostasie, préserver la vie par la loi du talion (al-qiṣaaṣ), préserver la faculté mentale par la flagellation du buveur de vin, préserver la procréation par lapidation de l’adultère et préserver les biens par amputation de la main du voleur.

- Pour ce qui est de l’Au-delà (dimension-clef principale dans la cosmogonie islamique), il y a la force du message dit al-ttarγiib wa al-tarɦiib ("promesses et menaces"), principe qui découle lui-même du haut principe de al-tawaab wa alɛiqaab ("rétribution et punition"). Un message-clef, intensément récurrent dans les textes fondateurs de l’Islam (le Coran et la Sunna) sous forme d’injonctions/commandements et de promesses/menaces. Une immense littérature lui fut consacrée, par la suite, tout au long du Moyen Age, aussi bien dans les grandes références exégétiques islamiques du Coran (Ibn Katiir, AlTabarii, Al-Chukaanii, Al-Qortobii, etc.) que dans la littérature grand-public (daqaa’iq al-‘axbaar fii dikr al-jannat wa al-naar, par exemple). Cette dernière littérature consiste à brosser des tableaux plus ‘balzaciens’ les uns que les autres, qui foisonnent de détails à propos du Paradis (jardins, opulence, beauté physique, ...), de l’Enfer (flammes ayant cailloux, métaux et humains comme combustible, dragons, reptiles venimeux, ...) ainsi que de la "vie" des ceux qui séjournent dans l’une ou l’autre de ces deux demeures. Toutes sortes de consommation alimentaire et charnelle, de divertissements et mondanités éternelles à volonté d’un côté, et toutes sortes de supplices éternels de l’autre. Cette littérature est d’ailleurs largement et intensément diffusée et remise en circulation grand-public sous tous les formats de diffusion moderne ces dernières décades avec le renouveau du Salafisme.

Al-Ghazali et la res publica

L’éloignement des affaires sociopolitiques de la Cité, que certains autres docteurs de l’Islam (Ibn Taymiya par exemple) reprochent à Al-Ghazali n’est donc qu’une apparence due au propre style de discours et d’engagement de ce dernier dans une époque pleine de remous sociopolitiques parfois sanglants et d’affrontements idéologiques de sectes violentes (dont certaines, très sanguinaires, comme les Assassins/Al-ћaššašin aux11e – 13e siècles, et avant eux les Karmates/ Al-qaraamiṭa: 10e – 11e s.).

A tire d’exemple, comme confirmation de l’engagement sociopolitique, dans son introduction à un chapitre de son ouvrage influent déjà cité (al-munqid mina al-Dalaal) consacré à une secte gnostique chiite dites Al-taɛlimiyat, Al-Ghazali admet explicitement que c’était par commissionnement de la part du Calife/Imam de son temps qu’il s’était attelé à la tâche de réfuter les thèses de tous lesdits courants intellectuels et mouvements sectaires de son époque:

«En ces temps-là, le courant dit ‘Al-taɛliymiyat’ apparut. Son discours sur la connaissance de l’essence des choses grâce à une [prétendue] inspiration de la part du [prétendu] Imam Infaillible (al-‘imaam almaɛṣuum), prétendument restaurateur du droit, s’est répandu parmi les gens. L’idée m’est ainsi venue de faire la collecte des essais de ce courant afin que j’en connaisse d’avantage de leur pensée. En même temps, il se trouva qu’un ordre formel me soit venu de la Présence du Calife pour 9 que je rédige un travail qui révèle la nature de leur doctrine, et je ne pus pas m’excuser et ne pas me conformer. ». (al-munqid p.34).

Cela va droit dans le sens de la théorie d’Al-Ghazali en matière de l’éthique de la sociopolitique de gouvernance dans la Cité de la Oumma de l’Islam : «La vie sur terre et la sécurisation des vies des gens ainsi que celle des biens ne peuvent être assurées que par un pouvoir obéi. Les temps de remous confirment cela, à la mort des souverains et d’Imams dans les cas où cela perdure et qu’on ne remplace pas le défunt sur le champ par un autre guide investi de pouvoir. Dans ce dernier cas, le chao et l’anarchie prennent le dessus, et personne ne pourra vaquer au culte et au savoir s’il reste en vie ... C’est pour cela qu’on dit "la religion et le pouvoir sont des jumeaux; la religion est fondement, et le pouvoir, gardien". Quelque chose qui n’a pas de fondement s’écroule ; et ce qui n’a pas de gardien est voué à la perte. En bref, l’homme raisonnable ne doute point de la vérité que les humains, quelles que soient leurs classes sociales, avec leurs divergences de passions et leurs différences d’opinions, s’ils sont livrés à leurs opinions et qu’il n’y a pas de parole obéie qui les rassemble, ils seront tous voués à la perte. Il n’y a pas d’autre moyen de pallier à cela qu’une autorité coercitive obéie. Il devient ainsi évident que l’autorité est indispensable pour atteindre le bonheur de la vie à venir; et c’est absolument cela que visent les apostolats des prophètes. C’est pour cela que l’investiture de l’Imam compte parmi les nécessités de la charia. Retenez bien ça». (al-‘iqtisaad fii al-‘i3tiqaad. p: 148).

Un précurseur

Bref, en matière du pouvoir temporel dans le champ général de l’éthique, d’Al Ghazali peut être considéré comme précurseur de la théorie coercitive de Thomas Hobbs, cette théorie que même un théoricien de l’éthique libérale de la Haskalah judéo-allemande, Moïs Mendelssohn, semble bien admettre dans son ouvrage ‘Jerusalem’. Mendelssohn admet cela comme envisageable en dernier recours dans des circonstances d’extrême anarchie. Circonstances "où les fanatismes de tout bord deviennent prêts à écraser le pouvoir royal sous les pieds", choses qui arrivent dans des cas de société où "le niveau bas de culture et d’instruction, la croissance démographique par rapport au ressources, la complexité des relations sociales face aux aspects d’opulence excessive et autres 10 facteurs, rendent la gouvernance de la nation impossible par des méthodes de gain d’adhésion par conviction" (Jerusalem. pp 43-44).

Bien sûr, et de loin, Al-Ghazal est diamétralement à l’opposé de Mendelssohn en ce qui concerne, entre beaucoup d’autres points, le rapport entre Etat et Religion en général et le principe de la Liberté de Conscience en particulier. Selon Mendlsohn, "rien, dans le droit naturel rationnel, ne justifie d’établir des privilèges ou des privations dans la Cité sur la base de convictions ou d’appartenances confessionnelles" de l’individu (Jerusalem. p:19). Mais, sur ces deux derniers points, Al-Ghazali est tout de même bien loin derrière un autre docteur de l’Islam, Ibn Tayamiya. Celui-ci étant le plus virulent idéologue, non pas seulement de l’Islamisme’ médiéval (terme à distinguer de l’Islam dans sa généralité historique) mais aussi du Salafisme contemporain (‘salafisme’ en tant que mouvement, non en tant que courant de pensée tel que ce fut le cas avec des figures comme Jamal Eddine Al-Afaghani et Mohamed Abdou au 19e siècle) en matière du 

Sur un autre plan, Al-Ghazali est aussi distant d’Averroès, d’Avempace et d’Ibn Tofayl, qui, comme Mendelssohn, croyaient tous à l’aptitude de la raison humaine à accéder à la vérité éthique (i.e. le discernement du Bien et du Mal) et par conséquent à la félicité, sans avoir besoin du récit d’une Révélation prophétique.                        

Mohamed Elmedlaoui Rabat. 3 février 2023

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