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A Gaza, les souvenirs d'oliviers de Napoléon noyés dans le béton du présent
Qasr al-Bacha, un petit palais à Gaza où Napoléon Bonaparte a dormi plusieurs nuits lors de sa campagne en Palestine
Quand Napoléon Bonaparte entre à Gaza à l'aube du XIXe siècle, il ouvre la "porte" de la Palestine qui donne alors sur des champs d'oliviers. Rien à voir avec le terminal hyper-sécurisé, grillagé et ceint de miradors d'aujourd'hui.
C'est un épisode méconnu de sa campagne controversée en Egypte et au Levant. Et pourtant, ses traces perdurent dans les consciences et sur les murs de la bande de Gaza.
En février 1799, celui qui n'est pas encore empereur franchit avec des milliers de soldats français le désert du Sinaï pour prendre la bande de Gaza dont "les citronniers, les forêts d'oliviers, les inégalités de terrain représentent parfaitement le paysage du Languedoc; l'on croit être du côté de Béziers", dans le sud de la France, écrit-il.
"Les collines qui environnent Gaza sont couvertes d'oliviers", relève dans ses mémoires le mathématicien Etienne Louis Malus qui accompagne l'expédition, notant que les Français se sont emparés de Gaza "sans coup férir", avant de reprendre la route pour Jaffa, théâtre de combats sanglants et touché par la peste bubonique, et de buter sur la ville d'Acre, avant de rebrousser chemin.
"L'occupation avant l'occupation"
Gaza a bien changé depuis. Les vastes oliveraies sont remplacées par une forêt d'immeubles de béton grisâtre, dans ce petit territoire contrôlé depuis 2007 par les islamistes du Hamas et sous blocus israélien, où s'entassent deux millions de Palestiniens.
Mais en y regardant de près, la marque de Bonaparte reste. Dans le Qasr al-Bacha, un petit palais de pierre ocre-sable entouré de palmiers jurant avec les immeubles et les lianes de fils électriques, abrite la chambre où Bonaparte aurait dormi "trois nuits".
Au premier et dernier étage, à gauche après un large escalier extérieur, se trouve une salle sans lit, sans meuble mais remplie d'artéfacts byzantins. C'est bien ici que Napoléon a dormi, assure Ghassan Wisha, directeur du département d'histoire de l'université islamique de Gaza.
Ce palais construit à partir du XIIIe siècle faisait référence au nom de Napoléon jusqu'en 2010 lorsque le gouvernement du Hamas l'a changé en "Musée Qasr al-Bacha".
Avant la pandémie de coronavirus, des groupes d'écoliers palestiniens visitaient le château et la chambre de Napoléon, l'occasion d'entendre le récit du passage du futur empereur de France en Palestine.
"Au début, nous enseignions que la campagne d'Egypte était une campagne militaire de la France dotée aussi d'une composante scientifique. Ce dernier aspect était donc positif. Cela montrait une première, une campagne militaire différente des autres", explique M. Wisha, soulignant que "des spécialistes de l'agriculture" étaient notamment du voyage.
Mais ce discours initial a changé au fil des ans. Napoléon "a utilisé la science pour justifier l'occupation. Il a menti", estime-t-il.
"C'est un homme petit de taille mais qui a causé un grand chaos dans cette région. La population de Gaza a aujourd'hui une image sombre, négative, de toutes les campagnes militaires incluant celle de Napoléon", ajoute M. Wisha.
Lors de la Guerre des Six-Jours en 1967, Israël a conquis cette bande de terre dont il s'est retiré en 2005, mais y impose un blocus depuis l'accession au pouvoir du Hamas. A Gaza, nombre de Palestiniens utilisent le mot arabe "ihtilal" (occupation) pour désigner tant Israël que la campagne napoléonienne.
Le combat des livres
"Certains disent qu'il est resté deux nuits, d'autres trois, ce n'est pas 100% clair. Mais ce qui est certain, c'est bien qu'il a occupé Gaza qui était alors un centre pour le miel, l'huile, l'agriculture, c'était un point stratégique entre l'Asie et l'Europe", explique à l'AFP Rashad al-Madani, professeur d'histoire retraité ayant enseigné la campagne de Napoléon dans les universités gazaouies.
Alors qu'a-t-il raconté aux étudiants à propos de cette expédition à Gaza, Jaffa et Acre? "Que l'agression française était pire que l'israélienne", répond-il sèchement, citant le "massacre" d'environ 3.000 personnes par les soldats tricolores à Jaffa, ville aujourd'hui en Israël connue pour ses plages, ses bars et ses restaurants.
Le héros des livres d'histoire à Gaza pour cette période, c'est Ahmed al-Jazzar. Cet homme réputé "cruel" --d'où son sobriquet de "Jazzar" signifiant boucher-- a tenu Acre pendant deux mois face aux assauts de Napoléon.
Aujourd'hui, la forteresse d'Acre tient toujours. Une statue de Napoléon à cheval devant un drapeau israélien joue le rôle d'attraction touristique et la mosquée Al-Jazzar triomphe au coeur de la médina.
"Dans nos livres d'histoire, Ahmed al-Jazzar est considéré comme un personnage fort, un héros. Mais (c'était) aussi un être cruel, un agresseur et, ça, plusieurs étudiants n'aimaient pas quand je le disais", se remémore M. Al-Madani, qui cherchait plutôt des modèles positifs dans la Révolution française que dans cette "entreprise coloniale".