Pour tous les goûts et de toutes les couleuvres – Par Naïm Kamal

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La culture, même disponible, n’est ni le réflexe ni le bien les mieux partagés

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Les colleuses - Par Naïm Kamal

 ‘’ Le Maroc est un pays très culturel’’. Prise dans l’envoutement du Festival international des Films de Femmes à Salé, l’auteure de ce propos qui va droit au cerveau, ajoute : Tous les arts, toutes les formes d’expressions culturelles ont été mis en exergue, du cinéma en passant par les arts visuels, la littérature etc. 

On pourrait ajouter à cette énumération pour ne pas bouder notre plaisir : la musique ou toutes les musiques, le chant ou tous les chants, la peinture ou toutes les peintures sauf l’art figuratif quand il porte sur la portrait humain dont on floute souvent les visages. Beaucoup pour ne pas offenser la Création selon certains dogmes qui restent à démontrer ; un peu par incompétence artistique ; la saisie d’une ride tannée par le temps, d’une ombre sur le profil ou d’une cerne sous les yeux , d’une courbe de nez, de traits saillants ou joufflus, d’une expression fugace ou de l’intensité d’un regard étant une forme d’écriture picturale qui nécessite énormément de talent et autant de travail. 

L’envie de croire

 ‘’Le Maroc est un pays très culturel’’. Celle qui fait cette déclaration à Salé pas très loin de Rabat, capitale culturelle de l’Afrique pour 2022, est Mme Seynabou Dial, ambassadeur, ambassadeure, ambassadrice – on sait plus avec le français – du Sénégal au Maroc. Et on a envie de la croire. 

 On ne compte plus les festivals, les rencontres, les concerts et les nuits. Il y en a pour tous les goûts et de toutes les couleuvres : 

De cinéma en quantité, la qualité étant par définition plus rare, elle-même ne pouvant être que le fruit d’une production intense où le bon et le très bon finissent toujours par jaillir du moins bon et du plus mauvais. C’est en tout cas ce qu’aimait répéter mon défunt ami l’immense Noureddine Saïl qui savait de quoi il parlait quand il parlait culture.

De la musique en tout genre et à volonté, même si L’Boulevard et, dans une moindre mesure les Grands Concerts de Rabat, ont gâché la fête, sans doute le défoulement d’un refoulement qu’il faut espérer seulement du au confinement coronavirusien.

Des nuits de la poésie même si elles ne drainent que quelques rares goûteurs (traduisez en arabe et vous comprendrez). Et la signature des livres, plus rares, où l’on en offre plus que l’on n’en vend.

Et le reste à l’avenant

Qui dit déclin dit apogée

‘’Le Maroc est un pays très culturel’’. Je passe sur l’instit de mon petit-fils qui met un ‘’e’’ en rouge à ‘’chaud’’ devenant ‘’chaude’’ dans la phrase ‘’j’ai bu quelque chose de chaud’’, corrigeant une faute qui n’en était pas une. Pour passer directement à l’Avis du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) intitulé ‘’Promouvoir la lecture, urgence et nécessité’’ qui ‘’constate, à l’échelle de notre pays, le déclin de la lecture et des activités aidant à consolider et enrichir le savoir et les connaissances du citoyen’’.

Déclin suppose un apogée. Que je ne retrouve pas dans l’histoire du Maroc où pas un instant de son long cours, la culture, celle qui hisse, n’a pas été l’apanage d’une exclusive caste (al-khassâ). 

Les chiffres du CESE, hormis cet emploi inapproprié, ne disent pas autre chose. La culture, même disponible, n’est ni le réflexe ni le bien les mieux partagés. 

Selon une enquête réalisée en 2016, 48.2% des personnes questionnées ne lisent pas les journaux, contre 15 % qui les lisent de façon quotidienne ; 10.6 % ne les lisent que rarement et 26.2 % les lisent environ deux fois par semaine. Ces stats, à pondérer vers le bas, suffisent à mieux comprendre pourquoi la presse tire de plus en plus dans le même sens. 

Pire et des chiffres encore à pondérer : 64.3 % de Marocains n’ont acheté aucun livre au cours des 12 derniers mois qui ont précédé l’enquête, contre 35.7 % qui ont fait l’achat d’un livre durant la même période. A savoir s’ils l’ont lu.

 Le rapport Arab Reading précise que les Marocains consacrent à peine 57 heures à la lecture durant l’année. Faites le calcul, moins de 10 mn par jour qui en compte 1440. Ceci étant, la moyenne dans le monde arabe, si cela peut consoler, est de 32,24 heures par an.

L’enquête nationale sur la consommation et les dépenses des ménages au Maroc, réalisée en 2013-2014 par le Haut-Commissariat au Plan, montre que les Marocains déboursent au titre de l’enseignement, de la culture et des loisirs, respectivement 2,8% et 6,6% de leurs budgets . Moins de 3% des enfants de 7 à 14 ans pratiquent la lecture, alors qu’ils passent en moyenne trois heures par jour à regarder la télévision. Soit 1100 heures par an ! On les ramène aux 57 heures annuelles de lecture des adultes et on perd de facto et de jure le droit de les blâmer. 

Mais l’ambassadrice du Sénégal n’a pas tort d’affirmer que ‘’ le Maroc est un pays très culturel’’. Si l’on sort la culture de son sentier élitiste, académique, chez nous souvent scolastique dans ce sens où il se ‘’caractérise par le formalisme et le verbalisme le plus creux’’, pour y incorporer toutes les formes d’expression de l’être et de l’âme d’un peuple dans sa pluralité et sa diversité et dans les multiples formes d’animation qui donnent à son appartenance un ressenti commun.

Ainsi appréhendés, n’en déplaise aux détracteurs du ministre de l’enseignement supérieur, le chant et la musique al-ayeta, par exemple, sont de la culture. Ils ont leurs rythmes qui disent le royaume profond, leurs mots puisés dans le terroir, leurs complaintes et leurs récits qui enseignent et renseignent sur une partie de l’histoire du Maroc et des Marocains. Je n’en dirai pas autant de L’Boulevard sans jamais douter que dans un autre temps, dans le futur, il témoignera un peu de ce qu’était aussi ce forcément beau pays au début du 21ème siècle.   

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