Algérie : Coup de filet sécuritaire et législatives boudées

5437685854_d630fceaff_b-

Un vieil homme attend à une station de bus recouverte d'affiches électorales, le 11 juin 2021 à Alger, à la veille des législatives

1
Partager :

 

 

Les Algériens choisissent ce samedi leurs députés lors d'élections législatives anticipées, rejetées par le mouvement contestataire du Hirak et une partie de l'opposition.

Il s'agit des premières législatives depuis le soulèvement populaire inédit et pacifique, né le 22 février 2019 du rejet d'un 5e mandat du président Abdelaziz Bouteflika, poussé près de deux mois plus tard à la démission après 20 ans de règne.

C:\Users\Naïm Kamal\AppData\Local\Temp\Temp1_httpdoc.afp.com9BW64P-MultimediaVersion.zip\urn_newsml_afp.com_20210612_71ff256b-4fde-42d3-8672-05b86ade8276_mmdHighDef.jpg

Un électeur s'apprête à mettre son bulletin dans l'urne lle 12 juin 2021 dans un bureau de vote quasimentdésert

Principal enjeu : la participation qui s'annonçait à nouveau faible, comme pour les précédentes consultations électorales, la présidentielle de 2019 et le référendum constitutionnel de 2020, marquées par une abstention historique.

A la mi-journée, le taux de participation national a atteint 10%, un score très bas, selon le président de l'Autorité nationale indépendante des élections, Mohamed Chorfi.

Mais quoi qu'il arrive, le pouvoir s'accommodera. 

"Pour moi, le taux de participation n'a pas d'importance. Ce qui m'importe, c'est que ceux pour lesquels le peuple vote aient une légitimité suffisante", a affirmé le président Abdelmadjid Tebboune après avoir voté à Alger.

Les bureaux de vote fermeront à 19H00 (18H00 GMT) et les résultats officiels sont attendus dimanche.

Les électeurs ont défilé au compte-gouttes dans les isoloirs d'Alger, où la participation est traditionnellement faible, contrairement aux campagnes, selon des journalistes de l'AFP sur place.

"Je n'ai jamais voté et cette fois c'est pareil. Je ne crois pas que les choses pourront changer", a confié à l'AFP Fatiha, une commerçante cinquantenaire.

Alger bouclé

Alger était bouclée vendredi, jour de marche hebdomadaire du Hirak, après un coup de filet visant des figures du mouvement contestataire en Algérie, à la veille d'élections législatives censées apporter une nouvelle légitimité au pouvoir.

Selon Saïd Salhi, vice-président de la Ligue pour la défense des droits de l'Homme (LADDH), les forces de sécurité ont procédé jeudi à sept arrestations et gardes à vue : cinq à Alger, une à Sétif (nord-est) et une à Oran (nord-ouest).

M. Salhi a dit à l'AFP en ignorer les motifs. 

Parmi les personnes interpellées à Alger figurent l'opposant Karim Tabbou, Ihsane El Kadi, directeur de Radio M, une station proche du Hirak, et le journaliste indépendant Khaled Drareni, qui collabore à cette station.

Les trois hommes étaient détenus au centre Antar, une caserne de la périphérie d'Alger connue pour être un lieu d'interrogatoire des services de sécurité, selon des avocats. Aucune information n'avait filtré sur leur sort vendredi soir.

Climat de répression 

C:\Users\Naïm Kamal\AppData\Local\Temp\Temp1_httpdoc.afp.com9BV68L-MultimediaVersion.zip\urn_newsml_afp.com_20210611_45fb05ee-73f7-4564-a853-5ffc39d50e3a_mmdHighDef.jpg

Dates-clés et principaux éléments de contexte du mouvement de contestation qui a débuté en 2019 en Algérie

"Ce climat de répression et les restrictions des libertés et des droits humains enlèvent toute caution démocratique et tout crédit aux élections", les premières depuis la naissance du Hirak en février 2019, a déclaré à l'AFP M. Salhi.

A l'approche du scrutin, le régime a multiplié les arrestations et les poursuites judiciaires visant opposants politiques, militants hirakistes, avocats et journalistes indépendants.

Dans un communiqué, Radio M a exigé la libération "immédiate" d'Ihsane El Kadi et de Khaled Drareni. 

Après avoir couvert une manifestation du Hirak en mars 2020, Khaled Drareni avait été condamné à deux ans de prison pour "incitation à attroupement non armé" et "atteinte à l'unité nationale". 

Directeur du site d'information Casbah Tribune et correspondant en Algérie pour la chaîne francophone TV5 Monde et pour Reporters sans frontières (RSF), il avait été remis en liberté provisoire en février, et attend depuis un nouveau procès.

M. Tabbou a été libéré le 29 avril sous contrôle judiciaire après une altercation avec Bouzid Lazhari, le président du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH), un organisme officiel.

Emprisonné de septembre 2019 à juillet 2020, M. Tabbou est une figure très populaire du Hirak.

Quant à Ihsane El Kadi, il a été placé sous contrôle judiciaire le 18 mai. Il est accusé notamment de "diffusion de fausses informations à même de porter atteinte à l'unité nationale" et de "perturbations des élections".

Il a signé jeudi une déclaration de collectifs, associations, partis et personnalités algériens rejetant le scrutin et dénonçant la répression des autorités. 

"Effrayante escalade répressive"

"Hier, le président (Abdelmadjid) Tebboune a élargi la notion de terrorisme par ordonnance pour faciliter la répression", a dénoncé sur Twitter le secrétaire général de RSF Christophe Deloire.

Le Journal officiel a publié jeudi une ordonnance présidentielle qui modifie le code pénal en redéfinissant les actes terroristes et en établissant une liste nationale de "personnes et entités terroristes" qui, selon les défenseurs des droits humains, pourrait servir à emprisonner de nombreux opposants, militants ou journalistes. 

Les arrestations de jeudi, qui coïncident avec le début de l'application de l'ordonnance présidentielle, ont eu lieu à 48 heures des législatives anticipées qui sont rejetées par le Hirak et une partie de l'opposition.

"Les gens du Hirak sont contre ces élections. Ils considèrent qu'elles ne représentent rien, qu'elle viennent au mauvais moment. Ces élections, ce n'est pas ce dont l'Algérie a besoin", a déclaré M. Drareni à la chaîne France Info peu avant d'être arrêté.

Comme chaque vendredi, désormais, la police était largement déployée dans le centre d'Alger pour empêcher toute marche du Hirak, un mouvement qui réclame un changement radical du "système" politique en place depuis l'indépendance (1962).

Peu d'Algérois circulaient dans les rues et seuls les panneaux d'affichages électoraux, dont la majorité des affiches étaient déchirées, rappelaient la tenue imminente du scrutin. 

En revanche, plusieurs centaines de manifestants ont défilé à Tizi Ouzou et à Bejaïa, en Kabylie (nord-est), en dénonçant un "vote organisé par la clique (au pouvoir)".

Sous sa forme originelle des marches protestataires, le Hirak ne survit plus qu'en Kabylie, région berbérophone traditionnellement frondeuse.   

Dans la diaspora, de Paris à Marseille, les Algériens de France ne manifestent aucune surprise après le coup de filet sécuritaire, jugeant le régime "capable de tout" pour assurer sa survie. 

Au moins 222 personnes sont actuellement incarcérées pour des faits en lien avec le Hirak et/ou les libertés individuelles, selon le CNLD.

"Les vagues promesses d’ouverture et de dialogue du président Tebboune se fracassent contre la réalité de la répression en #Algérie", a déploré vendredi Human Rights Watch (HRW), qui dénonce une "effrayante escalade répressive".