Entre 2000 et 2015, 836 milliards de dollars ont quitté illégalement l’Afrique

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Le trou noir des flux financiers illicites saigne à blanc l’Afrique et absorbe 2,6 % du PIB par an.

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Pourquoi l’Afrique n’arrive pas à décoller ? Une première réponse à cette question, parmi tant d’autres que l’on peut envisager, nous est fournie par la CNUCED (Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le développement) dans son dernier rapport sur le développement en Afrique, « les flux financiers illicites [FFI] et le développement durable en Afrique ». 

Ce rapport a identifié quatre grandes catégories d’activités pouvant générer des FFI. En premier lieu,  des FFI liés à la fiscalité et au commerce, ils sont issus de pratiques illégales, telles que les infractions en matière de tarifs douaniers, de droits et de recettes, la fraude fiscale, les infractions commises par les sociétés, la manipulation des marchés et certaines autres pratiques. En deuxième lieu,  les FFI provenant de la corruption, du  détournement de fonds, de l’abus de fonction, du trafic d’influence et l’enrichissement illicite. En troisième lieu, on trouve les activités relevant du vol et le financement de la criminalité et du terrorisme. En dernier lieu, on distingue  les FFI provenant de marchés illégaux. Il s’agit du commerce national ou international de biens ou services illicites. Ces activités, qui donnent souvent lieu à un certain degré d’organisation criminelle, visent à générer des profits. En relèvent : tout type de trafic illicite de certaines marchandises, telles que drogues et armes à feu,  la prestation de certains services, tels que le trafic illicite de migrants. 

Bien sûr, il est ardu  d’évaluer les fuites occasionnées par l’ensemble de ces activités. Le rapport a procédé d’une façon sélective en retenant les domaines sur lesquels les informations sont disponibles.

Ainsi, au niveau de l’évasion fiscale, l’Afrique qui tire  un sixième de ses  recettes publiques de l’impôt sur les sociétés (pour un total de 67 milliards de dollars en 2015), perd environ un dixième de ce total, soit près de 7 MM$. Par ailleurs,  la Banque africaine de développement estime que la corruption fait perdre chaque année quelque 148  milliards de dollars à l’Afrique. Plus récemment, des publications de journalistes d’investigation ont révélé l’ampleur de la fortune privée détenue par des Africains dans des comptes bancaires offshore. En 2015, par exemple, une enquête a abouti à la diffusion de données détaillées sur près de 5 000 particuliers de 41 pays africains détenant un total cumulé d’environ 6,5 milliards de dollars d’actifs.  D’autres  analyses au niveau mondial montrent que dans de nombreux pays africains,  entre  20 % à 30 % de la fortune privée est placée dans des paradis fiscaux.

Ce vol n’a pas épargné les  biens culturels de toutes origines.  Ainsi, environ 90 % des objets historiques de l’Afrique subsaharienne se trouvent dans les grands musées mondiaux, dans des collections privées ou dans des musées missionnaires. La plupart de ces objets proviennent soit de pillages, soit d’acquisitions déloyales du temps des guerres et de la domination coloniales, et ils ont ainsi été sources de flux illicites.

Une machine appauvrissante infernale 

La fuite des capitaux, qui englobe la fausse facturation et d’autres transactions de la balance des paiements, a été estimée à 88,6 milliards de dollars en moyenne pour la période 2013-2015, soit environ 3,7 % du PIB africain. Entre 2000 et 2015, elle s’est élevée à 836 milliards de dollars, soit 2,6 % du PIB, et un peu plus que l’encours de  la dette extérieure de l’Afrique subsaharienne. En moyenne, au cours de la période 2013-2015, les valeurs aberrantes absolues les plus importantes concernent le Nigéria (41 milliards de dollars), l’Égypte (17,5 milliards de dollars) et l’Afrique du Sud (14,1 milliards de dollars) ! La sous facturation dans le secteur extractif, particulièrement de l’or, occasionne à elle seule un manque à gagner de plus de 40MM$ par an.

Cette fuite de capitaux prive les pays concernés d’accéder au développement et retarde leur décollage. Elle les prive d’investir dans les secteurs vitaux pour la population telles que l’éducation, la santé, l’infrastructure et, in fine, elle compromet sérieusement la réalisation des ODD. Il est démontré que  les pays qui connaissent plus de retard au niveau de l’éducation et de la santé sont justement ceux où les FFI sont plus intenses. Et qui plus est, ces  sommes qui  trouvent refuge dans  les paradis fiscaux dépassent de loin les montants reçus au titre de l’APD (aide publique au développement) ou ceux reçus sous forme d’IDE.   Il n’est pas exclu, d’ailleurs, comme cela a été prouvé par des études sur le terrain,  qu’une partie non négligeable  de l’APD est détournée par certaines personnes influentes  et versée dans le circuit des FFI. C’est  dire que nous sommes en face d’une machine appauvrissante infernale fonctionnant à plein régime !

Les rédacteurs de ce rapport ont tenu en guise de recommandations  à présenter un plan de lutte contre les FFI à l’horizon 2030 en 10 points à savoir :  associer les FFI et l’éthique ;  protéger la société civile, les dénonciateurs d’abus et les journalistes ; renforcer les cadres réglementaires nationaux ; redonner confiance dans le multilatéralisme pour combattre les FFI ;  investir dans les infrastructures de données et dans la transparence ; consacrer davantage de ressources au recouvrement des avoirs volés ;  renforcer la participation de l’Afrique à la réforme de la fiscalité internationale ; intensifier la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent , associer les entreprises multinationales à la fiscalité et au développement durable ; investir dans la recherche sur les FFI et les changements climatiques. 

Force est de constater,  cependant,  que ces recommandations ne vont pas à l’essentiel et ne touchent pas le fonds du problème.  Elles restent à un niveau plus technique alors que les problèmes posés sont éminemment d’ordre politique. Par conséquent, ils exigent un traitement à la source. D’où la nécessité de la mise en place des systèmes démocratiques basés sur une réelle séparation des pouvoirs et une indépendance et intégrité de la justice. Attendre des régimes non démocratiques et des dirigeants arrivés au pouvoir par la force    de lutter contre les FFI relève de la naïveté, tout comme la proposition plaidant en faveur d’une coordination avec les entreprises multinationales. Ces dernières ne constituent-elles pas une partie du problème ? Les anciennes puissances coloniales n’ont-elles pas leur part de responsabilité dans ce pillage auquel les peuples africains sont exposés ? Le système financier international n’est-il pas complice et bénéficiaire de ce vol à peine voilé ?   

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