Aux prestigieux clubs londoniens, les femmes restent encore souvent à la porte

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Vue générale du club privé londonien, le Garrick Club, fondé en 1831, le 7 octobre 2020 à Londres

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Haro sur les "vieux boys clubs": dans l'ère post-#MeToo, la révolte gronde contre les très élitistes clubs londoniens, institutions où se rencontrent ministres, députés et hommes d'affaires, mais dont les femmes restent encore souvent exclues.

Derrière son imposante façade en pierres grises, le Garrick, club fondé en 1831, cultive un charme très anglais, de l'imposante bibliothèque en bois massif aux canapés en cuir du hall, en passant par les grandes tablées de la salle de réception. Dans ce cadre cosy, les membres peuvent échanger autour d'un verre au cœur de Covent Garden, sous une extraordinaire collection de peintures.

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Un membre d'un club londonien est vu à travers la fenêtre de ce club, le Garrick Club, fondé en 1831 à Londres, le 7 octobre 2020.

C'est exactement le genre d'endroit que cherchait Emily Bendell, femme d'affaires à la tête de la marque de lingerie Bluebella, pour travailler son réseau. Avant de se rendre compte que le Garrick, malgré son image plus "bohème" car initialement dédiés aux acteurs, reste comme une dizaine d'autres prestigieux clubs londoniens (White's, Boodle's) réservé aux hommes. 

"Cela ne serait pas grave si c'était juste un petit club, mais là il s'agit d'une institution au centre de Londres, qui réunit nos hommes politiques, nos juges, des gens au sommet de leur profession", s'indigne-t-elle auprès de l'AFP.

Pour elle, "il ne fait aucun doute que la progression professionnelle de nombreuses femmes a été freinée par ce genre de vieux boys clubs". C'est pourquoi elle a décidé de poursuivre en justice le Garrick.

Sociabilité et pouvoir 

Au Royaume-Uni, les associations réservées à un sexe sont autorisées, mais il n'en va pas de même pour les endroits proposant des services. C'est là-dessus que compte s'appuyer l'avocat d'Emily Bendell. Car ces clubs élitistes, qui n'ont pas répondu aux demandes de l'AFP, disposent en général d'un service d'hôtellerie et d'un restaurant, où les femmes peuvent dîner... si elles sont invitées.  

Décalés à l'ère post-Me Too, ces lieux unisexes répondaient initialement "à un besoin très spécifique au XIXe siècle", âge d'or des "gentlemen's clubs", remet en perspective l'historienne Amy Milne-Smith, de l'Université Wilfrid Laurier (Waterloo). 

A l'époque, la sociabilité était bien plus "divisée par genre", et ces clubs avaient justement été fondés en réaction à une sociabilité féminine très affirmée, qui "dominait la maison avec des thés et des bals". 

"On n'est par ailleurs pas censé y parler affaires", précise la chercheuse, et le règlement l'interdit souvent formellement. "Mais comment définir les affaires ? Dans une société patriarcale, il est difficile de séparer la sociabilité du pouvoir".

"Le business ne se limite pas à conclure des contrats. Vous ne parlez peut-être pas boulot dans le club, mais vous y nouez des relations qui fructifieront ensuite en affaires".   

"C'est très naïf de croire que les membres gardent leur vie pro complètement à part", renchérit Emily Bendell, qui estime qu'on est toujours "plus susceptible de soutenir la promotion" de quelqu'un avec qui on boit régulièrement des coups.

"Repenser les institutions"

Le pendant entièrement féminin de ses clubs élitistes existe, mais reste moins répandu. "En 1886, un groupe de femmes s'est décidé à fonder son propre club", raconte Alex Maitland, manager du University Women's Club, une des plus anciennes institutions du genre.

"A l'époque, ils étaient en majorité réservés aux hommes et plutôt que de se battre contre ça, elles se sont dit +on va le faire en mieux+", explique-t-il avec fierté, dans la chaleureuse bibliothèque tout de vert et de bois du club, installé dans le quartier huppé de Mayfair.

Mais si ces réseaux féminins sont "très importants" pour répondre à des situations d'exclusion selon Emily Bendell, ils ne constituent pas une solution à long terme quand les espaces de pouvoirs restent essentiellement masculins. 

Certains clubs ont eux décidé de s'ouvrir aux femmes, comme le City of London Club en 2011. Le Garrick Club avait lui-même organisé en 2015 un vote sur l'ouverture à la gente féminine, soutenue par plusieurs membres éminents -l'acteur Hugh Bonneville, le ministre Michael Gove, plusieurs Lords. Mais sans succès, en raison d'une trop courte majorité.  

"C'est très difficile pour certains, dont les pères et grands-pères appartenaient déjà au club, de voir le problème", explique Amy Milne-Smith. "Intégrer des femmes changera effectivement" les choses, juge-t-elle par ailleurs, mais "nos sociétés changent, nous avons besoin de repenser nos institutions".